Que veut dire « être communiste » à Sciences Po ?

L’Union des Etudiants Communistes (UEC) est la branche étudiante du mouvement des jeunes communistes de France. Une section est présente à Sciences Po depuis septembre 2015. Rencontre avec Lucas Puygrenier, son secretaire de section, par ailleurs coordinateur fédéral de la jeunesse communiste dans les Hauts de Seine et adhérent au PCF.

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Pourquoi avoir souhaité créer une section de l’UEC, ici et maintenant, alors qu’il existe une antenne du Front de gauche à Sciences Po dans laquelle vous pourriez vous sentir représentés ?

En effet, jusqu’à présent je pense qu’il n’y avait tout simplement pas assez de communistes à Sciences Po pour récolter les 120 voix de la procédure de reconnaissance. Pour revenir un petit peu en arrière, les effectifs de l’UEC comme ceux du mouvement communiste dans son ensemble se sont effondrés dans les années 1990. Ce n’est que depuis les années 2000 que le mouvement se rebâtit. Chaque année de nouveaux secteurs s’ouvrent et cette année c’est Sciences Po. Cela me semble d’autant plus important qu’il y a en ce moment beaucoup de crispations que ce soit au niveau des frais de scolarité ou des problèmes de gestion comme le montre la condamnation de Monsieur Casanova. De façon plus générale je pense qu’il y a pas mal de gens à Sciences Po qui ne sont pas issus de la bourgeoisie et qui ont envie de se reconnaître dans des mouvements progressistes. Contrairement à la section du Front de gauche qui est une organisation politique ayant vocation à inviter Jean-Luc Mélenchon ou d’autres, nous cherchons vraiment à militer pour les étudiants sur les questions estudiantines propres à Sciences Po. Et d’autre part bien sur, à faire vivre la pensée marxiste à Sciences Po, à casser, avec nos outils, le carcan idéologique qui règne ici, en invitant des chercheurs, des syndicalistes, des gens que l’on ne voit pas beaucoup dans cette école comme les kurdes.

Vous partagez quelques combats avec l’UNEF…

Nous avons bien sur de forts liens avec l’UNEF. Beaucoup de militants communistes ont des doubles cartes avec l’UNEF et Sud, voire même avec L’UEC et le Front de gauche. Notre rôle n’est pour autant pas le même. L’UNEF est un syndicat qui a vocation à siéger aux conseils, alors que nous sommes plutôt une force de proposition. Notre objectif est de peser dans le mouvement étudiant, d’agir à la manière d’un lobby.

Récemment diverses associations se sont mobilisées pour protester contre la hausse des frais de scolarité, vous y avez participé : quelles sont vos revendications sur ce sujet ?

Cette mobilisation est portée par l’Unef, en réaction au projet de Sciences Po. En revanche de notre côté nous avons travaillé depuis l’été dernier sur ce sujet en lien avec tous les autres IEP puisque l’UEC est maintenant présente dans tous les IEP de France. Donc nous avons mis en place une coordination nationale pour réfléchir aux solutions à proposer pour une autre réforme des frais de scolarité à Sciences Po. Nous avons abouti à des propositions simples. Tout d’abord supprimer la Fondation Nationale de Sciences Politiques qui gère le financement de l’école : c’est une fondation privée et nous considérons que l’enseignement supérieur est un bien public dans lequel les intérêts privés ne peuvent interférer. D’autant plus qu’au sein de cette fondation on retrouve de nombreux membres du patronat et du Medef, qui selon nous n’ont pas vocation à représenter les étudiants et les professionnels de l’enseignement supérieur. Enfin l’objectif est bien sûr de tendre vers la gratuité de la formation pour les étudiants, comme dans toutes les facs.

Avez-vous milité pour la campagne des élections régionales ?

En effet nous avons pris part à la campagne pour les régionales en militant pour Pierre Laurent, candidat PCF-Front de gauche, avec le Front de gauche.
Dans le milieu étudiant j’ai l’impression que le discours Front National et le discours très à droite de Valérie Pécresse en Ile-de-France rencontrent peu de succès. Je pense qu’il n’y a pas non plus beaucoup de crédibilité au PS. Les gens ont vraiment envie de quelque chose qui change. C’est pour cette raison qu’ils peuvent adhérer au programme de Pierre Laurent, qui comprend beaucoup de propositions ambitieuses: la gratuité des transports en commun, la construction de 50 000 logements étudiants, mais aussi de nombreux projets culturels orientés vers la jeunesse.

Comment voyez-vous l’entrée du FN à Sciences Po ?

Nous avons évidemment regretté leur arrivée, mais plus encore le battage médiatique qui a eu lieu autour. Cela m’a paru démesuré ! De simples étudiants de Sciences Po invités au Grand Journal, c’est assez dingue ! Nous avons de notre côté quelques articles sur notre reconnaissance, mais c’est en grande partie parce que le FN était reconnu. Je trouve ça assez intriguant. Ca nous interroge sur la manière dont fonctionnent les médias aujourd’hui. On voit arriver des journalistes qui cherchent à montrer une forte mobilisation étudiante derrière le FN à Sciences Po et dans la réalité ce ne sont que quatre opportunistes issus de formation politiques diverses qui sont allés là où ils pouvaient faire carrière. Lorsque le FN Sciences Po a organisé sa première réunion après avoir été reconnu, des camarades de l’UEC et de l’UNEF sont allés voir, et en tout il n’y avait que 7 personnes, si vous comptez leur bureau, vous n’arrivez pas loin du compte ! Sans vouloir faire de comparaison, quand l’UEC a fait une conférence, la salle était pleine.

La prolongation de l’état d’urgence : pour, ou contre ?

C’est une question qui a beaucoup divisé le PCF et le FDG. Un gouvernement qui sous prétexte de pragmatisme a demandé à ce que la politique nationale s’arrête, tout en avançant dans le même temps des réformes extrêmement importantes comme une révision de la Constitution. Il est très dur de savoir comment réagir à ça. Tout cela alors que les médias tournaient en boucle et que les gens n’étaient pas aptes émotionnellemment à réfléchir. La grosse difficulté a été de trouver comment mettre un peu de réflexion au milieu de tant d’émotion.

Juste après les attentats le gouvernement a eu raison de prendre des mesures d’exception car le danger était réel. En ce qui concerne la prolongation de l’état d’urgence, qui a été votée par les députés communistes, je pense que c’est une dramatique erreur ! Cela renforce énormément l’exécutif alors même que devant l’islamisme radical et l’extrême droite qui montent, il nous faut réconcilier les Français avec la démocratie. Les assignations à résidence de militants écologistes, les interdictions de manifestations et les gardes à vue sans fondements ne me paraissent pas être le bon moyen de le faire. La solution, et je pense parler au nom de tout les communistes de Sciences Po en disant cela, c’est plus d’intégration : sans faire de misérabilisme il faut reconnaître que l’essentiel des terroristes qui ont frappé notre pays sont des gens qui viennent des quartiers populaires, des quartiers qui sont mis au ban de la société, frappés par le chômage et la misère, particulièrement la jeunesse. Cette jeunesse désabusée et sans repères fait le lit d’entrepreneurs identitaires qui se nourrissent des humiliations des uns et des autres. Plus d’intégration passe par des politiques éducatives, par la culture, tout simplement par de l’argent qui doit être investi dans ces zones, pour sortir de ce système qui met en compétition les aires urbaines : ghetto de riches versus ghetto de pauvre, pour toujours plus de malaise social.

Avez-vous personnellement pris part aux manifestations de la COP21 ?

Oui, nous avons participé à la chaîne humaine pour protester contre les mesures prises contre les militants écologistes durant l”état d’urgence. Certains de nos camarades ont d’ailleurs été placés en garde à vue. Une telle instrumentalisation de l’état d’urgence par le gouvernement, dans une analyse communiste, c’est le signe d’un capitalisme qui ne sait plus où il va et qui détruit jusqu’à la Terre sur laquelle on vit. Ce que l’on croit c’est que l’écologie ce n’est pas simplement demander aux particuliers de faire de petits efforts mais aussi contrôler les entreprises pour qu’elles prennent en compte la contrainte écologique.

Revenons à Sciences Po. Le président de la FNSP, Jean-Claude Casanova, a récemment été condamné par la Cour de discipline budgétaire et financière. Qu’est-ce que c’est décision dit de Sciences Po ?

C’est une décision très juste, très symptomatique de la gestion de Sciences Po qui a déjà été éclaboussé par des scandales de ce genre par le passé. Cette gestion, épinglée par la Cour des Comptes, est rendue possible par le régime d’exception, opaque, qui entoure Sciences Po contrairement aux autres universités. Cette affaire renforce d’autant plus la nécessité de la réformer: l’existence de dérives financières, alors même que les étudiants sont saignés pour financer leurs études, cela me semble simplement révoltant. Il faut que l’administration cesse d’infantiliser les étudiants qu’elle s’entête à appeler élèves, et les associe vraiment à la gestion de Sciences Po.

Quel bilan pour l’UEC à la fin du premier semestre ?

Je dresserai un bilan mitigé de ce premier semestre. Nous avons été très heureux d’être reconnus, ce n’était pas gagné d’avance! D’autant plus heureux que, même si je n’en fais pas une gloire, nous avons été reconnus avant d’autres associations politiques implantées ici depuis bien longtemps. Il y a donc eu un départ très prometteur, surtout que de nombreux étudiants nous ont rapidement rejoint, pour apprendre à nous connaître et apprendre à connaître les théories communistes, qui ne sont pas des choses que l’on apprend beaucoup à Sciences Po. Le point négatif est que nous n’avons pas pu organiser beaucoup de conférences à cause de blocages de l’administration, mais également du fait des attentats. Heureusement, le second semestre se présente bien, des militants motivés sont déjà en train de prévoir les conférences que nous organiserons : notre évènement majeur sera la semaine de la pensée marxiste, un cycle de conférence sur le thème du progrès qui se déroulera à la fin du mois de mars.