La semaine cinéphile du Mag’ #4
Au menu de ce lundi, on vous propose une entrée savoureuse mais qui risque de vous rester sur l’estomac; c’est le phénomène du cinéma français de ce mois d’octobre, j’ai nommé La vie d’Adèle. Vous calez déjà ? Pour vous remettre de vos émotions, il sera suivi d’un trou normand: La Taverne de l’Irlandais, sorti en 1963 mais toujours au goût du jour. Et pour conclure sur une touche de légèreté, un dessert made in France mais pourtant très drôle : 9 mois ferme.
La vie d’Adèle est-il un film de cul ?
La vie d’Adèle, d’Abdellatif Kechiche
Une dizaine de jours après sa sortie, la polémique autour des conditions de tournage de la Palme d’or (attribuée conjointement à Abdellatif Kechiche, Adèle Exarchopoulos et Léa Seydoux) ne faiblit pas. Mais au moins maintenant, on peut aller vérifier nous-mêmes si c’était bien la peine de garder l’équipe le double des deux mois et demi prévus, notamment pour passer dix jours entiers à filmer la même scène de sexe. La vie d’Adèle, on s’imagine avant de le voir que c’est un engagement pour la cause homosexuelle. En fait, la vérité de l’amour lesbien est tellement aveuglante pendant les trois heures de film qu’il n’est nullement nécessaire de le justifier ou le défendre. C’est donc juste un film d’amour. Et l’amour, ça se fait.
Quand les chastes sexagénaires de notre cher 7ème arrondissement attendent la première scène d’étreintes charnelles entre Adèle et Emma pour trouver que « quand même, il en fait un peu trop Abdel », ils ne semblent pas avoir conscience de regarder depuis déjà trente minutes un chef-d’œuvre de pornographie. Pourtant, les (très) gros plans qui accompagnent la jeune héroïne évoquent dès les premiers instants du film les plus purs instants de poésie Dorcelienne. Le visage plein de larmes, de morve et de bolognaise, Adèle mange la bouche ouverte et respire une sexualité sauvage, sale, réelle. Finalement, les entrelacs sensuels si intenses des deux amantes (qui répertorient pour vous une liste quasi-exhaustive de toutes les positions imaginables) sont les scènes les moins crues du film. C’est dire sa profondeur.
Attirés par le potentiel érotique de La vie d’Adèle, les sites internet Pr0nhub et Youpr0n (dont les noms ont été modifiés, La Péniche ne fait pas l’apologie de la pornographie) se seraient montrés excités par le projet, avant de se rétracter parce que « les scènes intermédiaires sont trop mal jouées ». Aujourd’hui, ils l’ont dans l… ils s’en mordent les doigts.
Barnabé Tardieux
Baston à l’ancienne.
La Taverne de l’Irlandais, de John Ford
Les noms de Ford et Wayne riment à nos oreilles avec le doux mot de western. Première surprise, La Taverne de l’Irlandais fait exception à la règle: il s’agit d’une comédie, qui se déroule en sur une île imaginaire de la Polynésie française. On est donc bien loin du Texas, mais pas de la caricature.
Dans ce film sorti à l’origine en 1963, Tom « Boats » Gilhooley, joué par Lee Marvin (« The Man Who Shot Liberty Valance« ) se rend sur l’île, dans le but de renouveler le rite annuel de duel amical avec Michael « Guns » Donovan, incarné par John Wayne. On comprend au fil de l’histoire que Gilhooley et Donovan, ainsi que leur ami William « Doc » Dedham, sont d’anciens combattants de la 2nde Guerre Mondiale, restés sur l’île après les faits, dévoués aux habitants. Amelia Dedham, une des filles du Doc, vient chambouler le cours des choses. Elle cherche à le déposséder de ses parts dans une riche société maritime. Donovan et Gilhooley vont comploter ensemble contre Amelia afin de contrecarrer ses projets.
L’histoire était la même il y a 50 ans. Pourquoi rediffuser ce film, si c’était pour simplement conter de nouveau une histoire quelconque? La seule chose qui ait véritablement changé, entre 1963 et 2013, c’est notre regard sur le monde qui nous entoure. Un détail qui change tout.
Il semble que tout, dans ce film, soit à prendre au second degré. Mais est-ce vraiment le cas? Par exemple la scène du retour de Boats. On le voit arriver sur un bateau, alors qu’une foule de jeunes femmes l’accueille sur le rivage, dansant et gesticulant avec une couronne de fleurs tropicales autour du cou: on croirait voir une publicité pour un Club Med à Hawaii de 1952. Soixante ans après, cette scène me fait rire. Fait rire la salle entière. Pas sure que ç’ait été l’intention de John Ford quand il l’a filmée. Ces éléments reflètent la mentalité de l’époque: les costumes des jeunes femmes, la violence de l’alpha male John Wayne qui à la moindre occas’ file une bonne paire de baffes à celui qui lui cherche des noises.
Ce genre de clichés se répète tout au long du film; cependant, il arrive par moments que John Ford sorte de cette salade de stéréotypes et de déjà-vus en prenant position face au racisme. Les enfants sont appelés des « half-casts » par Amelia, des intouchables. Morale oblige, Amelia changera d’avis à la fin du film. Ford illustre bien les tendances racistes encore très fortes de l’époque.
Éléonore Pistolesi
Juge et libertés sexuelles.
9 mois ferme, d’Albert Dupontel
Albert Dupontel est un vrai ovni dans le petit monde du cinéma français. Loin du showbizness, il n’en oublie pas moins de sortir régulièrement de sa tanière pour commettre quelques bijoux. Son nouveau film est donc une réussite totale, à l’heure où tout le monde pleure la nullité des comédies françaises (mais si c’était drôle le film sur le volcan hohoho).
Or donc, un dangereux braqueur mangeur d’yeux (on dit globophage) met enceinte une juge d’instruction plus-coincée-du-chignon-tu-meurs à la suite d’un réveillon que la magistrate a arrosé copieusement. Suivent de nombreuses complications sociales et professionnelles. On voit d’ici le film ronronnant sauce TF1 ou Dany Boon qui aurait pu en découler. Sauf que chez Dupontel, rien ne ronronne. Tout est dans l’excès et le trash, les situations sont poussées au bout du bout de leurs ressorts comiques, les portes claquent, le sang gicle et on se marre. On retient de vraies scènes d’anthologies comme celle chez le légiste (Philippe Duquesne) ou les plaidoiries de Maître Trolos (Nicolas Marié, hilarant).
Sandrine Kiberlain interprète la juge, très solide face à l’ogre Dupontel qui se taille lui un rôle sur mesure en interprétant le taré qui lui donne la réplique. Le duo est épatant, faisant fonctionner à plein l’alchimie des contraires à qui il faut ajouter des seconds rôles bien sentis et des apparitions inoubliables. Dans la veine revendiquée des Monty Python, le non-sens est roi et le grossier est élevé en comique ultime. Fable burlesque, ce film est un bol de rire.
Hadrien Bouvier