Sciences Po, éphémère Institut Lénine – Le magazine des 10 ans

La Péniche fête ses dix ans par un magazine papier exceptionnel, que nous vendons à Sciences Po toute la semaine.

Voilà un premier aperçu du récit d’ouverture : Sciences Po, éphémère Institut Lénine : Mai 68 rue Saint-Guillaume, quand les sciences-pistes s’essayent à la révolution. A retrouver sur 20 pages, encadrés, interviews et photographies en plus.

Debout sur la péniche, ils se relaient pour appeler au boycott des examens, haranguant la foule qui se presse dans le hall pour passer les épreuves de langues. Une banderole faite de bric et de broc annonce la couleur : « Libérez nos camarades ! », slogan repris en chœur par les étudiants contestataires. Un grand chauve essaye tant bien que mal de faire rentrer les élèves dans l’amphithéâtre Boutmy, attenant au hall. C’est Jean Touchard, le secrétaire général de Sciences Po. Un vote à main levée semble avoir été organisé dans le hall, une majorité se dégage : les élèves ne composeront pas, ils discuteront. La direction, complètement dépassée, laisse faire.

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Photographie Ulysse Bellier avec un cliché de Guy Michelat

Ce samedi 11 mai 1968 au matin, le Quartier latin se réveille groggy de sa première nuit des barricades. Jusqu’au petit jour, des affrontements violents opposent cinq cents CRS et quelques centaines d’étudiants. Pavés contre matraques, puis cocktails Molotov contre grenades offensives, les barricades sont prises et reprises. Les reporters du Monde décrivent des « pavés des rues arrachés » et « des grilles [qui] barrent toujours la chaussée. » Des dizaines de carcasses de voitures calcinées jonchent les environs du Panthéon.
Mais à Sciences Po, ce samedi 11 mai est un faux départ. Le dimanche marque une respiration, avant un lundi de grève générale où l’école reste fermée. Le lendemain, mardi 14, l’école prend finalement le train en marche, les étudiants occupent les locaux, qu’ils tiennent un mois et demi durant. L’illusion révolutionnaire s’est installée dans les amphis, en péniche, dans les esprits d’étudiants si conformistes, dévots du plan en deux parties, deux sous-parties. Elle bouscule la direction, interdite, et les professeurs, stupéfaits. De là débouchera une nouvelle école ouvertement politisée et où les étudiants participent, enfin, à la gestion de l’établissement.

Sciences Po, avant ce samedi matin, était resté en retrait du mouvement étudiant, déclenché à Nanterre quelques semaines plus tôt (voir la chronologie des événements p. 21). Certains ont participé aux manifs au début du mois, mais les examens se rapprochant, ils bachotent. Lors de la manif du 6 mai, alors que les pavés volent à Mabillon, les stylos grattent rue Saint-Guillaume. Les sciences-pistes d’alors sont proches des affrontements, mais loin des revendications estudiantines. Dans le Sciences Po des années soixante, les costumes en tweed de Frédéric Mion passeraient inaperçus.

Twinset de cachemire de catogan de velours

Dominique Cendre-Gouteron, en troisième et dernière année en mai 1968, était arrivée de Pantin à 17 ans en première année, après avoir entendu parler de Sciences Po dans un bus. « J’ai alors découvert un endroit qui n’était pas comme ailleurs ». Chez les hommes, petite majorité de cravates. « Les jeunes filles, raconte-t-elle, étaient en twinset de cachemire acheté aux Laines Écossaises boulevard Saint-Germain, avec un petit collier de perles et un catogan de velours dans les cheveux. » Située entre la rue des Saints-Pères et la rue Saint-Guillaume, à côté d’un drugstore, c’était la boutique branchée du moment. On a vu plus révolutionnaire.

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Photographie Jade Vergnes avec un cliché de Guy Michelat

« C’était terriblement un univers de l’entre-soi », raconte Paul-Henri Ravier, s’y reconnaissant lui-même : lycée Henri-IV, Sciences Po, puis l’ENA. Amusé, il nous raconte depuis son austère bureau de la Cour des comptes son premier souvenir de mai 68, avant la révolte à Sciences Po. Un matin de mai, alors que le futur énarque déposait ses affaires au vestiaire (« Il y avait des dames qui prenaient vos vêtements, qui les suspendaient à un clou, qui vous donnaient un ticket, c’était la première chose que l’on faisait en arrivant »), il voit débouler un ami de la fac d’Assas. « Il s’en était fait jeter assez énergiquement par les étudiants qui occupaient la fac, en lui disant ‘Camarade, on a pris le pouvoir, il n’y a plus d’examens, plus de concours, dégage ! Tu n’as plus rien à faire ici.’ »

La révolution commence alors tout juste… Pour lire la suite, achetez notre magazine et soutenez par la même occasion le journalisme étudiant.