Rencontre avec Dan Franck, scénariste de Marseille et professeur à Sciences Po
Né à Paris en 1952, Dan Franck entame des études de sociologie à la Sorbonne, puis décide de devenir écrivain. Désormais reconnu tant pour ses livres, que pour ses films et ses séries télévisées, il décrit comme une nécessité ce changement régulier d’encrier, dont il a toujours vécu. Il est notamment l’auteur de La Séparation, prix Renaudot en 1991, et des Aventuriers de l’art moderne. En tant que scénariste, il a signé la première saison des Hommes de l’ombre diffusée en 2012 sur France 2, et la saison 1 de Marseille, première série française de Netflix dont la saison 2 est en préparation.
A quel moment vous avez eu le déclic pour l’écriture ?
J’ai toujours voulu écrire, j’ai retrouvé des textes que j’avais écrit quand j’avais 10 ans. Au départ, je ne savais pas comment organiser mon truc, je pensais que je ferai du journalisme, parce que j’aime bien ça et que je suis quelqu’un d’assez engagé. Et finalement les choses ont évolué autrement. Quelque part dans mes histoires, j’aperçois souvent le journaliste que j’aurais voulu être. Elles contiennent à la fois un travail romanesque pur, et un travail fondé sur une enquête, historique ou artistique. Beaucoup de mes livres et de mes films ont un caractère politique ou historique.
En tant que scénariste, il a signé la première saison des Hommes de l’ombre diffusée en 2012 sur France 2, et la saison 1 de Marseille, première série française de Netflix
Racontez-nous vos débuts d’écrivain, comment s’est lancée votre carrière ?
Quand j’ai commencé mon premier roman, j’étais étudiant et je vivais avec ma professeure de sociologie, qui considérait que j’étais un grand écrivain, et qui m’a encouragé à m’y mettre. C’est une histoire rocambolesque. Le roman s’appelait L’homme glaise. Je suis allé le donner chez Gallimard, en leur disant : « il faut se dépêcher parce que c’est une œuvre, vous savez… ». Comme je n’avais pas de réponse au bout de dix jours, j’ai été le donner chez Stock en leur disant : « dépêchez-vous Gallimard va le prendre ». Sans réponse, je l’ai envoyé absolument partout. Et au bout de trois mois, j’ai reçu des lettres de refus de tous les éditeurs. Henry Bonnier, à l’époque directeur littéraire chez Albin Michel, m’avait fait parvenir un rapport de lecture qui disait « ce livre est un pâté mal-cuit, et cet auteur ne sera jamais un écrivain ». Ça vous coupe les ailes.
Henry Bonnier, à l’époque directeur littéraire chez Albin Michel, m’avait fait parvenir un rapport de lecture qui disait « ce livre est un pâté mal-cuit, et cet auteur ne sera jamais un écrivain ». Ça vous coupe les ailes.
J’ai donc arrêté pendant dix ans, je continuais à écrire mais je stoppais toujours mes livres à dix pages de la fin. Un jour j’ai rencontré Pierre Ajame, qui dirigeait les pages artistiques de l’Observateur. J’avais finis un livre, à dix pages près, qui s’appelait Les calendes grecques. Il m’a encouragé à finir les dix pages, et le livre a été publié, j’ai eu le prix du premier roman. Tout s’est enchaîné, j’ai eu d’autres prix littéraires. Alors, je me suis rendu compte que l’écriture c’est à la fois probablement un peu de talent, et surtout beaucoup de travail. Tout le problème des premiers romans, c’est d’aller au-delà du désir, de cette inspiration qui peut vous pousser à écrire trente pages, après lesquelles c’est souvent très difficile.
« Je me suis rendu compte que l’écriture c’est à la fois probablement un peu de talent, et surtout beaucoup de travail«
Vous avez consacré quinze ans à l’écriture des Aventuriers de l’art moderne, cette fiction sous forme de trilogie, qui retrace la vie des artistes du premier vingtième siècle, de l’arrivée de Picasso à Paris à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Pourquoi leur avoir consacré ces trois volumes ?
Ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est la différence. Pourquoi j’aime tant les artistes ? Pourquoi j’écris tant sur eux ? Parce que j’aime leur statut très particulier dans la société : un pied dedans, un pied dehors, en permanence. Cette spécificité est très contradictoire. Certains artistes virent vers la mondanité, et d’autres comme Nerval, Verlaine ou Rimbaud restent complètement en dehors. L’artiste est fait de cette composition étrange et impalpable que je trouve d’une très grande richesse.
Vous avez écrit plus de soixante ouvrages en tant que nègre, comment avez-vous vécu cette expérience ?
J’ai toujours vécu de ma plume, mais je l’ai trempé dans différents encriers. Pendant longtemps, j’ai écrit pour les autres, mais j’écrivais pour moi en même temps, c’était un mécanisme un peu schizophrène. Je n’écrivais jamais de romans pour les autres, parce que je considérais que l’imaginaire appartient à chacun. C’est ce que j’essaye de transmettre à mes élèves dans le cours que je donne ici. J’ai écrit pour des chanteurs, des médecins, des hommes politiques, mon livre Roman nègre raconte ces histoires-là.
Vous écrivez beaucoup sur l’univers de la politique, cette volonté d’écrire sur ses coulisses vous vient-elle de là ?
Non, pas vraiment. Personnellement, je suis engagé à gauche depuis toujours, sans être inscrit dans un parti. J’ai fait beaucoup pour les associations de sans-papiers, de sans-logis, j’ai travaillé dans des classes défavorisées en banlieue, et je combats l’extrême droite depuis toujours.
La politique au cinéma c’est autre chose. C’est une scène shakespearienne formidable, très puissante car vous avez du drame, des passions, des trahisons, des réalités pas toujours bonnes à dire. C’est ce théâtre qui m’intéresse, en particulier de montrer les rivalités au sein d’un même camp, car alors ça devient très familial. Le problème c’est que vous ne pouvez pas montrer que ça, il faut éviter le danger du discours « tous vendus ». C’est pour ça que j’invente toujours un personnage positif. Dans Marseille, Depardieu est positif, c’est un homme qui aime sa ville, et s’ils sont très abimés autour de lui, il garde une espèce de noblesse.
» La politique est une scène shakespearienne formidable, très puissante car vous avez du drame, des passions, des trahisons, des réalités pas toujours bonnes à dire. »
Revenons sur deux gros projets des années passées, Les hommes de l’ombre pour France 2 et Marseille pour Netflix. Comment les avez-vous vécus ?
La saison 1 des hommes de l’ombre, c’était un espère de paradis, tout s’est fait naturellement. Après, je suis partie pour différentes raisons. Mais j’ai été très content de créer ça, car il y a eu une vraie complicité avec les producteurs, le metteur en scène, et même avec les comédiens, je suis devenu très ami avec Nathalie Baye. Il y a eu quelque chose de très fort, une osmose.
Marseille c’est différent. Les choses ont été faites d’une manière séparée, c’était plus compliqué. En ce moment, nous écrivons la saison 2 à plusieurs, dans un atelier d’écriture.
Y a-t-il un personnage sur lequel vous avez travaillé qui vous a particulièrement marqué ?
Celui qui m’a le plus habité, c’est Jean Moulin. J’ai écrit sur lui un livre, Les champs de bataille, et un téléfilm de trois heures, qui porte son nom. Tout d’abord parce qu’on en a une image totalement fausse. Ce n’est pas cet homme qui a édifié gentiment la résistance. D’un courage extraordinaire, après avoir bravé l’embargo et envoyé des avions aux républicains pendant la Guerre d’Espagne, il s’est opposé à la droite et à l’extrême droite de la résistance et ça a été très compliqué, il était détesté par une partie des résistants. Il en est peut-être mort. Il y eu une enquête de Pierre Péan, qui a fait un travail formidable sur son arrestation et sur sa mort, où il y a quelque part une somme de maladresses qui ne sont pas forcément liées au hasard, et qui ont remis face à face la droite et la gauche. C’est un personnage que je trouve tout à fait incroyable.
En parallèle de vos nombreux projets, vous donnez ce semestre un cours d’atelier artistique à Sciences Po : de l’imaginaire au réel à travers l’écriture des séries télévisées. Pourquoi avez-vous souhaité le faire ?
Pour transmettre. J’ai toujours fait ça à Lille, à Montreuil, dans des quartiers plus défavorisés, avec toujours ce désir de faire partager des choses. J’avais déjà donné un cours à Sciences Po qui s’était génialement bien passé il y a une dizaine d’années, sur l’écriture en général. Mais c’était un cours beaucoup plus anarchique, libertaire d’esprit.
« J’avais déjà donné un cours à Sciences Po il y a une dizaine d’années. Mais c’était beaucoup plus anarchique, libertaire d’esprit. »
Mon but est d’inculquer à chacun l’idée que vous avez un imaginaire, qu’il faut que vous en profitiez, que vous l’utilisiez, et que vous appreniez à le discipliner, pour en fait une œuvre quelle qu’elle soit. J’aime beaucoup vous aider, à 20 ans, à prendre conscience de cet imaginaire, et de son rapport avec l’écriture. Cela vous servira tout le temps, et c’est très plaisant.
Par rapport à l’écriture de séries TV, je considère qu’un écrivain est un artiste, et qu’un scénariste est un artisan. C’est une chose extrêmement différente, car le scénario est régi par des règles, simples mais qu’on doit respecter. Je me dis que peut-être après ce cours, vous écrirez vous-même avec les règles que je vous aurai transmise.
Auriez-vous un dernier conseil pour les écrivains et scénaristes en herbe, qui sont assez nombreux dans cette maison ?
Un seul, écrivez. Et prenez-y du plaisir. J’ai toujours pensé que l’écrivain était son premier lecteur, s’il s’ennuie en écrivant, on s’ennuiera en le lisant… Si vous voulez écrire des séries, il faut regarder comment ça se construit, en termes de rythme, de concision, de règles, qui n’ont pas changé depuis le feuilleton populaire du 19ème siècle.