Rentrée LR Sciences Po : Pécresse, bloqueuse et adroite
La salle se lève, impatiente, la présidente du conseil régional d’Île-de-France va arriver d’une minute à l’autre. Pour une cinquième année consécutive, elle ouvrira le bal des actions militantes de droite à Sciences Po. Quelques minutes d’attente puis la voilà, saluée par une ovation digne des plus grands Congrès. Brushing d’un blond impeccable, sourire Colgate, poignées de main dynamiques, et une robe bleue nuit accordée aux chemises des militants et à la moquette : tout est parfaitement orchestré. En rejoignant sa place, elle ne manque pas de saluer les anciens directeurs Les Républicains assis au premier rang, Camille Chevalier, Romain Millard et Omar Ben Abderahmen, et rend honneur avec enthousiasme à cette section qu’ils ont menée et qu’elle juge « très vivante, compte tenu de la traversée du désert vécue après les élections présidentielles ».
Être de droite aujourd’hui
« Être rebelle à 20 ans, ce n’est pas être de gauche, c’est être de droite. » En introduction, et pour remercier la femme politique d’être venue, le président actuel de la branche du parti, Alexandre Freu, ne manque pas de rappeler la Valérie bloqueuse qui occupait autrefois les locaux de Sciences Po avec ses camarades pour lutter contre le transfert de l’ENA à Strasbourg. Amusée, elle propose alors une définition de son sentiment d’appartenance à la droite : valoriser avant toute chose « la responsabilité, la liberté et l’Europe » et préférer une droite « de l’innovation sociale » à « celle de l’assistanat ».
À l’heure où le macronisme a fait quitter le navire à certaines têtes du parti traditionnel, elle revendique d’être restée à LR, et ce malgré les discours alarmistes de certains « comme Xavier Bertrand ». Elle justifie son choix en comparant le parti à une famille : « Dans une famille, on n’est pas toujours tous d’accord, et on a le droit de le dire. » En bonne grande sœur, elle n’oublie donc pas de tacler gentiment le groupe de députés constructifs « Agir », le benjamin, en déclarant que son soutien au gouvernement le classe de facto dans la majorité. C’est aussi ça les avantages d’une famille : si on veut faire mal à ses pairs, on sait où appuyer.
Macron
Mais la femme politique ne se définit pas comme partisane d’une opposition absolue au gouvernement, et invite à soutenir les réformes de Macron « si elles sont cohérentes avec les idées de la droite. » Elle souligne entre autres son soutien à la réforme du travail, et à la fin du numerus clausus, non sans pointer rapidement les « angles morts » de la politique menée, auxquels elle reste farouchement opposée. Pour elle, Macron n’est pas le représentant d’une nouvelle manière inédite de faire de la politique comme il s’en revendique, mais se définit très clairement comme un libéral de gauche. « Il a supprimé l’ISF – quelque chose que nous même n’avions pas osé faire – et fait des réformes d’essence très libérale. Mais il est en même temps de gauche, cela se voit sur les thèmes du régalien, de la laïcité, et de la nation. » Sur ces thèmes, elle propose une vision radicalement différente, et présente ses valeurs et son projet en opposition avec celui de l’actuel Président.
Le régalien
Si elle lui concède d’avoir une certaine autorité, elle critique son rapport à la sanction : « Son plan prison est un contre-sens : alors que nos prisons sont bondées, le sujet ce n’est pas de lutter contre la surpopulation des prisons en elle-même, mais plutôt sur la montée de la délinquance. » Pour l’ancienne ministre, cette délinquance, qu’elle relie à la montée des extrêmes, est une conséquence directe du fait que les gouvernements ne parviennent pas à faire respecter la loi. Elle souhaite donc valoriser, en opposition au projet de peines alternatives de Macron, la privation de libertés comme « une peine efficace » pour rééduquer et réinsérer. « Sur la prison il faut briser beaucoup de tabous. » déclare-t-elle avant de se justifier classiquement : « (…) en Seine-Saint-Denis, la réalité que je vois tous les jours de ma fenêtre est que dans les quartiers politiques de la ville il y a des zones de non-droit. »
La laïcité
À ce sujet, la femme politique qualifie Emmanuel Macron, fil conducteur de sa diatribe, de « terranovien ». Il s’agit là selon elle de « (…) la conception d’une certaine gauche de la société française moderne, où nous sommes tous des communautés, à titre de femmes, de gays, de beurs, de juifs (…) », et considère en effet que le problème majeur est que les membres de ces sociétés ne dialoguent qu’entre cercles réduits, et n’écoutent plus leurs pairs : « Un socialiste ne lira jamais un tweet de Valérie Pécresse ». Elle invite à observer la manière dont le Président s’adresse aux catégories sociales – elle cite les chasseurs et les catholiques comme exemples de l’actualité récente – et les séduit avec les mots qu’elles ont envie d’entendre. « Macron est profondément communautariste. Mais la France n’est pas une addition de communautés. On peut en avoir plusieurs, ou n’en avoir rien à faire. »
À cette « loi de la communauté » elle invite donc à préférer la « loi de la République », différente de celle des lobbys, de la famille ou de « la loi du quartier ». « J’aimerais entendre une phrase : la loi est au-dessus de tout. » La capacité à faire respecter une loi commune serait alors la marque de l’échec ou de la réussite d’un mandat. Elle souligne l’importance de parler à la France, « au seul peuple français », et de la nécessité de « faire société » quand bien même l’on peut être fier de ses origines.
Nation et mondialisation
Face à ces crispations identitaires, la politicienne compte sur la droite pour porter espoir, et lutter contre les craintes de la mondialisation. Elle lance un appel à la jeune génération assise devant elle, qu’elle sait destinée à devenir « plus commercia(le), et plus mondialisé(e) » : « Vous devez porter l’espoir, et construire le rêve français dans la France de demain ». Cette phrase d’aspect banal cache une conception de la mondialisation qu’elle juge nécessaire de redéfinir.
Cette ambition d’un rêve américain à la française démontre sa volonté d’augmenter la compétitivité du pays en matière d’économie. Pour elle, les gagnants et les perdants de la mondialisation ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Elle cite l’exemple de la ville de Cognac, qu’elle dit avoir découverte cet été. Exportée à 98% de sa production, l’eau-de-vie produite dans cette ville « de la France très profonde » est devenue la première boisson « des rappeurs afro-américains, des chinois, des japonais et des russes » – s’il est vrai que le Cognac jouit d’une popularité croissante, et surtout aux États-Unis et en Chine, cette déclaration reste à nuancer selon les chiffres présentés par Le Figaro cet été. Mais le but de cette exagération est de contredire les plus sceptiques, et prouver par cette « success story » que « la réussite dans la mondialisation est un état d’esprit », et, pour conclure sa gradation à l’américaine, que « (l’) on peut réussir dans la mondialisation parce qu’on est meilleur ».
L’ancienne ministre du Budget souhaite pour cela que les responsables politiques de demain aient un « tempérament économique », qualité qui d’après elle leur fait défaut, afin de « défendre le label France ». Pour illustrer son propos, non sans un certain agacement, elle critique le fait que la promotion à l’international du tourisme en Île-de-France a été négligée ces dix dernières années. S’étant questionnée sur le sujet, elle raconte avoir découvert avec stupéfaction que le taux de tourisme avait stagné dans sa région alors qu’il avait triplé dans le reste du monde, et que les précédents responsables ne s’en étaient pas même inquiétés.
L’Europe
« L’Union Européenne est folle. » Encore un slogan, et qui démontre cette fois l’ambiguïté de ses ambitions en matière de projet européen. Revenant sur la déclaration de Donald Trump du 15 juillet dernier : « L’UE est l’ennemie des USA. », elle se dit choquée du fait que les États-Unis assument ouvertement nous mener une « guerre économique », et que l’UE ne cesse de prendre du retard. Mais alors qu’elle semble vouloir une solidarité plus importante entre les Etats pour lutter contre le géant américain à la parole décomplexée, elle centre son discours sur l’image d’une France forte et en opposition à ses partenaires, ayant « gagné la bataille du Brexit contre Francfort. » Dans cette Europe de demain qu’elle rêve pourtant « protectrice et conquérante », la coopération ne semble donc pas être la première nécessité.
Point technique
Sur la question de la fiscalité cependant, Valérie Pécresse ne centre pas son discours sur la critique de Macron. C’est donc François Hollande qui en prend pour son grade. Il serait responsable d’une « overdose fiscale », ayant conduit à réduire le pouvoir d’achat des Français, et donc à peser sur la vitalité économique en France. À ce sujet elle reconnaît que le programme de Fillon aux élections présidentielles n’était pas le modèle à suivre car jugé trop dur, et ne parlant pas assez à l’ensemble des Français. « (…) Il ne parlait que de la baisse des droits acquis, seuls les retraités étaient contents. »
En opposition à cela, elle conseille aux aspirants politiciens présents dans la salle de « rendre la réforme désirable », et rejette l’option de la baisse des minimas sociaux. Pour l’avenir, elle pense que le rôle que la droite a à jouer est d’apporter de la fermeté tant sur le régalien que sur le plan social. « Les Français ont besoin d’être aimés, on a sûrement manqué d’un peu d’empathie par le passé. » Pour elle, apprendre de ses erreurs passe d’abord par « montrer qu’on fait de la politique parce que on aime les gens. » N’oubliant pas son auditoire, elle déclare que la solution serait une hausse des salaires nets. « Il n’est pas normal aujourd’hui que des jeunes ne puissent pas devenir propriétaires de leur logement. » Un clin d’œil un peu grossier aux jeunes présents mais qui ne manque pas de plaire, à en juger par le silence concentré et admiratif qui règne depuis quarante minutes dans la salle aux trois-quarts pleine.
Au moment où le discours de lancement de l’année à Sciences Po prend un tournant de déclaration de début de campagne, elle prend le temps de préciser la raison pour laquelle elle fait ces propositions : « Je vais produire des idées à la place qui est la mienne pour populariser les réformes et aiguiller le gouvernement. Il faut qu’on soit porteur de réformes, si le gouvernement nous les pique il nous les piquera. » Si elle critique la politique du gouvernement actuel elle lui reconnait en effet une « audace réformatrice », mais craint que celle-ci ne s’essouffle avec la baisse de popularité de l’exécutif dans les sondages.
La politique des villes
Pour la présidente du conseil régional d’Île-de-France, le sujet de la ville est d’ailleurs l’un de ceux qui doivent être traités en premier. « Sur les quartiers populaires, il faut un Big Bang. On a acheté la paix sociale, et les banlieues sont devenues des lieux d’enfermement. Pendant plusieurs années, on s’est fait dominer par la gauche sur la question du logement social ». Elle pense en effet qu’il faut une politique du logement se basant sur un nouvel « équilibre », avec un plafond maximal à 30% de logements sociaux dans les villes, dans le but « d’éradiquer les grands ensembles ». Elle s’inspire pour cela de la politique ferme des Danois de centre droit, qui « ont la même logique [qu’elle] », et donnent la preuve de la possibilité de réaliser un tel projet dans la pratique. Leur programme consiste en effet à ne pas excéder les 30% de logements sociaux dans les villes, et à limiter également à 30% le quota d’enfants issus de l’immigration de la première génération dans les écoles. Et Valérie Pécresse de rajouter à ces idées qu’elle soutient le projet de doubler les peines dans les quartiers les plus criminogènes. « On devrait taper plus fort là où il y a plus de crime. » explique la femme de droite. Sur le thème de l’immigration, qu’elle relie directement à cela, là aussi le message est clair : « Aujourd’hui nous faisons face à une vague migratoire colossale face à laquelle nous sommes d’une grande lâcheté. Il faut être clair : nous sommes une terre d’asile, et les persécutés ont le droit de demander l’asile, à condition de prouver la persécution qu’ils subissent. Il faut donc des centres d’asiles fermés pour traiter les demandes. Mais s’ils sont dégoûtés ils peuvent repartir ! On a le droit d’accueillir les persécutés comme on a le droit de restreindre l’immigration économique. Ce type d’immigration est destiné à des personnes pour lesquelles on peut trouver de l’emploi, qui sont intégrables, cela s’appelle la loi de la République. » Selon elle, la solution à l’immigration se trouve ainsi dans la création d’un « grand plan Marshall », afin de créer de l’emploi en Afrique. « Il va falloir les faire revenir. » déclare la femme politique. Qui et où, la question reste en suspens.
Ambition
Si toutes ces mesures n’ont pas été mises en place en France enfin, c’est d’après elle que le pays n’a pas encore trouvé la figure politique capable de les incarner. Mais là encore elle ne nous laisse pas en reste et propose sa solution : « Il manque une Margareth Thatcher à la politique française. » En précisant qu’elle ne parle pas d’elle, la blonde à la main de fer déclare sur un ton qu’elle revendique féministe, citant l’ancienne première ministre britannique : « Quand vous voulez que quelque chose soit dit, demandez à un homme, si vous voulez que quelque chose soit fait, demandez à une femme. »
Ainsi, même si le modèle politique de Valérie Pécresse date des années 80, on se souviendra de cette Assemblée Générale LR 2018 à Sciences Po comme celle d’un appel à repenser la politique différemment et à sortir des sentiers battus de « la politique à la papa ». Si son murmure à la jeunesse du 27 rue Saint-Guillaume se dessine en opposition au gouvernement actuel, sa volonté rebelle de quitter « l’ancien monde » n’est pourtant pas inédite. La promotion des avantages de la mondialisation et du libéralisme économique rapproche celle qui se définit elle-même comme « pro-entreprises » du Président actuel, quand ses déclarations au sujet des banlieues et de l’immigration inscrivent définitivement son discours dans une tradition chiraquienne.
À la veille des élections européennes, ce regard critique et ces propositions aux allures de programme peuvent donner l’impression que la marraine de la section LR cherche à fournir une ligne pour la jeunesse militante à Sciences Po. Comme le rappellent les principaux responsables des pôles de l’association, l’objectif de cette année est de trouver des idées nouvelles en vue des élections. Cependant la section s’en défend : « Cette année nous avons choisi de ne pas donner de ligne spécifique à la section LR Sciences Po. » déclare Madeleine Graveleine, responsable de l’argumentation. « Toutes les tendances y sont représentées. Celle de Valérie Pécresse est présente mais elle n’est pas suivie par tous, un peu comme au sein du parti national. Si nous l’invitons c’est surtout pour qu’elle partage sa vision de la politique actuelle, les enjeux de sa mission mais pas vraiment pour nous présenter une ligne à suivre. »
L’appel est donc lancé. Pour participer à la campagne, nul besoin d’être fédéraliste ou eurosceptique, rappellent les militants avec dérision, et dans la mesure où même un bloqueur a des chances de finir Valérie Pécresse, sauf si vous êtes migrant, de gauche ou macroniste, l’heure est à l’ouverture et non à l’exclusion.
Alice Bergoënd
Alice Bergoënd