Oncle Boonmee, celui qui se souvenait de ses vies antérieures
Peut-être l’événement cinématographique de la rentrée, Oncle Boonmee fait débat depuis son sacre cannois d’il y a quelques mois. « Palme de l’ennui » pour Le Figaro, dont on peut dire que les journalistes culturels n’ont de toute façon jamais véritablement brillé par leur finesse et leur ouverture d’esprit, « un paradis de cinéma » pour Libération, « beau mais chiant », enfin, pour la plupart. Le film étant sur les écrans depuis le Mercredi 1er Septembre, il est donc temps pour ceux qui en auraient le courage d’aller se faire leur propre avis sur la question.
Apichatpong Weerasethakul, le réalisateur thaïlandais dont le nom n’est pas aussi difficile à prononcer que les médias aiment à le faire penser (essayez d’une traite, vous verrez), n’est pas un inconnu du festival de Cannes. Deux de ses précédents films, Blisfully Yours et Syndromes and a Century, y avaient déjà remporté des prix mineurs. Mais cette année, le jury cannois présidé par le surprenant Tim Burton a eu l’audace d’accorder la Palme d’Or à ce film au titre intrigant, Oncle Boonmee, celui qui se souvenait de ses vies antérieures. Un film qui, avant le 23 mai (date de la remise des prix) n’avait toujours pas trouvé de distributeur. C’est une chance. C’est une chance car grâce à cette Palme, le film est aujourd’hui diffusé dans une centaine de cinémas en France, et voici là une opportunité peut être unique de voir sur grand écran une œuvre singulière qui dévoile une autre façon de faire du cinéma, radicalement différente de la manière que l’on pourrait qualifier d’ « occidentale » (tout en prenant conscience du caractère éminemment simpliste de cette appellation) car moins structurée et plus sensorielle.
Et donc, de quoi ça parle ? Boonmee est un vieil apiculteur thaïlandais, atteint d’une maladie rénale. Voyant sa mort arriver, il va passer les derniers jours de sa vie accompagné de ses proches, ceux qui sont vivants et ceux qui sont morts, rappelés et revenus à lui sous la forme de fantômes. Avec eux, il va se remémorer ses souvenirs, les souvenirs de moments passés dans cette vie, et les souvenirs de moments passés dans d’autres.
Déjà, à ceux qui en douteraient encore, Oncle Boonmee vient rappeler la force du cinéma pour rapprocher les cultures. Simplement, subtilement, Apichatpong Weerasethakul (ou « Joe », surnom que s’est donné le réalisateur lui-même) en dit long sur le contexte politique de la Thaïlande (la référence aux conflits ayant opposé les autorités thaïlandaises aux communistes, ou l’évocation des laotiens venus se réfugier en Thaïlande…), mais aussi sur le contexte historique, géographique et surtout culturel et religieux du pays. Ainsi certains plans, comme celui de ce moine bouddhiste avec son téléphone portable sont autant de témoignages de la dichotomie entre tradition et modernité qui peut exister en Thaïlande.
Surtout, Oncle Boonmee n’est pas juste une histoire. Le film est un voyage, dans tous les sens du terme. Un voyage sensoriel, pour les protagonistes du long métrage, et pour le spectateur lui-même. Un voyage dans la jungle thaïlandaise, devenue, grâce aux images et à la bande-son qui joue un rôle primordial, un véritable monde en soi, peuplé de créatures quasi-mythologiques, de princesses, un monde dans lequel se côtoient les animaux et les humains dans une harmonie naturelle. Un voyage, aussi, dans la mémoire du personnage principal : les repères temporels disparaissent, et les souvenirs des vies antérieures de Boonmee ressurgissent comme autant de visions mystiques. Un voyage, enfin, jusqu’à la mort, qui traverse tout le film et qui n’est jamais vue, ressentie et vécue que comme une étape de plus, comme une renaissance.
Incroyablement riche, d’une beauté plastique stupéfiante, hypnotique, abordant des sujets dramatiques (la mort d’un individu, le deuil, la solitude) avec simplicité et une grande tendresse, le film est, à l’image de son personnage, paisible, serein. Cinéma sur la mémoire (qui rappelle un peu Lynch), sur les angoisses de la maladie et de la mort, sur la réincarnation, sur la vie, sur la nature, sur la Thaïlande, Oncle Boonmee est tout cela à la fois, et plus. Il y aurait beaucoup à dire sur lui, mais au-delà de tous les mots ce film est d’abord une expérience hors du temps, à vivre en salle. Aussi, peu importe le jugement que l’on pourra porter sur lui, Oncle Boonmee, celui qui se souvenait de ses vies antérieures, est à voir par tous ceux qui sont curieux d’un cinéma différent, d’une culture différente, d’un ailleurs.
4 Comments
Cinephile
Jago facile le commentaire. Ne serait-ce que pour l’emploi à peu près hors de propos de « boboitude ». Si tu veux des critiques courtes, tu peux toujours lire DirectMatin.
Jago
Ni la longueur ni la « boboitude » de cette critique ne sauraient m’ennuyer autant que le film en question. Arrêtez, vous n’avez pas aimé, je ne vous crois pas!
Romain
Bravo pour cette critique réfléchie. Gageons que cette Palme d’or audacieuse soit le début de la fin d’un certain cinéma américain qui a fait bien des dommages depuis les années 1980…
Jojo
Fantastique critique!