Nouvelles du Métro : Mathys ouvre nos yeux
Mathys Foreau est étudiant à Sciences Po. Mathys a un handicap : il est non-voyant. En règle générale, nous voyons le handicap avant de voir l’étudiant. Lorsque nous sommes confrontés à une personne « non-valide », nous sommes nombreux à avoir pour première pensée la compassion. Nous compatissons face au triste sort d’une personne dont nous sommes persuadés que sa vie et ses rêves seront sans cesse bridés par toutes sortes de barrières. Mathys Foreau ne connaît pas les barrières. Il les brise.
Recueil d’œuvres composées à l’occasion d’un atelier artistique en première année, les Nouvelles du Métro font un peu l’effet d’une thérapie de groupe. Ce livre, qui contient deux nouvelles intitulées « Le Jour où tout a basculé » et « Par contre, il y a des marches » nous permet de réaliser que sur bien des aspects, nous sommes ceux qui ne voient pas. Nous croyons obstinément que la différence physique crée un mur qui nous isole de ceux qui, comme Mathys, se sont vus privés de l’un des cinq sens. Ce mur, ce sont les fameuses « marches » qu’il gravit en sortant du métro. Les personnes qui l’aident à monter sont persuadées que ces marches représentent une difficulté terrible pour le jeune sciencepiste. À l’arrivée, il parvient toujours en haut de l’escalier. Et c’est là ce que bon nombre d’entre nous n’osent pas comprendre : quand on a de la volonté, il est peu de difficultés qui soient insurmontables.
À la rencontre du « cher ami »
Les difficultés existent, pourtant. Mais les autres sont là pour nous aider à y faire face. Afin de nous aider à le comprendre, Mathys Foreau met en scène Simon, un trentenaire accompli qui convoque ses souvenirs d’étudiant pour se rappeler l’origine de son étrange aversion pour le métro. Simon n’ose plus entrer dans le métro depuis qu’il y a fait la rencontre d’un personnage atypique. Gai et serein, celui-ci n’a de cesse de parler avec ses voisins dans la rame, dérogeant ainsi à l’une des règles les plus élémentaires de la vie parisienne, celle qui veut que l’on évite – dans la mesure du possible – de croiser le regard de qui que ce soit dans les transports publics.
« Qui est cet homme pour qu’on l’aide à faire ses courses ? »
Le caractère avenant du jeune homme irrite le conventionnel Simon. Bientôt, il découvre que ce « cher ami » – comme il se plaît à le nommer – qui l’obsède parvient toujours à se faire aider par les passants, et que ces derniers trouvent même un certain plaisir à le faire. Et Simon de se demander : « Qui est cet homme pour qu’on l’aide à faire ses courses ? ». Cet homme a les yeux grands fermés mais n’éprouve aucun mal à les ouvrir sur le monde. Il s’enquiert de la vie de ses rencontres d’un jour, d’une rame ou d’un trottoir. Il écoute les histoires de tous avec intérêt. Ne se lassant pas d’aller vers les autres, il est, souvent, ce que nous refusons d’être.
Cela fait de notre « cher ami » un personnage très énervant. Et donc un personnage d’autant plus efficace. Le « cher ami » est notre miroir. Il reflète la vision que l’on peut avoir des personnes invalides. Tout en éprouvant de la pitié pour ces personnes dont on se figure qu’elles ne peuvent pas être satisfaites de leur situation, nous nous enfermons dans une logique qui nous pousse à faire d’eux des êtres différents. Et donc à leur parler, souvent, de façon mesurée et distante, comme s’il fallait s’en méfier. C’est précisément ce comportement qu’adopte Simon vis-à-vis de l’inconnu du métro, ce qui donnera lieu à une chute des plus surprenantes. La confrontation entre Simon, l’étudiant mesuré, et notre « cher ami », inconnu bien trop libre, ne pouvait que conduire vers de houleuses péripéties.
Oser grimper toutes les marches
Réalité ou fiction ? Mathys Foreau laisse planer le doute. À travers cette lecture, il tient toutefois à faire passer un message bien réel : les aveugles ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Dans une deuxième nouvelle à dimension autobiographique intitulée « Par contre, il y a des marches », Mathys fait le portrait de toutes celles et ceux qui l’ont aidé dans sa vie, et particulièrement dans son enfance. Une enfance qui ressemble finalement à celle de beaucoup d’autres enfants. Si Mathys n’a pas été isolé des autres, c’est aussi en grande partie grâce à l’indéfectible soutien de sa famille et de ses amis. Tous ont su le persuader que son handicap ne l’empêchait pas de faire ce qu’il aimait. Avec quelque chose en plus ? Oui, la détermination dont Mathys a fait preuve pour vivre sa vie et ses rêves. En dix-neuf ans, le jeune homme est passé ceinture marron de judo, a parcouru des centaines de kilomètres à travers l’Europe en vélo, est entré à Sciences Po, a édité son propre livre. Entre autres choses. Ce champion de France handisport le répète comme un mantra : « S’apitoyer sur le sort des personnes en situation de handicap ne fait que renforcer les marches qui nous séparent des valides ».
« Je ne fais pourtant de tort à personne / En suivant les chemins qui ne mènent pas à Rome » Brassens
C’est ici que les nouvelles de Mathys trouvent tout leur sens. Au-delà de la qualité d’écriture de l’étudiant, qui manie les descriptions avec une habileté telle que chacun est capable de se promener dans le décor qu’il dessine, c’est la destination de l’œuvre qui fait sa singularité. Ces deux nouvelles sont des nouvelles pour les autres. Pour ceux qui l’ont encouragé, et pour ceux qui doivent être encouragés. Mathys Foreau nous invite à « ne pas prendre les chemins qui mènent à Rome ».
Au fil de son existence, l’adolescent fut confronté à deux nombreuses personnes qui étaient persuadées qu’il n’était pas capable de faire ceci, ou cela. Étudier dans un lycée classique ? Impossible, car le bâtiment « n’était pas aux normes » selon sa directrice. À l’arrivée, Mathys est parvenu à y effectuer sa scolarité sans problème. Tenter l’examen d’entrée à Sciences Po ? Difficile, mais Mathys l’a fait aussi. Et une fois entre les murs du 27, rue Saint-Guillaume, il a fait de son mieux pour y rester lui-même. Un autre point très important pour l’auteur, qui voudrait faire de l’altérité une force là où beaucoup la voient aujourd’hui comme une faiblesse, ce qu’il ne manque pas de rappeler dans son livre. Est-ce parce qu’il y a un moule dans lequel nous sommes enfermés qu’aujourd’hui, « les gens n’ont plus d’amis » ? Une chose est sûre : il faut, pour dire que l’on a vécu, ne pas avoir peur d’emprunter les chemins de traverse.
Finalement, s’il y a une phrase qui paraît illustrer le parcours personnel de Mathys et le message véhiculé par son livre, c’est bien celle-ci, œuvre du philosophe Alain : « Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté. » Et à la lecture des mots de cet étudiant en deuxième année qui rêve d’embrasser une carrière de journaliste, nul doute que la volonté est une chose qui ne fait pas défaut chez lui.
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