Militant à Sciences Po, le mode d’emploi
Un article d’Alice Brogat et de Malte Penot-Lacassagne, avec l’aide de Martin Lewandowski.
Les 6 et 13 décembre prochains auront lieu les prochaines élections régionales. Le scrutin, a priori peu prisé, n’a pourtant rien d’anodin. Il s’agit non seulement des premières élections régionales depuis la réforme territoriale, mais aussi de la dernière échéance électorale avant les présidentielles de 2017. Dans les partis politiques comme au sein des sections à Sciences Po, la campagne prend des airs de répétition générale. La Péniche a voulu en savoir plus. Petit guide du militant du 27.
Une mobilisation à géométrie variable
Tous les partis politiques représentés rue Saint-Guillaume ne participent pas à la campagne des régionales. C’est notamment le cas de la section de Nouvelle Donne, dont le parti national ne présente aucun candidat en Ile-de-France. « Les adhérents ne se sont pas mis d’accord sur le choix d’un candidat en Ile-de-France, aucun ne répondait à leurs exigences, explique Alexandre Louradour, président de Nouvelle Donne Sciences Po. Nous pensons par ailleurs qu’il y a un autre enjeu plus important dont on doit parler à Sciences Po en ce moment : la COP 21″.
Même son de cloche chez les Ecolos Sciences Po. « Nous préférons axer notre communication sur la COP 21, plutôt que sur la campagne des régionales, une grande partie de nos adhérents venant de la société civile, et n’étant pas impliqués dans le parti », confie Amélie Gaillat, membre du bureau collégial. La structure de l’association ne joue pas en sa faveur. « Nous ne sommes pas une section, mais une association politique visant, entre autres, à relayer la communication du parti EELV et des Jeunes Ecologistes, qui représentent le mieux nos idées. Chaque militant-te peut décider librement de mener la campagne d’EELV où il-elle veut en France. »
Les sections impliquées directement dans ces élections demeurent en règle générale assez indépendantes de leur maison mère. Leurs représentants rappellent qu’ils ont décidé de s’impliquer dans la campagne de leur plein gré. Côme Delanery, militant du Front de Gauche, explique ainsi que « toutes les initiatives viennent des étudiants qui décident spontanément de leurs événements et des thèmes traités. » Tiphaine Armand (UDI) ajoute que cette mobilisation spontanée « est un acte remercié et applaudi par le parti. »
En revanche, du côté du FN, il semblerait que la mobilisation soit une manœuvre politicienne et une décision de parti : « Notre section à Sciences Po est clairement là pour nourrir le programme de Marine Le Pen en 2017 et pour la faire gagner. Tous les éléments de Sciences Po, comme grand établissement de l’enseignement supérieur sont utiles [à Marine Le Pen] pour son programme », explique Thomas Laval, président du FN Sciences Po. Cette démarche demeure une exception à Sciences Po.
Des militants très impliqués
Malgré un emploi du temps d’étudiant chargé, le militant de Sciences Po défend ses convictions avec passion et s’implique intensément dans la campagne de son parti. Pour ce faire, tout est calculé pour convaincre le maximum de personne en un minimum de temps. Les militants du PS nous présentent par exemple les avantages du porte-à-porte : « des études comparatives menées durant la campagne de Hollande ont montré que cette manière de faire campagne est beaucoup plus efficace que le tractage« , explique Séraphin Élie, secrétaire de la section. À l’inverse, Omar Ben Abderahmen, vice-président des Républicains Sciences Po, rapporte que les militants des Républicains privilégient le tractage dans Paris, tout comme les militants de l’UDI.
Du côté du Front National, l’action prend une toute autre forme : en quête de légitimité à Sciences Po, la section se concentre sur des actions militantes au sein même de l’école : « Nous avons tenu une table pour faire connaître le programme de Wallerand de Saint-Just (Note de la rédaction : le candidat FN en Île-de-France) » explique Thomas Laval, qui rajoute : « nous allons placarder des affiches de Florian Phillipot et de Wallerand de Saint-Just, distribuer des tracts et des goodies. »
Toutefois, les actions du militant sciencepiste ne se limitent pas aux seules actions de terrain. En effet, elles passent aussi par des conférences ou des débats : le Front de Gauche a par exemple invité Eric Coquerel, tête de liste du rassemblement FDG à Paris, à Sciences Po.
Par ailleurs, du côté des Républicains, la section est presque directement impliquée dans l’élaboration du programme de son candidat : « Nous faisons un travail de fond : nous avons un groupe de travail qui produit des fiches sur des projets, des propositions des étudiants de Sciences Po. Elles sont ensuite transmises à l’équipe de Valérie Pécresse (NDLR : la candidate LR en Île-de-France) » , détaille Omar Ben Abderahmen.
Séraphin Élie, résume parfaitement cet état d’esprit. « Je considère que participer à la campagne des élections régionales est une question de responsabilité vis-à-vis du parti. Si on ne participe pas, on n’a pas la possibilité de rencontrer les hommes politiques. Il est essentiel de connaitre le candidat pour qui on milite. On ne peut pas dissocier la politique du militantisme. »
Un travail autonome, utile et applaudi par le parti
Les sections de Sciences Po bénéficient d’une grande autonomie dans leur travail militant. « En tant qu’organisation étudiante indépendante, on a toute la latitude de réflexion que l’on veut », confirme Côme Delanery (FDG). Toutes les sections s’accordent d’autre part sur les bénéfices que les cadres du parti retirent de l’investissement de la jeunesse. « Ils ont besoin de confronter leurs idées aux nôtres. Hervé Morin est très enclin à l’échange et il respecte, écoute et met en oeuvre quand cela vaut le coup les idées des jeunes qui représentent l’avenir à ses yeux. Les jeunes en politique sont une espèce rare et nos aînés ont besoin de nous pour rester dans la réalité des générations, c’est pourquoi ils nous poussent à continuer », souligne Tiphaine Armand (UDI).
Il faut bien sûr avoir à l’esprit que la jeunesse est aussi un argument de campagne. « Beaucoup d’électeurs sont réceptifs quand les jeunes s’engagent », ne cache pas Séraphin Élie (PS).
Le militant du 27 est efficace, et le parti duquel il dépend sait le lui faire savoir : « Valérie Pécresse est reconnaissante [de notre travail], d’ailleurs nous l’avons reçue pour notre assemblée générale et elle était très contente du boulot que l’on fournit à Sciences Po », se réjouit Omar Ben Abderahmen (LR).
Le militantisme étudiant : démarche désintéressée ou tremplin de carrière ?
La détermination et la ténacité des militants de Sciences Po au service de leur section est indéniable, et celui qui la remettrait en cause aurait bien du mal à trouver des arguments pour soutenir son affirmation. Mais quels sont les motifs qui poussent les étudiants à militer ? À première vue, leur démarche semble désintéressée. « Si on ne le fait pas, qui le fera ? A 20 ans, on a le temps et l’énergie pour rencontrer les gens. Il faut y croire. La moitié des gens ne croient plus en la politique, donc le travail que l’on fournit lors des élections locales est important », affirme Séraphin Élie (PS). « A posteriori, on se rend compte que c’est utile. On parle à des gens à qui on ne parle jamais autrement. Cette confrontation nous permet aussi d’affiner notre argumentaire » renchérit Milan Malik, responsable du pôle mobilisation externe de la section du PS à Sciences Po.
Les raisons avancées par les Républicains sont sensiblement les mêmes. « Il faut aimer le contact avec les gens si l’on s’engage. On ne s’investit pas parce que l’on est obligé de le faire, d’ailleurs nous le disons aux militants de notre section », confirme Omar Ben Abderahmen. Tiphaine Armand (UDI) va dans le même sens. « S’investir dans une campagne quand on est étudiant, c’est comme vouloir s’investir dans une association ou accomplir un projet humanitaire. C’est une volonté personnelle de s’engager pour les autres qui s’explique principalement par le plaisir que cela procure. Ainsi l’investissement au sein d’une campagne est motivé par des valeurs, des idées et un avenir commun meilleur à nos yeux. »
Toutefois, l’engagement militant via une section sciencespiste est-il toujours mu par des objectifs uniquement altruistes ou ne répond-il pas parfois à des desseins plus personnels ? C’est du moins ce que dénonce Alexandre Louradour (ND) : « Je reproche l’opportunisme de certains lors des campagnes. Il s’agit d’une minorité, mais certains cherchent à se placer, à créer des liens au niveau local et national. Pour moi, le but premier d’une association politique à Sciences Po n’est pas de s’assurer un avenir via le réseautage et le placement. Les associations ne servent pas à faire campagne mais à produire du débat dans l’école. »
Les sections les plus à gauche défendent un militantisme désintéressé. C’est le cas du Front de Gauche : « En s’engageant on ne cherche pas à faire carrière. On fait cela pour défendre les idées qui nous tiennent à coeur et qui sont centrales dans la lutte aujourd’hui : égalité, démocratie, progrès social, écologie, etc. » se défend Côme Delanery. Même réponse chez les Ecolos Sciences Po, puisqu’Amélie Gaillat confirme que « l’idée est surtout de faire ce qui nous plait et de trouver des moyens de changer les choses à notre échelle. »
Néanmoins, quand l’on se déplace vers la droite de l’échiquier politique, le carriérisme semble plus présent, ou du moins plus avoué. Séraphin Élie est conscient que « le phénomène de réseautage existe ». « Certaines personnes ont vraiment envie de se montrer, mais il ne faut pas non plus tout condamner. Il s’agit souvent de personnes qui croient en la possibilité de changement, qui ont envie de faire des choses concrètes. Or il n’y a pas de miracle : il faut être sur une liste pour être élu. » Chez les Républicains, ce phénomène n’est pas non plus mal considéré. Au contraire, Omar Ben Abderahmen reconnait que participer à une campagne permet de « s’ouvrir une porte dans le monde politique. C’est ainsi que cela marche, en faisant ses preuves, en montrant l’envie de s’impliquer. Et c’est une bonne nouvelle, la section veut que les gens aient l’opportunité de s’impliquer en dehors de la section des Républicains de Sciences Po. »
Déterminé et enthousiaste, le militant du 27 défend avec conviction ses opinions. Jamais à court de temps ni de volonté pour promouvoir sa section en Péniche, il se bat avec passion pour faire vivre le débat public à l’échelle de Sciences Po. Même s’il est souvent déconsidéré par ses camarades, il reste une figure incontournable de la vie étudiante de notre école.