Le Mag’ : Irving Penn au Grand Palais
Nature morte, nu, mode, reportage, portraits ; tel un peintre, le photographe Irving Penn entreprit toute sa vie d’exploiter les différents styles et techniques de son art. Alors que l’on célèbre son centenaire, le musée du Grand Palais nous propose une rétrospective sur son parcours, avec 235 tirages exposés tirés en épreuves gélatino-argentiques ou en procédés au platine-palladium.
Des débuts remarqués chez Vogue
En 1943, Penn fut engagé par le directeur artistique de Vogue, Alexander Liberman, et débuta sa carrière de photographe dans la mode. A son retour de la guerre en 1945, il fut chargé de photographier des célébrités ; Alfred Hitchcock, Salvador Dali, Le Corbusier, les frères Dusek… Ayant carte blanche sur l’ensemble des séances, il joua habilement avec la lumière et le volume en invitant les personnalités à poser entre deux cloisons étroitement resserrées, de telle sorte que le regard du spectateur se dirige au premier coup d’œil vers le sujet du portrait. Rendre l’arrière-plan neutre était l’une des règles de Penn : il transportait partout, que ce soit à New-York, en Nouvelle-Guinée ou dans les Andes, le même vieux rideau de scène gris qui lui permettait de mettre autant en valeur ses modèles.
Un goût certain pour le photoreportage
Le photographe a par ailleurs été mené à plusieurs reprises à réaliser des commandes de mode dans différentes régions du monde, notamment en Amérique du Sud, en Asie Pacifique et en Afrique. Dans ces endroits reculés, Penn s’attelait à photographier les indigènes dans leur tenues traditionnelles ou tenues de métier afin de retranscrire les modes de vie dans ces pays. Afin de nouer un lien et une complicité particuliers avec ses modèles, il les faisait poser dans un studio qu’il improvisait avec sa tente et son rideau de scène, créant « une zone neutre » où chaque interaction entre l’artiste et le sujet comblait les différences culturelles.
Sur les tirages, on remarque que les indigènes fixent l’objectif de l’appareil sans fléchir et de manière naturelle, contrastant avec l’artifice de la photographie en studio. Irving Penn a utilisé les mêmes procédés lorsque Vogue l’envoie photographier en 1950 les petits métiers parisiens. L’artiste, de la même manière qu’il effectuait ses séances avec des mannequins et des célébrités, photographiait les artisans avec leurs tenues, outils ou marchandises dans ses studios avec une lumière naturelle, formant « un menu équilibré ». Ces photographies représentent un témoignage important des modes, des cultures et des styles de vie de l’époque qui existaient dans différentes régions du monde.
Percer le mystère, faire tomber les remparts
Après son entrée brillante dans le monde de la photographie en tant que portraitiste dans la mode, ses services furent très demandés. Irving Penn chercha alors à percer les expressions figées des modèles qui posaient dans son studio. Pour ce faire, il n’utilisait pas de musique, préférant le naturel, il proposait un café aux célébrités, discutait avec elles, les encourageait pendant les séances afin de faire tomber les remparts et dévoiler leur naturel à l’appareil photo. Picasso, Cocteau, Hepburn, Saint-Laurent, autant de célébrités dont il a extrait la personnalité à travers les regards et qu’il aimait mettre en scène comme dans des tableaux ; le portrait de Joan Miro et sa fille, Dolorès est, selon Penn, « la réplique photographique du tableau peint par Balthus (Balthasar Klossowski) ».
Et en effet, Irving Penn s’adonnait au jeu du sculpteur. Il aimait emprunter les cadrages, les éclairages et les poses aux tableaux de Goya ou de Daumier, surtout lorsqu’il pouvait faire interagir plusieurs sujets, que ce soient des mannequins, des célébrités, des tribus africaines ou de simples objets trouvés dans la rue. Les natures mortes restent les plus grands témoignages de son ingénuité compositionnelle. Ainsi, l’interaction des objets représente l’action qu’il entend photographier et cherche encore une fois à refléter la personnalité du ou des sujets. Prenons Theater Accident ; Penn photographie un sac à main chic qui s’est déversé à terre aux côtés d’une chaussure féminine. L’action de l’accident s’est déjà produite, mais le fait que le sac se soit déversé la représente, et les jumelles de spectacle au centre de la photo nous indiquent que cela s’est passé au théâtre. Tous les autres objets deviennent des attributs du sujet, qu’on devine être une femme, et le spectateur peut ainsi deviner sa personnalité.
Un artiste parfois incompris
Malgré ses talents techniques et artistiques indéniables, Irving Penn a aussi été un photographe qui a parfois eu du mal à faire apprécier ses œuvres à leur juste valeur. Ses Nus et ses natures mortes, comme sa collection Cigarettes, se sont notamment heurtées à l’incompréhension du public alors qu’il avait fait preuve d’innovation technique, particulièrement pour ses Nus. Pourquoi chercher à photographier « les femmes réelles dans des situations réelles » ? Ou encore des objets ramassés dans la rue indignes de notre attention ? En ce point, on découvre une personnalité engagée de Penn. Celui-ci dénonçait tout d’abord les corps « famélique » des mannequins en photographiant des corps enrobés comme dans son Nude No. 1. Il souhaitait briser la vision idéale du corps mince, voire maigre, de la femme. En ce qui concerne les Cigarettes, Irving Penn souhaitait révéler à travers les mégots récupérés dans les caniveaux l’irresponsabilité du gouvernement et des entreprises. Lui-même détestait et luttait contre le tabac depuis la mort de son mentor Alexey Brodovitch, connu pour avoir sans cesse une cigarette à la main.
L’exposition se termine sur ses dernières œuvres, dont la noirceur et la nostalgie transparaît dans les regards de ses modèles et reflètent sa propre attitude face à la vieillesse. Cette exposition nous propose soixante ans de photographie qui met en valeur un innovateur et un technicien de cet art.
Vous pouvez découvrir « Irving Penn au Grand Palais » jusqu’au 29 janvier 2018.
Grand Palais : 3 avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris (accès avenue Winston Churchill)
Ouvert lundi, jeudi, vendredi et week-ends de 10h à 20h, ouvert le mercredi de 10h à 22h, fermé le mardi. Fermeture à 18h dimanche 24 et 31 décembre et fermé le lundi 25 décembre.
Métro : lignes 1, 9, 13 / Stations : Franklin-D.-Roosevelt, Champs-Elysées-Clemenceau
RER : ligne C / Station : Invalides
Bus : lignes 28, 42, 52, 63, 72, 73, 80, 83, 93
Plein tarif : 13 euros, Tarif réduit (18-25 ans) : 9 euros