Loin des montagnes et des maisons rougies. (2)
On ne dort plus tranquille au pays de la vieille Damas. Le 11 mars célébrait tristement les trois ans du conflit. Complot occidental ou israélite, guerre civile, poussée islamiste. Les noms n’ont pas manqué dans les journaux. Mais aucun n’a été capable de me renseigner de ce qui se passait vraiment en terre syrienne et aux frontières.
Je n’avais rien compris aux attaques aux gaz de Damas. Je n’avais rien compris à la frontière poreuse du nord où on applique la Chariah. Je n’avais rien compris à la position américaine, qui croisait les bras quand elle avait dit qu’elle débarquerait avec ses GI’s. Je n’avais rien compris à Genève 1.
Je n’avais rien compris. Un soir j’ai rencontré Manon, une fille de mon lycée, ancienne expat’ à Damas. On parle de Bachar. Elle le soutient fermement. Alors je décide d’essayer de comprendre.
C’est pour pouvoir prendre position que j’ai décidé de rencontrer les syriens de Paris. Les critiques envers la diaspora ne manquent pas. Elle aussi, elle est loin des combats. Elle est pourtant la voix des familles restées au pays.
Série de portraits et récit d’une aventure.
PORTRAIT DEUX : UN JEUNE ÉTUDIANT À L’UNIVERSITÉ PARIS DAUPHINE
Joe est un ami de Manon. Il n’a pas peur de son nom ni de ses opinions. Je l’ai rencontré trois fois, à trois mois d’intervalle. Il a beaucoup changé
Joe est un chrétien du quartier est de Damas. En octobre, il m’a parlé des bombes et des morts, du harcèlement permanent de son quartier, tenaillé entre attaques rebelles et réponses du régime.
Il vit à Paris avec son frère depuis trois ans. Sa famille vit à Damas dans le quartier chrétien à l’est de la ville. Pour lui, la rébellion est une plaie mortifère. L’inflation s’affole depuis la mise en place d’embargos internationaux. Seule l’Iran permet à l’économie syrienne de survivre. Les pénuries d’essence, de nourriture, les coupures d’électricité rythment la vie des Damascènes et des syriens. Les divisions religieuses déchirent de nouveau le pays. Les islamistes arrivent en masse par la frontière poreuse du nord avec la Turquie.
Il parle de lui. Il vit dans l’attente des nouvelles de sa famille. La cuisine de ses grands-parents a été détruite trois fois. Plusieurs de ses amis sont morts dans des attentats. Et pourtant Damas est sécurisée –même si son quartier, proche de la banlieue rebelle, est victime récurrente d’attaques au mortier par les insurgés-. L’armée a acquis le soutien de la population à Alep. Homs semble sur la bonne voie, même si la ville a été complètement dévastée. Restent les réfugiés et la réconciliation du pays. Une question de temps.
Pour Joe, la crise syrienne est présentée sur l’aspect humanitaire. C’est en fait un conflit qui instrumentalise les vidéos et sert les grandes puissances, même s’il est le premier à dénoncer la corruption et la violence de l’armée. L’opposition n’est pas légitime : le CNS crée à Paris en 2011 siège à Istanbul. Composé des grandes familles du pays, il n’est pas le représentant d’un pays déserté depuis trop longtemps. L’opposition que Joe défend c’est celle de Haytham Manaa, présent à Genève. C’est celle qui veut construire et sait qu’on ne peut se débarrasser de Bachar. C’est celle qui agit par amour pour son pays – et quand Joe en parle, on ne peut douter du sien.
Il soutient le régime pour plusieurs raisons. Les Assad sont les premiers à avoir intégré et protégé la minorité chrétienne du pays, en l’intégrant dans les ministères. Hazef el-Assad a permis la stabilité, après plus d’une vingtaine de coup d’état et de changement de gouvernement sous le pouvoir baasiste.
La Syrie a besoin d’une personnalité forte : une démocratie au sens plein du terme ne peut fonctionner. Trop de corruption, trop de problèmes de minorité. Les Assad ont permis la prospérité du pays [6% de croissance en 2009 malgré le ralentissement mondial].
Après 3 ans de conflit la population est fatiguée et craint les islamistes. Le régime de Bachar se présente progressivement comme le « moins pire », malgré des élections truquées, une liberté de parole restreinte –même si des opposants passent désormais à la télévision selon Joe- et le monopole sur certains domaines économiques par les Assad.
L’urgence, c’est « le nettoyage du pays ». Des accords entre l’armée et les rebelles sont possibles [comme à Yarmouk, camp réfugié palestinien, où le groupe islamiste Al Nosra a cessé son siège] : pour lui, ils ont coopéré pour expulser le groupe terroriste du camp.
Il faut parvenir à distinguer crise humanitaire et ruse politique : la Syrie ne doit plus être une marionnette aux mains de l’Arabie Saoudite, l’Israël, la France et les Etats-Unis.
Trois mois plus tard, Joe est serein. Il est apaisé. Il retourne à Damas pour les vacances de printemps. Les attentats qui avaient cessé depuis Noël ont pourtant repris : sa mère a failli en être la victime malheureuse il y a à peine une semaine. L’armée récupère néanmoins une grande partie du territoire. La rébellion a été prise en étau entre les islamistes et les diasporas. Aujourd’hui, il attend les élections et le retour à la normale. Son plus grand espoir, c’est l’opposition légitime qui a aujourd’hui le droit de s’exprimer dans le pays. Sa Syrie aura enfin droit au repos. Et dès qu’il finit ses études à Paris, il reviendra pour la reconstruire.