Lis Tes Ratures, ou comment briller en société avec Capra
Vous êtes convié à un dîner mondain chez des amis germanopratins. Installé, vous réalisez que les convives parlent fort et s’invectivent, disputant le bout de gras, ainsi que le prochain Goncourt. Anxieux que vous êtes de faire bonne figure, vous ne parvenez malheureusement pas à en placer une, vos maigres souvenirs du dernier Stendhal étant anéantis par les cent cinquante pages de droit ouzbek que vous avez ingurgitées la veille, entre autres réjouissances. L’angoisse de la discussion blanche ?
La Péniche vous propose cette semaine un aperçu de l’autobiographie de Frank Capra, Hollywood Story. Lights, camera… action!
Hollywood Story
, Frank Capra (1971).
Frank Capra. Un des plus grands noms du cinéma. Un réalisateur hors pair qui a fait briller les acteurs les plus célèbres (Cary Grant, Jean Arthur, Gary Cooper, James Stewart…). Un homme qui a façonné l’image de la société américaine des thirties. Un petit immigrant italien qui est devenu un star intemporelle.
Je l’ignorais, mais Frank Capra (Francesco pour les intimes) est aussi un écrivain talentueux. C’est de son autobiographie dont je veux vous parler aujourd’hui. Le titre original, The Name Above The Title: An Autobiography, est peut-être plus parlant que Hollywood Story. Je ne me suis pas lancée dans la lecture en VO pour autant. Je n’ai pas pu. En fait, je n’arrivais pas à décrocher de la version française que j’avais entre les mains. Dès que j’ai lu les premières phrases, le chant des cigales siciliennes a capté toute mon attention, et j’ai bu les mots de Francesco comme si c’était lui-même qui me racontait son histoire. True story.
Francesco Rosario Capra évoque d’abord son pays natal, sa maison, décrit brièvement sa famille ; l’enfance du jeune garçon est embaumée par la poussière chaude de Bisacquino, son village. Imaginez le bouleversement, lorsqu’il se retrouve à bord d’un bateau miséreux, entassé avec sa famille parmi des dizaines d’inconnus, en direction de cette autre inconnue, qu’on appelle l’Amérique… Francesco ne comprend pas vraiment pourquoi il faut absolument rejoindre un mystérieux grand frère aux Etats-Unis. Pourquoi quitter la Sicile, pourquoi s’arracher à la terre de Bisacquino ? Avec la légèreté d’un enfant, Capra joue avec les mots des adultes. Malgré l’optimisme dans son vocabulaire, la nostalgie est latente.
La famille Capra s’installe à Los Angeles, où chacun trouve du travail… sauf Frank. Le jeune garçon raconte son inébranlable motivation pour les études. Il commence par l’école primaire : non non et non, il ne veut pas la quitter ! Peu importent les remarques désobligeantes de son père, de ses frères, de ses cousins, qui le traitent de fainéant. La famille se tue à la tâche et toi tu te prélasses sur les bancs de l’école ? Frank se bute, refuse d’affronter cette discussion, et continue d’aller en classe. Il ne manifeste pas de l’égoïsme, mais de la foi.
Cette force de caractère m’a sincèrement frappée. Par la suite, pour payer ses études supérieures, Capra se lève tous les jours à quatre heures du matin, enfourche sa bicyclette, parcourt quinze kilomètres jusqu’à son université, fait son service au café du coin, commence les cours, sert les repas le midi, continue les cours, travaille le soir, et rentre chez lui à vingt-trois heures en vélo. Est-ce que cela l’a gêné dans sa scolarité ? Pas le moins du monde. Il obtient d’excellentes notes, les félicitations du jury, et tout ce qui va avec.
Pourtant, avec son diplôme d’ingénieur chimiste en poche, le jeune homme ne trouve pas d’emploi. On lui a fait miroiter l’abondance de travail pendant toutes ses études, et la désillusion persifle à travers le mur de sa foi. Ses frères se moquent toujours de lui ; il n’y a que sa mère et sa soeur pour le défendre. Il décide alors de s’engager dans l’armée. Mais à l’opposé de ses rêves de front européen et de batailles patriotiques, il se retrouve à enseigner la balistique aux soldats de San Francisco. Il ne tarde pas à tomber sérieusement malade, et se voit cloué au lit plusieurs semaines.
Sans vouloir véhiculer de cliché sur les Siciliens (mais un tout petit peu quand même), la mère Capra est dotée une terrible force morale. Lorsque son mari décède dans un accident, elle continue de soutenir Frank dans ses études (et Dieu sait à quel point ils ont besoin d’argent alors…). Lorsque Frank tombe malade, elle le veille la nuit, travaille le jour, et consacre ses moindres pauses à l’usine à courir à sa maison pour rafraîchir le linge sur le front de son fils.
La suite de l’aventure Capra reste un concours de circonstances improbables, mais qui feront de lui, petit à petit, un personnage dans le monde du cinéma, et dans le monde entier tout court.
La vie de Frank Capra, telle qu’il la raconte, est pleine de grandeur d’esprit et de force de caractère. Les rebondissements sont tellement inattendus – j’oserais même dire incroyables – que son histoire ressemble à un conte de fées. L’autobiographie de Capra est tout aussi digne que captivante ; elle rend hommage à ses origines, à sa famille, et à l’Amérique, qui a fait de sa vie une véritable oeuvre de grandeur.
Clara Duchalet.