LE MAG – Pas de mi-temps pour la politique argentine
Le 23 novembre, les Argentins ont élu le libéral Mauricio Macri comme Président de la République. Pour la première fois depuis longtemps, la démocratie argentine a su imposer l’alternance au terme d’un deuxième tour inédit. Si la page du kirchnérisme a été tournée, la récupération politique du football, datant des années 1970, est toujours d’actualité au pays du Dieu Maradona et du Messi.
Le 25 juin 1978 vers 20 heures, le général Videla, à la tête de la junte militaire en Argentine, met un terme à la 11ème édition d’une Coupe du Monde de football ternie par des rumeurs de matchs arrangés et les cris des communistes torturés, en tendant le trophée à son compatriote Daniel Passarella, le rideau de fer de l’Albiceleste de Menotti. Dans un pays où le football est bien plus qu’un sport, cette image hautement symbolique marque l’intensification des liens entre politique et ballon rond.
Le foot chez les Argentins, c’est dans la famille. Pour les jeunes, c’est même un passage obligé et chacun se doit de supporter le club du paternel avec autant de ferveur que ses aînés. Autant dire que, comme la viande et l’inflation, ça représente une bonne partie de leur quotidien. Et ça, les politiques actuels l’ont bien compris, à commencer par la future ex-présidente Cristina Kirchner.
Au pouvoir ces 12 dernières années, le couple Kirchner a utilisé le foot comme un outil central de sa politique populiste à grande échelle. En rachetant les droits de tous les matches et en assurant leur diffusion gratuite sur les chaînes publiques et YouTube, le gouvernement s’est assuré un soutien important des classes moyennes et défavorisées, pour lesquelles pouvoir se poser sur un canapé devant Boca-River avec une Quilmes à la main est un droit autant qu’un devoir.
Si ce programme de nationalisation de la diffusion des matches de football, logiquement nommé Futbol para Todos, apparaissait d’abord positif, cela cache en réalité les nombreux problèmes structurels du modèle économique et social kirchnériste. Réussite politique car favorisant la diffusion de la propagande de l’Etat, ce programme n’a jamais été rentabilisé économiquement. Seuls 22 millions d’euros issus des recettes publicitaires ont été récoltés par l’Etat, insuffisant pour compenser les 100 millions d’euros d’investissements initiaux. L’opposition affirme qu’avec 2% du budget alloué à Futbol para Todos – soit 2 millions d’euros – on aurait pu refaire tous les bus de la capitale. Ou acheter un deux-pièces dans le 7ème.
La question du foot a donc naturellement eu son importance pour les deux candidats présents au second tour des dernières élections présidentielles, le vainqueur Mauricio Macri et son opposant Daniel Scioli. La victoire de Macri s’est basée sur le rejet progressif du système Kirchner et sur une campagne modérée et intelligente. Issu d’une grande famille d’industriels et accusé d’être un « capitaliste sauvage », l’ancien maire de Buenos Aires a su modifier son programme, notamment en promettant de perpétuer les programmes sociaux mis en place par les Kirchner.
Mais Macri a aussi appuyé son succès sur une image parfaitement soignée. Il a notamment renforcé sa légitimité de bon administrateur proche du peuple en étant un Président à succès à Boca Juniors, le club le plus populaire et le plus complexe du pays. En 12 ans à la tête des Xeneizes, il a rénové le stade, entretenu de très bonnes relations avec les barras bravas (les Fils d’Arcueil locaux) et a connu des résultats sportifs exceptionnels avec pas moins de 17 titres. Encore aujourd’hui, il affiche son soutien à Boca jusque dans la description de son compte Twitter, preuve de son attachement pour le club. Le futur résident de la Casa Rosada, le palais présidentiel où il s’installera le 10 décembre, a profité de son succès et de sa popularité dans le foot comme tremplin en politique : après son passage à Boca Juniors, il est devenu maire de Buenos Aires et désormais Président élu de la Nation.
Daniel Scioli, candidat kirchnériste battu, avait également pris en considération l’impact possible du sport-roi sur ces élections. Ancien champion du monde de Superboat (courses de bateaux à moteur), un sport qui serait pressenti pour intégrer le CRIT l’année prochaine, il ne jouissait pas d’une popularité footballistique comparable à celle de son opposant. Conscient que son image pouvait en pâtir, il a profité de sa qualité de gouverneur de la Province de Buenos Aires pour lever, juste avant les élections, l’interdiction de déplacement des supporters. Scioli a également cherché à renforcer son poids dans les instances du ballon rond. Dans le cadre d’un échange de bons procédés coutumier en Argentine, il a soutenu un candidat à la Présidence de la Fédération Argentine de Football (AFA), qui l’a appuyé en retour dans sa quête de pouvoir, sans succès.
C’est donc sans surprise que Futbol para Todos est revenu sur la table au cours des débats entre candidats. Même s’il en a souvent critiqué l’usage politique, Macri s’était engagé à conserver le programme, alors que son adversaire l’accusait de vouloir priver les classes défavorisées de leur loisir favori. Tant de bruit pour que les Argentins puissent assister aux jubilés de Tevez et Milito sans payer…
On l’a vu, le foot peut donc autant être un tremplin politique en Argentine qu’un facteur éliminatoire s’il est délaissé. Mais il n’est pas encore non plus un élément-clé de l’issue d’une élection, et si Mauricio Macri a été élu, c’est en raisons des solutions qu’il espère pouvoir apporter aux nombreux défis argentins. Encore heureux qu’il ne suffise pas d’aimer le foot et de savoir faire des jongles pour accéder au pouvoir – vous imaginez, vous, si Maradona négociait sur le nucléaire iranien avec Poutine et Obama ?