Le Quai d’Orsay s’invite en Boutmy
La PSIA avait vu grand pour sa conférence sur la politique étrangère de la France, qui s’est tenue mercredi dernier. En effet, ce n’était pas un, mais bien trois anciens ministres des Affaires Étrangères qui étaient présents en Boutmy : Alain Juppé, candidat malheureux à la primaire de la droite et du centre, Hubert Védrine et Dominique de Villepin. Devant un amphithéâtre comble et de nombreuses caméras – y compris celle de la télévision italienne Rai – les trois hommes d’État ont débattu pendant deux heures sur les principaux défis à relever pour la diplomatie française et européenne. Autour d’une question : y-a-t’il actuellement un basculement géopolitique de notre monde, et si oui, quelle est la place de la France et de l’Europe dans l’ordre nouveau qui s’installe ?
« Organiser le sursaut européen »
En préambule du débat, une affirmation, qui fait largement consensus parmi les trois intervenants du soir : notre monde est en proie à un changement radical. Reprenant les propos du ministre russe Sergueï Lavrov, Dominique de Villepin évoque une « désoccidentalisation du monde », au profit des régimes autoritaires que sont la Russie et la Chine, « qui exercent une attraction parce qu’ils savent davantage où ils vont ». Un diagnostic que partage Alain Juppé. Dans son discours d’introduction, le maire de Bordeaux souligne la nécessité pour l’Europe de prendre ses responsabilités face à ce phénomène. Il avait placé l’Union Européenne au centre de sa campagne, et se sent manifestement toujours profondément européen aujourd’hui, déclarant notamment qu’il « nous faut organiser le sursaut européen ». Comment ? Avec des programmes tels qu’Erasmus, par exemple. Et Villepin d’ajouter que « nous ( l’Europe, ndlr ) avons un savoir-faire, une expérience, et surtout une vocation à agir dans le monde ».
Le rôle de l’Europe devrait-il donc être celui d’un berger guidant les brebis égarées dans le reste du monde ? Ce n’est pas ce que pense Hubert Védrine. Reprochant à Dominique de Villepin de tenir des propos n’ayant « aucun rapport avec ce que pensent les Européens », l’ex-ministre socialiste s’en est pris au discours de certaines « élites mondialistes » qui croiraient à tort que l’Europe est la solution à tous les problèmes. Selon lui, les discours protectionnistes ne relèvent pas de la folie, mais bien d’une démarche réfléchie : « Est-ce qu’on accuserait le maire de Marseille d’égoïsme parce qu’il ne s’occuperait pas de Paris ? ». Mais que l’on ne s’y trompe pas : Hubert Védrine n’est pas pour autant eurosceptique, bien au contraire. Insistant sur la nécessité d’une Europe forte dans un monde divisé, il conclut son intervention ainsi : « La bonne réponse, c’est Schengen. Il nous faut un Schengen sérieux, avec une frontière extérieure bien gérée. »
Entre diplomatie et interventionnisme
Par la suite, le débat se recentre autour de la France, et de sa capacité de projection. À quelle condition la France doit-t-elle intervenir militairement ? Sur ce point, Dominique de Villepin est catégorique : « J’aurais tendance à dire jamais ! ». On le sait, le ministre chiraquien est un partisan de la réponse diplomatique. Une position qu’il justifie en s’appuyant sur l’exemple de l’intervention française au Mali en 2013, qui était nécessaire « pour empêcher la chute de Bamako » mais qui, selon le diplomate, aurait pu se dérouler autrement : « Nous nous sommes donnés pieds et poings liés à un gouvernement local très largement corrompu. »
Pour Villepin, donc, l’Europe devrait peser sur le plan idéologique plus que militaire. Un « esprit missionnaire », d’après Védrine, qui lui répond qu’il est nécessaire d’écarter le « devoir d’ingérence ». Intervenir, ne pas intervenir ? On voit que la question divise, et ce même au sein des anciens locataires du Quai d’Orsay. Une réponse assez simple est finalement apportée par Alain Juppé : « L’intervention militaire, vraiment, doit s’accompagner d’une réflexion politique antérieure et d’une action politique postérieure. » L’élu LR connaît ce dilemme pour y avoir été confronté au moment de la révolution libyenne de 2011, alors qu’il était le chef de la diplomatie française. Juppé et Villepin partagent d’ailleurs la vision de leur mentor commun, Jacques Chirac, en matière de relations internationales : à l’heure du multilatéralisme, le devoir de la France est de coordonner des actions communes, en acceptant pour cela de faire de la realpolitik en parler avec tout le monde. « Si on décidait de ne plus parler aux pays qui ne partagent pas nos valeurs, la diplomatie s’en retrouverait fortement allégée et beaucoup de diplomates seraient au chômage. »
C’étaient donc trois visions divergentes de l’Europe et du monde qui s’affrontaient à l’occasion de cette conférence, trois visions fondées sur une longue expérience au service de la diplomatie. Mais trois visions qui semblaient finalement converger vers un constat : la clé pour assurer la pérennité des valeurs occidentales et permettre à l’Europe de retrouver un futur désirable, c’est l’action collective.