Le géant du cinéma français Jean-Paul Belmondo est décédé
« Embrasse-moi mec, t’es mes 20 ans ». Lorsque Jean Gabin donne la réplique à Belmondo en 1962, dans Un singe en hiver (Henri Verneuil), l’immense star française du moment reconnaît immédiatement le talent de son jeune collègue, encore à l’aube de sa carrière. L’aîné avait vu juste, puisque celui que l’on surnomme le Magnifique est décédé le 6 septembre dernier sous les honneurs. Annoncé par son avocat dans un communiqué sobre, le départ de Jean-Paul Belmondo à l’âge de 88 ans a immédiatement suscité une vive émotion dans l’hexagone, et même au-delà.
Politiques, artistes et autres observateurs sont unanimes : le Magnifique n’est pas moins qu’un des plus grands acteurs du cinéma français. Alain Delon, présenté comme son rival devant la caméra, mais indéniablement son ami derrière, s’est dit « anéanti », au point de déclarer : « J’attends moi-même de mourir pour pas m’emmerder tout seul ». Jean Dujardin a également tenu à rendre hommage à son mentor : « Tu vas me manquer… Tu vas tellement nous manquer. Merci Jean-Paul ». « Son talent, son charme, sa tendresse et sa jubilation » sont encore salués par la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, tandis que le Président Macron a célébré son homme en ces termes : « Il restera à jamais le Magnifique. Jean-Paul Belmondo était un trésor national, tout en panache et en éclats de rire, le verbe haut et le corps leste, héros sublime et figure familière, infatigable casse-cou et magicien des mots. Il a fait le tour de l’homme en 80 films. En lui, nous nous retrouvions tous. » En effet, Bébel était une langue universelle.
Pour les quelques derniers rustres qui ne situent pas trop le personnage, quelques lignes bibliographiques. Né en 1933 à Neuilly-sur-Oise, il bâcle ses études pour commencer la boxe, mais se rend vite compte que c’est dans la comédie que son avenir se jouera. Il commence le cinéma dans les années 1950. En 1960, A bout de souffle (Jean-Luc Godard) est le film de la révélation. Bien installé dans le mouvement de la Nouvelle Vague (moment de grande innovation dans les codes du tournage et du jeu d’acteur), Bébel enchaîne les succès, comme Cent mille dollars au soleil et Un weekend à Zuydcoote (Henri Verneuil). En 1971, au sommet de la gloire et en quête d’indépendance, il fonde sa propre maison de production. Jusque dans les années 1980, il se concentre sur les films commerciaux, avec un succès indéniable. Puis, vieillissant, il cherche à se réinventer. Son retour sur les planches est triomphal, sa nouvelle jeunesse devant la caméra qui tourne Itinéraire d’un enfant gâté lui vaut le César de meilleur acteur. Alors qu’il s’éloigne progressivement du théâtre et du cinéma, le Magnifique subit un AVC en 2001, dont il garde des séquelles à vie. Le XXIe siècle est pour lui le temps de la retraite et des récompenses : Légion d’honneur (2007) et Palme d’honneur (2011), entre autres…
Aussi éloigné des médias qu’il pouvait l’être dans les dernières années, celui qui a passé un demi-siècle aux sommets du box-office français, remplissant 130 millions de sièges de cinéma au long de sa carrière, ne pouvait en aucun cas partir sans bruit. Le 9 septembre, un hommage national dans la cour des Invalides lui est rendu, les pointures artistiques et politiques s’y retrouvent sous les airs de la Marseillaise et de Chi Mai (thème du Professionnel). La cérémonie, empreinte de solennité et d’émotion, réunit plusieurs milliers de fans. Une nuit de veille est organisée sur place, dispositif exceptionnel qui avait déjà accompagné le départ de Jacques Chirac en 2019. Dans l’intimité familiale, il est finalement enterré à l’église Saint-Germain-des-Prés. Experts et amateurs de vieux films s’accordent à dire qu’une page se tourne avec le Magnifique. Les premiers rappelant qu’il était le dernier rescapé de la Nouvelle Vague (Jean Rochefort, Claude Rich, Jean-Pierre Marielle, Jean-Pierre Mocky, Guy Bedos étant décédés ces quatre dernières années), les seconds se remémorant avec nostalgie la France des Trente glorieuses dont leur idole rendait un témoignage si populaire.
Portant lui-même un regard sur sa future disparition, Bébel confiait il y a quelques années : « J’ai bientôt 84 ans et j’ai toujours pensé que, le jour de ma mort, les gens parleraient de moi mais qu’après, ils passeraient à autre chose. J’en suis un peu moins sûr, désormais… ».