L’A69, projet autoroutier absurde? 

Décrié pour son absurdité, son anachronisme et son inutilité, le projet autoroutier de l’A69 a fait couler beaucoup d’encre depuis octobre. Nous sommes allés à la rencontre d’étudiants engagés contre sa construction pour y voir plus clair.

Après les contestations autour des méga bassines de Sainte-Soline en mars, une nouvelle mobilisation contre un projet présentant des risques pour notre environnement a envahi les médias depuis le mois d’octobre. L’A69 est une autoroute en cours de construction devant relier Castres et Toulouse. Déclarée d’utilité publique en 2018, sa réalisation a débuté en mars dernier, avant d’être freinée par une forte mobilisation. Le projet est massivement rejeté par les acteurs engagés pour la protection de l’environnement et par la communauté scientifique, mais pas seulement. 

En effet, il s’agit d’une aberration sur plusieurs plans. D’abord sur le plan écologique, bien sûr, entraînant la coupe de nombreux arbres et la destruction de tout un écosystème. Mais aussi sur le plan social. L’argument principal pour appuyer le projet est son rôle de désenclavement de Castres, et ainsi de lutter contre la pauvreté dans la région. Pourtant, il s’agirait d’une des autoroutes les plus chères à utiliser sur le réseau autoroutier français: environ 20€ pour un aller-retour (un abonnement sera proposé, pour la modique somme de 150€ par mois). Elle ne serait donc pas là pour servir les plus démunis. Ceux-ci pourront continuer d’emprunter la nationale, parallèle à la future autoroute et totalement gratuite, reliant déjà Clastres et Toulouse. Donc, en plus d’aller à l’encontre de toutes les avancées qui ont pu être faites du point de vue environnemental, le projet de l’A69 est socialement aberrant et semble briller par son inutilité. Tous les arguments portés par les défenseurs de l’A69 sont aussi facilement réfutables, et il ne s’agit ici que des quelques exemples les plus évidents. Alors que le simple bon sens va contre ce projet, les autorités s’obstinent et les travaux continuent. 

Pour tenter de mieux comprendre cette situation, nous nous sommes rendus à la conférence organisée par la branche sciencespiste des Écologistes mercredi 15 novembre, en présence de la députée Écologiste de Haute-Garonne Christine Arrighi, de l’urbaniste et paysagiste Karim Lahiani, auteur du projet alternatif à l’A69, et d’Amine Messal de l’association La Voie Est Libre. Nous nous sommes ensuite entretenus avec deux étudiants engagés aux Écologistes, Julie en master de politique publique et habitant au bord de l’autoroute en construction, et Guillaume étudiant à l’école urbaine. 

« Nationaliser un débat, ça revient à l’emmener à Paris » – Guillaume, étudiant.

Tout d’abord, nous avons cherché à comprendre pourquoi, parmi les quelques 55 projets autoroutiers actuellement contestables, celui de l’A69 attire tous les regards. Selon Guillaume, il s’agit surtout d’une question de médiatisation. En effet, le projet est contesté depuis son lancement, et l’activiste Thomas Brail était déjà perché dans les arbres le long de l’autoroute en construction cet été. Pourtant personne n’en parlait alors. C’est seulement lorsque Thomas Brail a fait monter ses protestations à la capitale que le débat a été médiatisé. C’est donc encore et toujours la capitale qui détient le monopole de la mise à l’agenda dans le débat public. La mobilisation des Soulèvements de la Terre joue aussi un rôle majeur dans cette couverture médiatique, le mouvement étant déjà dans le collimateur de la presse. Dès lors, la mobilisation pour l’A69 est bien plus forte que pour les autres projets routiers, restés inaperçus et inconnus, cachés dans les provinces. A cela s’ajoute le fait que l’A69 est bien plus facile à condamner qu’à défendre, ce qui permet de convaincre et de mobiliser un plus grand nombre, selon Guillaume.

Malgré tout, allant à l’encontre de la raison et contre les avis de la communauté scientifique, les travaux continuent. Selon Julie, cette obstination pourrait être expliquée par un important lobbying des entreprises telles que Pierre Fabre. Car il ne faut pas oublier que la concession des terrains de construction à été signée entre les deux tours de la présidentielles. Il n’est donc pas aberrant de penser que des enjeux électoraux sont présents ici, avec des liens entre Pierre Fabre et les élus locaux de la région. Julie pense également que la volonté de cohérence des élus vient peser dans la balance. En effet, « c’est difficile en termes de légitimité de rétropédaler », dit-elle. Les élus se sont trop engagés pour l’autoroute, ils l’ont trop défendu pour pouvoir laisser tomber le projet sans que leur crédibilité n’en prenne un coup.

« Je crois que ça va être un combat sur le long terme » – Guillaume

Si l’Etat refuse d’entendre raison de cette manière, comment espérer pouvoir dialoguer et débattre avec lui ? Il semble difficile de garder espoir dans une telle situation. Pourtant pour Guillaume, il ne faut pas jeter l’éponge. Il s’appuie sur le cas de Notre-Dame des Landes comme précédent. Le combat ne serait donc pas perdu, car il est loin d’être fini. Le sujet pourrait d’ailleurs revenir lors de futures élections, et faire pencher la balance. Une nouvelle majorité pourrait alors revenir sur le projet. Il faut donc rester patient et déterminé. Toutefois, Julie rappelle que les travaux de l’A69 « avancent anormalement vite ». Atosca et les élus locaux semblent vouloir accélérer les travaux pour que les militants n’aient pas le temps, comme dans le cas de Notre-Dame des Landes, de gagner leur combat. Cette accélération viserait donc à devancer et ainsi éteindre l’opposition, ce qui pourrait aggraver la défiance de la population vis-à-vis des politiques.

« Il faudrait un vrai changement de paradigme » – Julie

Nous pouvons d’ailleurs nous poser plus largement la question de la démocratie dans le cadre de la crise écologique. En effet, comme l’explique Julie, la temporalité électorale n’est pas la même que la temporalité du changement climatique. La première se calcule sur le moyen terme : « les élus peuvent tendre à avoir plutôt des perspectives électorales que dans l’intérêt commun », explique-t-elle. A l’inverse, le changement climatique et les actions à entreprendre s’envisagent sur le long terme. Pourtant, pour Guillaume, « on ne peut pas se passer de démocratie. On peut la réinventer, on peut essayer de l’adapter au mur qu’il y a en face de nous, mais on ne peut pas passer outre ». Une démocratie plus directe serait une solution, et des outils seraient à notre disposition, tels que les référendums locaux ou l’autorité environnementale, il faudrait simplement que nous nous en saisissions. Le cas de l’autorité environnementale dépendante du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, est particulièrement intéressant. Elle s’est opposée au projet de l’A69, mais son avis n’étant que consultatif, l’Etat a pu passer outre son expertise. Une solution serait alors de donner plus de pouvoir à l’autorité environnementale, en rendant son avis prescriptif, et c’est d’ailleurs une idée soulevée par la députée  Christine Arrighi lors de la conférence des Écologistes. Pour Julie, il s’agit du « genre de changement qui serait nécessaire ».

Mais selon elle, se reposer sur la démocratie ne suffirait pas. « Si on se perd dans les affres du calendrier parlementaire, on en a pour des années », affirme-t-elle. Pour Julie, L’action contre la crise écologique étant chaque jour plus urgente, c’est d’un changement rapide dont nous avons besoin. Une seule solution s’offre à nous, et Julie l’affirme : « je pense que ce dont on a vraiment besoin, c’est d’une révolution ». Cette révolution ayant peu de chance d’advenir par une prise de conscience collective, les deux étudiants s’accordent pour dire que le plus probable est que le changement vienne d’une situation qui deviendrait insoutenable, comme c’est le cas dans la majorité des révolutions. Le changement se fera seulement « parce qu’on ne pourra plus faire autrement », dit-il. Une perspective assez pessimiste mais qui n’empêche pas nos étudiants de s’engager malgré tout.

« J’ai peur et ma manière de répondre à la peur c’est de m’engager » – Julie

C’est justement la peur et le refus de cette perspective qui ont poussé Julie à s’engager pour l’environnement. Elle affirme : « j’ai peur de la catastrophe avec un grand C, et ma manière de répondre à la peur, c’est de m’engager ». Plutôt que de la paralyser, c’est donc la peur qui l’a poussé à agir : refuser d’attendre la catastrophe passivement, vouloir être utile et faire partie du changement motive leur engagement. Julie parle justement de « cette impression que la vague est en train d’arriver et qu’on ne fait rien pour l’arrêter ». Cependant, c’est cette vague qui peut dissuader certains de s’engager. Guillaume nous rappelle qu’il est difficile de savoir par où commencer, la crise provenant du système dans son entièreté, « on a un mur face à nous », affirme-t-il. Ce lourd sentiment d’impuissance véhiculé par un discours fataliste très répandu peut en décourager plus d’un. Pourtant, pour Julie c’est justement dans l’engagement collectif, dans le groupe, que l’on peut retrouver de l’espoir. D’ailleurs, Guillaume affirme que tandis que le relativement faible impact que peuvent avoir les actions écologistes peut en frustrer et décourager certains, d’autres y trouvent justement une nouvelle source d’énergie et de détermination.

Pour les deux étudiants, quelle que soit l’issue du combat contre l’A69, elle créera un précédent pour les luttes futures. Si les écologistes gagnent et que le projet est abandonné, le cas de l’A69 ira rejoindre Notre-Dame des Landes dans le panthéon des victoires écologistes. Même si elle ne « changera pas le monde », une victoire permettrait d’ouvrir le champ des possibles et les imaginaires et d’encourager à se mobiliser et s’engager. Guillaume affirme que « quand tu te dis que c’est possible, ça peut faire basculer beaucoup de choses ». Et même dans le cas d’une défaite, du fait de son absurdité, l’A69 aurait de forte chance de se solder par un fiasco et d’être déficitaire, ce qui créera également un précédent à opposer aux futurs projets autoroutiers du genre. Sur un ton plus personnel, Guillaume considère qu’une défaite ne ferait qu’alimenter sa détermination dans son engagement. Selon lui, « quand on est militant, là où on va puiser les forces c’est lorsqu’il y a des échecs ». 

Finalement, victoire ou défaite, le débat sur l’A69 aura permis d’éveiller les consciences et de sensibiliser toujours plus la population aux enjeux environnementaux. Après la médiatisation, la prochaine étape de ce débat se jouera à l’Assemblée avec une pétition lancée à la commission développement durable ayant déjà reçu près de 30 000 signatures.

Crédits photos : Léon Thébault