Javier Milei : le cauchemar argentin ?
L’annonce de la victoire présidentielle de Javier Milei, ancien chanteur de rock argentin et à la tête du parti La libertad avanza (LLA), a retenti comme un coup de tonnerre : ce nouveau dirigeant anti-système, qui remet en cause tous les acquis et la structure institutionnelle argentine, promettant une “thérapie de choc”, affole le monde entier. Son slogan “Viva la libertad, carajo” (“Vive la liberté, putain”) révèle – encore une fois – son caractère provocateur.
« C’en est fini du modèle appauvrissant de la caste. Aujourd’hui nous adoptons le modèle de la liberté, pour redevenir une puissance mondiale », proclamait le nouveau président argentin Javier Milei, du parti La libertad avanza (LLA) à l’annonce de sa victoire. Plongé dans des polémiques récurrentes depuis des mois, sa victoire est d’autant plus surprenante qu’elle déjoue les résultats du premier tour dans lequel Sergio Massa, ministre de l’Economie et candidat péroniste, semblait bénéficier d’une tendance en sa faveur.
Mais alors, qui est ce nouveau président qui fait débat ? Ultranationaliste, libertarien, ultra capitaliste, ultra-conservateur, anti-IVG, favorable à la vente d’organes : Javier Milei, qui se caractérise lui-même d’« anarcho-capitaliste » semble être le nouveau cauchemar de l’Argentine, qui l’a pourtant élu avec 55,6% des voix. Soutien inconditionnel d’Elon Musk, dont il se revendique héritier de la philosophie ultralibérale, il est aussi un grand admirateur de Donald Trump. L’ancien président américain s’est d’ailleurs rapidement emparé de son réseau social Truth Social pour le féliciter : “Je suis très fier de toi. Tu vas transformer ton pays et faire de l’Argentine un grand pays.” Si les deux figures politiques du continent américain s’entendent si bien, c’est sûrement du fait de leur personnalité extravagante, polémiste et volontairement provocatrice. Maria, jeune étudiante franco-argentine à Sciences Po, admet tout de même que « Ce n’est pas comparable à Trump ou à des gens que l’on connaît. Un anarcho-capitaliste on n’en voit pas tous les 4 matins…c’est dur de voir son pays tourner de cette manière ».
Si l’ancien chanteur de rock profite de sa victoire et attend patiemment le 10 décembre, jour de prise officielle de ses fonctions, les Argentins, quant à eux, craignent d’affronter ces quatre prochaines années. Maria est certaine que les Argentins vont descendre dans la rue ; ce dont elle a peur, c’est de la réponse : « Les gens vont descendre dans la rue pour protester, ses réformes sont drastiques et violentes mais personnellement j’ai très peur de la réponse, la vice-présidente étant connue pour être proche des militaires qui ont servi la dictature…” La nouvelle vice-présidente, Victoria Villarruel, est en effet elle aussi plongée dans son lot de controverses. Avocate argentine et nièce d’un ancien militaire de la dernière dictature, elle a enchaîné les propos chocs sur la dictature de Videla, en légitimant toute sa politique répressive, et ne s’en est pas arrêtée là en accumulant les interventions jugées scandaleuses sur les thèmes de l’éducation et des droits de l’Homme. Trois ans après une grande victoire pour les femmes argentines, celle de la légalisation de l’IVG, la question des droits de l’Homme est d’autant plus actuelle que le programme du nouveau président anti-IVG envisage la fermeture de plusieurs ministères dont celui pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Maria propose néanmoins un message d’espoir face à cette situation : “ J’essaye de garder espoir parce que je suis convaincue que les féministes argentines sont tellement déterminées et fortes qu’elles ne se laisseront pas faire”.
A l’origine de l’inquiétude des Argentins, nous retrouvons surtout la manière dont le président luttera contre l’inflation à trois chiffres (140%) et améliorera leur quotidien : pour Maria, « son élection est une question de vie ou de mort pour les argentins » qui ne disposent, pour la majeure partie, plus d’économies et croulent sous les dettes. Rappelons qu’en 2023, 40% des Argentins vivent sous le seuil de pauvreté : l’élection du président Milei est alors à replacer dans son contexte économique alarmant. Pour Maria, « quand tu n’as plus d’argent et pas d’économies, tu te tournes vers la violence, la délinquance. » Il était alors impensable pour une partie des Argentins, notamment les plus précaires, de voter pour Sergio Massa, le ministre de l’Économie qui n’a pas su gérer l’inflation et qui est pris pour responsable de la situation économique effroyable.
Ce qui est néanmoins actuellement peu certain, c’est que Javier Milei réussisse à faire prospérer économiquement l’Argentine : souhaitant le retour au dollar, la privatisation de presque tous les secteurs publics, le retrait des subventions sur les transports ou les musées, il semblerait que les Argentins tomberont encore plus dans la misère. C’est ce que nous affirme une science piste en année d’échange à Buenos Aires : “ce qui est bien ici, c’est que le théâtre, les musées, les transports, c’est subventionné et il [Javier Milei] veut tout retirer…” Elle se dit “totalement déprimée” par son élection.
Voulant l’abolition de l’Etat au profit de la propriété privée et de la liberté économique absolue, Javier Milei se présente alors comme le renouveau de l’Argentine. Il ne reste maintenant plus qu’à savoir si ce renouveau est synonyme de nouveau paradis argentin ou de retour de la force dans ce pays encore traversé par l’héritage des dictatures successives.