Le syndicalisme étudiant à la croisée des chemins ?

Retour sur la conférence de Benoît Hamon, Sophie Binet, Raphaëlle Rémy-Leleu et Guillaume Hoibian

Ce jeudi 9 novembre, La Péniche a couvert la conférence sur le syndicalisme et la convergence des luttes organisée par l’UNEF. Parmi les invités, tous sont d’anciens militants à l’UNEF : Benoît Hamon, ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et candidat à l’élection présidentielle de 2017 ; Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT ; Raphaëlle Rémy-Leleu, conseillère de Paris et membre d’Europe Écologie les Verts ; et Guillaume Hoibian, historien des mouvements étudiants.

19h15. L’amphi Chapsal se remplit peu à peu, entre discussions animées sur le blocage du campus le matin-même et chuchotements inquiétés de l’absence de Sophie Binet. C’est dans ce contexte qu’a débuté cette conférence qui allait prendre la forme tantôt d’une rétrospective sur le syndicalisme étudiant, tantôt d’une discussion informelle entre camarades de lutte.

L’UNEF, une histoire de scissions ?

Il est 19h33. C’est Guillaume Hoibian qui lance le bal, nous livrant un rapide historique du syndicat. Née en 1907 en tant qu’association, l’Union Nationale des Étudiants de France n’est en fait devenue une organisation syndicale qu’en 1946 avec l’adoption de la charte de Grenoble. Et, si les récentes scissions de l’UNEF ont fait couler beaucoup d’encre sur la perte de vitesse du syndicat, elles sont en réalité presque consubstantielles à l’histoire du mouvement. Ainsi l’UNEF a-t-elle été, de 1971 à 2001, divisée entre l’UNEF-SE (solidarité étudiante), proche du Parti communiste français, et l’UNEF-ID (indépendante et démocratique) principalement composée d’étudiants lambertistes et antistaliniens. Guillaume Hoibian impute cette implosion à « l’hyper politisation » du syndicat à la suite des événements de mai 68, et précise que la réunification de 2001 s’est faite « dans la douleur », chaque faction voyant l’autre comme ennemie.

Au-delà de cette difficile coexistence de tendances au sein du mouvement, Benoît Hamon souligne la particularité de l’engagement à l’UNEF, à même de « faire toucher la question sociale immédiatement ». Il fait ainsi l’éloge d’un syndicat qui, par sa force de mobilisation du monde étudiant, « donne une portée nationale à ses combats ». Mais cette grande capacité organisationnelle, selon lui nécessaire à la construction de rapports de force sociaux et politiques, semble s’être perdue depuis les luttes contre le projet de loi Devaquet et les contrats de première embauche. Questionné sur son regard à la fois syndical et politique, il rappelle que le syndicalisme s’est toujours illustré par sa culture d’autonomie par rapport à la politique, mais déplore la perte de sa fonction historique de « formateur de conscience politique ». Benoît Hamon comme Guillaume Hoibian évoquent ainsi un « tournant » dans l’histoire du syndicalisme étudiant, celui de la précarisation du monde universitaire.

La paupérisation des étudiants en état de marche

20h07. Entre dans la salle Raphaëlle Rémy-Leleu, qui s’installe discrètement à côté de ses deux camarades militants. Qualifiant son arrivée parmi les intervenants de « plus grosse incruste de l’histoire des incrustes », elle donne le ton dès sa première prise de parole : depuis qu’elle a quitté Sciences Po et donc l’UNEF, en 2016, « la précarité étudiante, spoiler, ça ne va pas mieux ». Perception partagée par le reste de la table, notamment Guillaume Hoibian qui lie cette « paupérisation » des étudiants et des universités à la baisse d’engagement et de mobilisation des jeunes par manque de temps. Des étudiants qui, de plus en plus, travaillent pour financer leurs études, des professeurs qui doivent composer avec la baisse des moyens alors que le nombre d’étudiants augmente chaque année, des chercheurs qui font face à une baisse de financements : telle est, selon les intervenants, la recette de la démobilisation actuelle. 

Il faut, d’après Raphaëlle Rémy-Leleu, prêter attention à la « ségrégation sociale » qui se renforce du fait de la sélection à l’université et du manque d’aides pour les jeunes. Elle cite ainsi l’absence de RSA en dessous de 25 ans et le plafonnement des bourses à 550€/mois, mais aussi l’inégalité d’accès aux échanges Erasmus par manque de réévaluation des bourses de mobilité. Tout cela témoigne, selon Benoît Hamon, d’une gauche « en échec sur la redistribution des richesses, à fortiori en raison de la mondialisation et la financiarisation » qui ont « fait exploser » la capacité du travail à construire des rapports de force avec le capital. La solution ? Le revenu universel, en commençant par les 18-25 ans et sans le conditionner au revenu des parents, mais surtout l’engagement – syndical ou politique – pour s’émanciper. 

S’engager pour relever les défis nationaux

Il est 20h20. C’est sous un tonnerre d’applaudissements que Sophie Binet entre dans la salle, expliquant son retard par sa présence à un rassemblement de commémoration de la Nuit de Cristal. Elle témoigne d’emblée de son expérience militante à l’UNEF, où elle a découvert la solidarité de lutte et la capacité à « se débrouiller avec des bouts de ficelle ». Alertant sur « l’effet cicatrice », qui poursuit les jeunes tout au long de leur parcours professionnel après une insertion épineuse, et le « cheval de Troie » des gouvernements qui s’attaquent d’abord aux jeunes puis aux autres catégories de la population, elle rappelle que le peu de mouvements sociaux qui réussissent voient « à la fois les salariés et les jeunes » se mobiliser. Benoît Hamon ne dit pas autre chose, et exhorte les jeunes à « mener le combat pleinement à 18 piges ». 

Si l’engagement syndical des jeunes « n’a jamais été une évidence », les études ne durant qu’un temps, Guillaume Hoibian souligne que la mobilisation des jeunes a toujours su marquer la vie politique française de la guerre d’Algérie à Parcoursup. Ainsi faut-il non seulement renouer avec cette tradition d’engagement étudiant, qui d’après Sophie Binet « a manqué lors des manifestations contre la réforme des retraites », mais aussi s’inquiéter des « incitations de plus en plus prématurées à la retraite par capitalisation et l’épargne individuelle ». Celles-ci viennent casser le consentement à l’impôt et à la solidarité nationale, et s’ajoutent à la liste de défis à relever au sein d’un pays « mûr pour le fascisme » selon la formule de Benoît Hamon

De quoi gonfler à bloc les bancs de l’UNEF ?

Crédits photo : Elias H’Limi
De gauche à droite : Sophie Binet, Raphaëlle Rémy-Leleu, Benoît Hamon et Guillaume Hoibian.