La Ligne de Courtoisie – Nicolas Fargues
Que reste-t-il de l’écrivain quand il cesse d’écrire ? C’est la question qui hante Nicolas Fargues dans son neuvième roman, La Ligne de Courtoisie. L’écrivain parisien de 38 ans dresse un état des lieux qu’on pourrait qualifier de « sans concession » si l’on ne souhaitait pas joncher cet article de poncifs. Sans concession, donc, ce récit d’un romancier en panne, tant dans ses livres que dans sa vie. A partir de cette trame mince et presque banale, Nicolas Fargues parvient à surprendre, style précis et cynisme bien placé faisant mouche.
« J’ai préféré discrètement m’éclipser en direction de la cuisine où j’ai pu me ménager cinq précieuses minutes supplémentaires de tranquillité avec ma vaisselle jetable et mes tranches de viande froide. »
Son narrateur écrit, ou plutôt écrivait ; il fait face à présent au redouté writer’s block, la peur de la page blanche ou leucosélophobie, (bon à placer dans les dîners germanopratins). Engoncé dans une vie morne, lâche dans ses rapports aux autres ; sa politesse masque son désintérêt pour eux, il part chercher en Inde le souffle qui lui fait défaut. Puis revient, avec quatre lignes vagues en guise d’incipit de son prochain roman enregistré sur son laptop, et convaincu que l’insignifiance des solitudes égoïstes de chacun n’est pas une vertu française. On sent transparaître chez Fargues l’angoisse de l’écrivain face à sa condition. Que devient l’écrivain s’il n’écrit plus ? Sans livre ni lecteurs, la vacuité apparaît, et l’auteur s’amuse à placer son plumitif face à ses détracteurs, le nouvel écrivain à succès, l’éditeur compatissant et le quidam méprisant qui aimerait, lui, être publié . C’est peut-être ainsi qu’il faut prendre le roman de Nicolas Fargues, un anti-roman où la vie du romancier prend le pas sur sa plume.
« De toute façon, vu les bouquins que vous écrivez, ça ne m’étonne pas que vous n’ayez pas aimé. »
Un dîner de famille aigre, une discussion avec son fils devant un lave-linge ou la rencontre charnelle d’une Anglaise en Inde, La Ligne de Courtoisie égrène les saynètes d’une vie banale, où les discussions sont superficielles et le quotidien ennuyeux. Nicolas Fargues cherche à y démontrer que la vie n’est pas un roman, le contraste entre l’œuvre d’un romancier, son double à peine désavoué, et sa vie médiocre, entre pension alimentaire et recherche d’appartement, démontrant qu’on ne peut échapper à la pesanteur d’un quotidien trop quelconque face à ses idéaux.
« Passé l’amour, j’avais d’ailleurs été tout autant refroidi par ses draps en fibre synthétique qui boulochaient très désagréablement avec l’usure, vous exfoliant jusqu’au sang le torse et les omoplates. »
Fargues applique un style clinique et matérialiste, ne perdant pas une miette des détails qui émaillent la vie de tous les jours. Le champagne coule, certes, mais dans « des flûtes en plastique à pieds amovibles ». Et les interrogations du narrateurs concernent davantage la teneur de son prochain dîner, « courgettes blanches de Virginie ou potimarron Uchiki Kuri ? », que celle de son roman à venir. L’auteur propose ainsi une vision sans ambages qui démontre qu’un homme de lettres est avant tout un homme, loin de postures pédantes qu’on pourrait trouver ailleurs. S’en suit un certain plaisir à lire La Ligne de Courtoisie qui, s’il ne cherche pas à révolutionner la littérature à grands coups d’épithètes octosyllabiques (Toute ressemblance avec le lauréat du Prix de Flore etc etc…), fait preuve d’un cynisme légitime quand il montre que la médiocrité et la lâcheté ne sont pas l’apanage des autres, mais aussi de soi, si l’on parvient pas à prendre le recul nécessaire. Recul qui peut provenir, dans le roman de Fargues peut-être plus qu’ailleurs, de l’écriture.