La grande interview de Frédéric Mion – Partie 1/3

En début d’année, la Péniche a rencontré Frédéric Mion pour l’interroger sur toute l’actualité de l’établissement. Cette semaine, nous publions l’interview en trois parties, dont voici la première. Bonne lecture!

La Péniche : L’an dernier Sciences Po a mis en place une réforme majeure en supprimant le concours d’entrée à Sciences Po et en instaurant une procédure unique. Peut-on craindre une baisse de niveau des élèves de première année ? Quel est votre objectif avec cette réforme ?

Frédéric Mion : L’ambition de cette réforme est assez simple : repérer plus efficacement les talents dont nous avons besoin et dont le monde aura besoin également. La procédure sera la même pour tous, et elle comportera quatre piliers, qui sont : le dossier scolaire du candidat, les notes du baccalauréat, le profil et la motivation et une épreuve orale. La note d’oral sera agrégée aux trois notes précédentes et c’est la moyenne de l’ensemble qui déterminera l’admission du candidat. 

La finalité est de déterminer des modalités qui assurent une meilleure visibilité, plus d’équité entre les candidats, plus d’efficacité in fine. Nous avons pris l’engagement d’avoir 30% de boursiers dans chaque promotion entrante, dont la moitié au moins seront issus des lycées conventionnés avec Sciences Po. Nous souhaitons doubler leur nombre pour passer à 200 lycées, en touchant davantage des territoires ruraux ou ultramarins. C’est un élément qui va, nous l’espérons, concourir à l’ouverture et à l’équité de l’ensemble de la réforme.

Redoutez-vous une baisse du niveau des étudiants de première année qui n’auront pas eu à préparer le concours ?

La réponse est non. Ce qui est très vraisemblable, c’est qu’en supprimant ces épreuves écrites – que, soyons clairs, ne passent que moins de la moitié de nos candidats (pas de candidats internationaux, CEP, dispensés parmi les candidats nationaux), ce qui va se produire est plutôt un afflux de candidatures, et donc une forme de sélectivité accrue. Le deuxième point, c’est que ce qu’on supprime, c’est l’incitation supplémentaire à travailler des épreuves spécifiques. Mais on ne supprime pas, loin s’en faut, l’exigence tenant aux qualités d’expression écrite de nos candidats. Elles seront même appréciées à travers trois éléments de notre sélection : les notes du lycée, les notes du bac, le dossier écrit, qui est réputé être écrit de la plume du candidat. L’appréciation des compétences écrites reste un élément absolument central de notre dispositif de sélection, mais nous avons fait le choix de confier au système scolaire national le soin de nous renseigner sur les compétences écrites de nos candidats lorsqu’ils sont soumis à des épreuves surveillées, en temps limité, dans un cadre national. Est-ce que c’est abaisser nos exigences que de faire ça ? Très honnêtement je ne le pense pas.

« Nous avons fait le choix de confier au système scolaire national le soin de nous renseigner sur les compétences écrites de nos candidats »

L’exigence, va, d’une certaine manière, se renforcer compte tenu du nombre des candidats, mais elle se déplace, en termes de responsabilisation de nos candidats, sur leur vrai mission en tant que lycéens, qui est d’exceller au lycée et dans l’épreuve qui conclut leur vie d’élève du second degré, qui est celle du baccalauréat, et qui est en principe en France le premier diplôme universitaire. 

C’est un pari qui ne me semble pas totalement déraisonnable, dans un moment où le bac est repensé, où j’observe surtout que les institutions les plus sélectives au monde ne connaissent pas les épreuves écrites spécifiques, mais en revanche apprécient les dossiers scolaires des candidats. C’est donc à mon avis le gage que le niveau de nos étudiants en première année sera supérieur ou égal à ce qu’il est aujourd’hui. 

Vous avez mentionné les préparations. L’an dernier, une enquête étudiante avait révélé que près de la moitié des sciencepistes étaient passés par ces préparations. Ces préparations préparent certes aux épreuves écrites mais aussi orales, et sont d’une aide extrêmement importante. Comment s’assurer que tous les étudiants puissent gérer l’oral d’admission de la meilleure des manières possibles, alors même que tous n’ont pas accès à des prépas ?

La première chose, c’est que la réforme n’a pas pour principale ambition de les rendre caduques même si, nous nous sommes interrogés sur les biais actuels de sélection en faveur de ceux qui ont davantage de ressources économiques, sociales et culturelles. Il est clair que l’existence de nos écrits était une incitation naturelle pour les familles qui en avaient les moyens à fournir à leur enfant ce petit surcroit de préparation, donc mettre un terme à ces épreuves écrites est sans doute une manière d’égaliser à nouveau le terrain.

« La réforme n’a pas pour principale ambition de les rendre caduques »

Cependant, je ne réfute absolument pas qu’ayant fait cela nous allons supprimer le modèle économique des prépas, qui se caractérisent par leur grande capacité d’invention. Nous souhaitons mieux guider l’épreuve orale, avec, peut-être, des exercices techniques permettant à chacun de se sentir un peu mieux encadré dans ce qu’il s’agit de faire. La deuxième chose, c’est que cette épreuve orale a vocation à nous permettre de rencontrer une personne, de déceler une personnalité. C’est un peu le moment de vérité. Nous ne cherchons pas à provoquer de magnifiques envolées rhétoriques, le déploiement de « trucs » qui feront la différence, ce n’est pas de donner la prime à ceux, qui ont le goût et le sens de la répartie. Nous sommes inégaux face à l’oral, et c’est pourquoi nous ne voulons pas que cette épreuve puisse présenter un caractère éliminatoire.

Pourquoi Sciences Po essaie-t-elle de se mettre en conformité avec les grandes universités internationales, sachant qu’il existe une spécificité qui lui est propre, à savoir celle de valoriser les étudiants venant de milieux différents ? Quel est l’objectif de cette conformité, est-ce d’ouvrir davantage Sciences Po à l’international ou de continuer à former des étudiants français au plus haut niveau ? 

Cette réforme de notre processus d’admission n’est absolument pas réfléchie comme une mise aux standards de Sciences Po par rapport à d’autres universités dans le monde. Il s’agit d’un point de référence mais pas du tout un modèle qui nous inspirerait de façon inexorable, mais l’une des raisons pour lesquelles il importait de prendre en compte ces modalités de sélection, c’est le risque qu’en ayant des modalités de sélection trop sui generis, nous produisions un effet d’éviction. L’existence de la procédure internationale aujourd’hui a été dictée par cette considération-là, alors que beaucoup de systèmes de sélection ne valorisent pas les épreuves écrites.

L’objectif général d’ouverture internationale et sociale n’est pas changé par rapport à ce qu’il était il y a 20 ans, et nous avons une riche expérience en la matière. Nous aspirons à une diversité qui ne soit pas que géographique et culturelle mais qui soit aussi sociale et qui soit le reflet de la diversité de la population de notre pays, d’où notre décision concernant le pourcentage de boursiers et le renouveau du dispositif des conventions d’éducation prioritaire. La nouvelle procédure d’admission doit être capable de concilier l’ensemble de ces objectifs, c’est à dire de nous conduire à cette sorte de mixité qui permet à cette institution de se positionner, en France comme à l’étranger, comme une institution d’excellence.

Retrouvez la suite de cette interview demain sur lapeniche.net !

Interview réalisée par Adam Galametz et Pierre-Alexandre Bigel