Interview de Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière)« Moins les travailleurs se battent, plus on recule sur le plan matériel, idéologique et moral »

Aux côtés d’autres associations de Sciences Po, La Péniche reçoit les candidats à l’élection présidentielle. Ce lundi 15 novembre, notre rédactrice s’est entretenue avec Nathalie Arthaud du parti communiste révolutionnaire Lutte Ouvrière, fondé en 1968. 

Q : Au micro de France Inter dernièrement vous avez affirmé être convaincue que « l’essentiel ne se passe pas au fond des urnes », soulignant l’importance des mobilisations dans l’avancée des droits des travailleurs. Représentant un parti qui fait moins d’un pourcent à chaque élection présidentielle, quel est l’intérêt d’une candidature Lutte Ouvrière ? 

R : Vous voyez quand même j’ai intérêt de dire que l’essentiel ne se passe pas au fonds des urnes (rires). Non mais parce que nous avons une politique, nous avons des perspectives et vous voyez, même une ambition au combien enthousiasmante qui est celle de renverser cette société capitaliste, donc il n’y a aucune raison pour qu’on ne s’exprime pas dans cette élection.

Bien sûr il faut que nous restions fidèles à ce que nous défendons, c’est à dire surtout ne pas faire comme les autres candidats et laisser croire qu’on pourrait être le sauveur suprême, que je pourrais être ce sauveur et la présidente qui grâce à sa baguette magique imposerait un SMIC à 2000 euros, des augmentations de salaire et la répartition du travail entre tous. 

Donc il s’agit de pas propager d’illusions électoralistes. Mais je pense en effet qu’il y a moyen de défendre une politique révolutionnaire dans le cadre de ce combat électoral.

Q : Justement ça ne vous semble pas paradoxal de se dire parti communiste révolutionnaire et en même temps de jouer le jeu des élections, qui correspond traditionnellement à la voie réformiste ? 

R : Si on les utilise pour propager des idées révolutionnaires, je ne vois pas où est le paradoxe. Voyez c’est comme à la lutte, il paraît qu’on utilise le poids de son adversaire et la force de son adversaire pour la retourner contre lui. C’est ce que nous essayons de faire dans le cadre de ce combat électoral. 

Q : Donc pour vous le vote ne changera rien, vous n’encouragez pas les gens à aller voter ? 

R : Ah si j’encourage les gens à aller voter…pour moi. J’encourage les gens à voter pour des idées révolutionnaires. J’encourage les gens à se servir de leur bulletin de vote pour dire « nous, nous faisons partie de ceux qui ne résignent pas, de ceux qui sont conscients que ces responsables politiques, ces présidents et ces ministres ne sont que des pantins qui nous amusent dans un espèce de théâtre d’ombre et qu’en réalité, il faut que nous même nous nous imposions au travers de notre force sociale à ceux qui ont le vrai pouvoir et qui est constitué par le grand patronat ». Ce bulletin de vote Nathalie Arthaud, il a ce sens là. C’est dire « moi je suis conscient que je changerai mon sort en renouant avec les grèves, avec les manifestations et même avec les insurrections et avec les révolutions. » Il a ce sens là, il a le sens d’affirmer qu’il existe un parti, un courant, qui se montre et qui se donne les moyens de se faire entendre en toutes circonstances.

Q : Dans cette volonté d’utiliser les élections présidentielles comme tremplin pour vos idées, vous rejoignez l’utilisation qu’en fait Philippe Poutou (NPA), et d’autres petits partis de gauches qui se présentent (Révolution Permanente, NPA). Pour vous, une alliance avec ces petits partis est possible ou ça n’est pas le sujet puisqu’au fond il ne s’agit pas de gagner ? 

R : Non en effet pour moi, ça n’est pas le sujet. Il faut que tous les courants qui existent s’expriment, et plus on est de révolutionnaires, mieux c’est de notre point de vue. 

Q : Est-ce que ce n’est pas mieux de faire la révolution ensemble ?

R : Mais on ne la fera pas dans les urnes. La révolution, on la fera ensemble, je pense que ce sera le cas, comme on fait des grèves ensembles. Là-dessus il n’y a pas de problème. En revanche, il est vrai que nous sommes des courants différents qui militons de façon différente, qui avons aussi un certain nombre de divergences et chacun à envie de s’exprimer, c’est bien normal, et ça fait partie de la démocratie. 

Pour revenir à l’idée que notre sort n’est pas au fonds des urnes, en effet nous sommes marxistes, trotskistes, nous pensons comme Marx que c’est la lutte de classe qui fait avancer l’histoire, la lutte de classe est le moteur de l’histoire disait le philosophe. 

Q : Cet attachement à la tradition trotskiste propre à l’identité de Lutte Ouvrière, c’est toujours quelque chose que vous défendez ? 

R : Pour nous c’est le seul moyen de se revendiquer du communisme. Ce qui s’est passé en Union Soviétique avec la dégénérescence stalinienne, cette dictature qui s’est imposée, n’a rien à voir avec l’idéal communiste que nous prônons. Ça a été une caricature, une perversion de cet idéal démocratique basé sur l’intervention consciente des travailleuses et des travailleurs. Pour nous, c’est fondamental. Quelques années après la révolution russe de 1917 qui avait suscité un enthousiasme incroyable parmi tous les opprimés, les exploités de Russie mais aussi de la planète, est apparue une couche qui a confisqué le pouvoir politique et qui l’a utilisé à son avantage. Cette couche a été combattue justement par tout un courant qui a essayé d’opposer une politique contre cette dégénérescence. Ça a été tout un courant avec des centaines de milliers de militants en Russie qui a été mené effectivement par Trotski. Ce courant a donc perdu ce combat, parce que la Russie est restée isolée et que cette révolution ne s’est pas étendue. 

Q : Comme l’indique le nom du parti, LO se concentre autour de la question des ouvriers. Ce terme aujourd’hui n’est-il pas dépassé ? Lorsque l’on observe les statistiques de l’Insee sur la répartition entre CSP, les phénomènes de désindustrialisation et tertiarisation de la France sont criants. En 2021, le pourcentage de cadres dans la population française à même dépassé celui des ouvriers (20% contre 19%). Ne faudrait-il pas plutôt s’intéresser aux employés (26% de la population) et professions intermédiaires (26%), nouveau prolétariat ? 

R : Pour nous le terme d’ouvrier est surtout porteur d’une conscience. La conscience d’être exploité et d’appartenir à une classe, la classe ouvrière, le prolétariat pour utiliser un mot encore plus daté. On se bat pour que les travailleuses et les travailleurs renouent avec cette conscience de classe. Parce que, que l’on soit employé, livreur Deliveroo sur son vélo, femme de ménage, enseignant, on est confronté à un système d’exploitation, à un système où on est dépendant de l’autre pour vivre, et c’est ça les classes sociales. Telles que Marx les a définies, les classes sociales sont toujours là. D’un côté il y a ceux qui peuvent s’enrichir du travail des autres parce qu’ils monopolisent l’essentiel des capitaux, et puis il y a ceux qui n’ont que leur force de travail intellectuelle ou manuelle pour vivre. 

Je pense aussi que dans les statistiques, tout est fait pour que les ouvriers soient invisibilisés. En réalité, celui qui travaille comme agent de sécurité dans un magasin, c’est un ouvrier ou non ? Pas dans les statistiques. Pourtant il a tout d’une situation d’exploité. Pour nous quand on parle du camp des travailleurs, bien sûr qu’on englobe tout cela. On englobe même les femmes au foyer qui pour nous sont les premières de cordée. Leur travail n’est pas marchandisé mais elles travaillent et ont un rôle indispensable au fonctionnement de la société. Pour nous le camp des travailleurs, c’est l’écrasante majorité des femmes et des hommes. 

Q : Engagée depuis vos 18 ans au sein de LO, malgré un climat de désillusions à gauche, que ce soit sur la crise climatique, économique, sociale, et un rapport de force très inégal, comment faites-vous pour continuer à lutter après presque quarante ans d’engagement militant ? Qu’est ce qui vous anime ? 

R : Là il faut m’expliquer quelque chose. Si vous êtes désillusionné c’est que vous avez des illusions. Je peux savoir lesquels ? 

Q : L’illusion de pouvoir changer le monde ? 

R : Pouvoir changer le monde c’est devant nous. Pas de raisons d’être désillusionné du moment qu’on pense qu’il faut se rassembler avec des gens qui veulent en effet changer le monde et pas le gérer. Si vous attendez que ceux qui sont au pouvoir, qui profitent de la situation et qui n’ont aucun intérêt objectif à la changer, prennent les problèmes à bras le corps et renversent le système, là en effet vous risquez d’être beaucoup désillusionné. Il ne faut pas attendre de ses dirigeants. Moi ma confiance elle va à ceux qui font tourner cette société, ceux qui en sont à la base et j’ai des raisons d’ailleurs d’être confortée dans mes convictions. On a encore en tête de façon assez vivante cette période de confinement, où quand même on a vu jaillir beaucoup d’initiatives, on a vu que des travailleuses, des travailleurs étaient capables de s’organiser. Ça a été pour coudre des masques, pour organiser des rondes, aider ceux qui en avaient besoin, faire les courses des uns, assister les autres de façon diverse et variée, faire de la distribution alimentaire… y compris dans les entreprises et dans les hôpitaux. Enormément de choses ont été réorganisées par les salariés, y compris par les femmes et les hommes qui étaient au bas de l’échelle, qui d’habitude n’ont jamais leur mot à dire et qui là ont eu cette possibilité de prendre un certain nombre de choses en main. Et ils l’ont fait. Ils l’ont fait dans les hôpitaux, ils l’ont fait dans pleins d’entreprises ! On peut citer l’exemple d’un supermarché où le patron à disparu pendant un an et demi parce qu’il était confiné, ça a très bien marché sans lui, aucun problème. D’ailleurs tous ceux a qui on a dit « débrouillez-vous », ils ont très bien réussi. Ça me conforte dans l’idée que lorsque ceux d’en bas arrêtent d’être commandés par des gens qui n’ont que des calculatrices dans la tête et qui ne jurent que par la rentabilité et la compétitivité, et bien ils peuvent faire ce qui est nécessaire pour répondre à leurs besoins et aux besoins de la société. C’est comme ça qu’on devrait réorganiser la société. Moi dans ce moment-là, j’y ai vu ça. Mes convictions et ma confiance elles vont à ce camp là. À ceux-là qui aujourd’hui effectivement ne sont pas mobilisés et dont on a du mal à percevoir la force collective, la capacité à changer les choses. Mais c’est aussi ce monde du travail qui a toute une histoire, celle qui a à chaque fois transformer la société en la faisant progresser. Je crois que tous les progrès de la société sont venus justement de ce côté là de la population, du côté des opprimés, du côté des exploités.

Q : Pour vous la société va forcément dans le sens du progrès ? 

R : Ce que je constate c’est que moins les travailleurs se battent, plus on recule, et cela à tous les niveaux. Au niveau matériel, au niveau idéologique, au niveau moral. Quand les travailleurs se battaient, constituaient une force politique, qu’ils avaient des organisations ouvrières actives, implantées qui offraient des perspectives d’émancipations, ils pesaient dans la société. Ce sont eux qui pendant des décennies ont fait reculer le racisme, les idées les plus réactionnaires y compris les croyances religieuses. Pour nous c’est là qu’il faut pour reprendre les termes à la mode « investir notre confiance » et notre énergie. Puisque de toute façon les travailleurs seront forcés à se battre, ce sera une question vitale, on le voit aujourd’hui lorsque des grèves éclatent pour des questions de salaire ou conditions de travail. C’est avec ce genre de mobilisations que l’on construira le levier, pour nous un parti est nécessaire pour accélérer cette prise de conscience et ce renversement de la société capitaliste. Loin d’être démoralisés, nous on a qu’une envie : celle de se retrousser les manches et construire ce parti communiste révolutionnaire qui manque. 

Crédit image : ©Bertrand Guay