Héritière de Draghi ou de Mussolini ? Le « en même temps » à l’italienne de Giorgia Meloni

Lorsque le parlement italien issu du vote du 25 septembre dernier a élu les présidents des deux chambres, l’opposition s’est soulevée et beaucoup d’observateurs, en Italie comme à l’échelle internationale, ont montré leur inquiétude.

En effet, la coalition conservatrice qui a remporté les élections n’aurait pas pu choisir des figures plus controversées : au Sénat, l’ancien militant post-fasciste Ignazio La Russa, qui porte comme deuxième prénom Benito en l’honneur de Mussolini et qui ne cache pas de collectionner des bustes du Duce chez lui. À la Chambre des Députés, le bras droit de Matteo Salvini, Lorenzo Fontana, qui a fait de la lutte contre l’avortement et les unions entre des personnes de même sexe son principal combat politique.

“La droite a montré son vrai visage”, ont commenté certaines figures de la gauche, comme la députée Elly Schlein. Sous-entendu : méfiez-vous des tentatives de dédiabolisation, voici à quoi va ressembler le prochain gouvernement.

Trois semaines plus tard, après avoir officiellement pris ses fonctions, la nouvelle présidente du conseil Giorgia Meloni s’est rendue à Bruxelles pour sa première visite à l’étranger, montrant un visage assez différent : “Je suis satisfaite, j’ai rencontré des personnes prêtes à écouter”, a-t-elle déclaré après avoir posé souriante devant les photographes avec la présidente du parlement européen Roberta Metsola, celle de la commission Ursula Von Der Leyen et le président du conseil européen Charles Michel. Des images frappantes, si l’on considère qu’il y a quelques années encore la même Meloni demandait la sortie de l’Italie de l’euro et qualifiait les dirigeants de Bruxelles de “bande d’usuriers”. 

Trouver un équilibre dans la pluralité: un défi vital pour Giorgia Meloni

Loin d’être anecdotique, cette ambiguïté est en réalité la clé pour cerner la nature du nouveau gouvernement italien. En effet, elle n’est que le reflet de la pluralité de la coalition qui a porté Meloni au devant de la scène politique. Les trois principaux partis qui la composent – Fratelli d’Italia de la nouvelle présidente, Lega de Matteo Salvini et Forza Italia de Silvio Berlusconi – non seulement ont des histoires, des priorités, des bases électorales et des liens transnationaux différents (il suffit de rappeler qu’ils appartiennent à trois groupes politiques distincts au sein du parlement européen), mais ils sont aussi parcourus par une fracture transversale: celle qui sépare les pro-UE des eurosceptiques, les pro-OTAN et Ukraine des amis de Poutine, les modérés des populistes, les disciples de Mario Draghi de ses détracteurs. 

Ce clivage est apparu de manière flagrante dans les jours précédant la formation du gouvernement, lorsque les médias italiens ont publié des fuites audio dans lesquelles Berlusconi déclarait aux nouveaux élus de son parti qu’il avait échangé des « lettres très douces » et des bouteilles de vin avec Poutine et qu’il reprochait à Zelensky d’avoir provoqué la guerre. À cette occasion, la réponse de Meloni a été lapidaire : « L’Italie fait pleinement partie de l’Europe et de l’Alliance atlantique. Toute personne qui n’est pas d’accord avec cette pierre angulaire ne peut pas faire partie du gouvernement, au prix de ne pas constituer le gouvernement ».

Finalement, le gouvernement a vu le jour, mais ces divisions n’ont pas disparu, ce qui n’est pas nécessairement une faiblesse. Au contraire, c’est probablement sa pluralité qui a permis à la coalition de droite d’obtenir un si large soutien populaire aux élections du 25 septembre dernier. Le défi auquel Meloni doit maintenant faire face est de transposer ces différences dans l’action gouvernementale tout en évitant qu’elles ne la paralysent, ne se transforment en ruptures irréparables et ne compromettent la crédibilité de l’Italie à l’international. La composition du Conseil des ministres reflète précisément cette nécessité. 

Rassurer l’Europe et satisfaire l’électorat: les deux visages du gouvernement

D’un côté, la nouvelle présidente a fait le choix de confier les postes directement en lien avec Bruxelles et l’international aux figures les plus “rassurantes”, pro-UE et modérées de chaque parti : Antonio Tajani, de Forza Italia, connu et respecté hors d’Italie pour avoir été président du Parlement européen, dirigera le ministère des affaires étrangères. Giancarlo Giorgetti, de la Lega, alter ego modéré de Salvini qui comptait parmi les plus fidèles soutiens de Draghi, sera ministre des finances. Enfin, Raffaele Fitto, de Fratelli d’Italia, ancien membre très respecté du Parti populaire européen avant de passer au groupe conservateur, dont il représente toujours l’aile la plus modérée, sera chargé des affaires européennes et du plan de relance. Dans ce dernier cas, la continuité avec le gouvernement précédent sera cruciale car le versement des quelque 150 milliards d’euros que l’Italie attend de Bruxelles est subordonné au respect du plan convenu entre Draghi et la Commission européenne l’année dernière.

De l’autre côté, Giorgia Meloni est bien consciente que le vote qui l’a largement récompensée le 25 septembre est porteur d’une demande de rupture. C’est pourquoi elle a choisi de confier à des figures nettement plus marquées politiquement les dossiers auxquels les électeurs de droite sont traditionnellement davantage attachés. L’exemple le plus frappant est sans doute celui de la nouvelle ministre de la famille, une fervente militante pro-vie et anti-GPA. Ce qui ne signifie pas nécessairement que le droit à l’avortement est en danger en Italie – tant la ministre que Giorgia Meloni elle-même ont déclaré ne pas vouloir toucher à la loi – mais la seule nomination envoie un message très clair aux segments les plus conservateurs de la société italienne. Une autre question hautement symbolique est l’immigration, qui relève du ministère de l’intérieur. Ici, le choix de Meloni s’est arrêté sur le préfet Matteo Piantedosi, qui était le bras droit de Salvini lorsque le leader de la Lega était lui-même à ce poste et qui en a déjà repris le travail. Son premier acte a été d’interdire l’accès aux eaux italiennes à quatre navires d’ONG transportant près de mille migrants secourus en mer Méditerranée.

De son côté, Meloni joue le double rôle d’actrice principale, montrant l’un ou l’autre visage selon la scène et le public, et de metteuse en scène. De sa capacité à diriger les différents acteurs de la coalition tout en évitant la cacophonie dépendra la durée du gouvernement qui vient de naître. 

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