Crime et châtiment au Musée d’Orsay, voyage macabre et fascination troublée

crime_et_chatiment.gifL’exposition est une invitation au pays du malsain sublime…Très bien réalisée, elle nous fait suivre un parcours entre chronologie et thématique dans une pénombre propre à laisser l’esprit se focaliser sur les œuvres réunies pour l’occasion créée par Robert Badinter.

Elle commence par nous rappeler la morale chrétienne qui nous instruit des premiers interdits ; « tu ne tueras point », mais celle ci les illustre autant qu’elle les énonce ; aussi Caïn tuant Abel ouvre donc la marche, mis en perspective avec l’origine de ce premier crime ; la désobéissance d’Ève cueillant la pomme et plongeant ainsi l’homme dans le Mal.
S’ensuit un voyage dans le XIXe siècle avec ce polémique clou du spectacle ; une guillotine exposée et mise en scène dans l’obscurité d’une allée, vivant rappel de ce que le crime, comme le châtiment passe par la mort. Devant celle ci ne peut on s’empêcher de s’interroger ; tous y étant passé la méritaient-ils, certaines causes ne pouvaient elles s’en passer? Et surtout : quel est le pire, de ce qui a pu être commis, ou de la punition qui s’ensuit? Quoi qu’on en pense lorsqu’elle n’est pas sous nos yeux est aussitôt bouleversé, la réalité de cet instrument de mort et l’imagination qu’elle déclenche provoquant un frisson.
Large place est faite aux crimes politiques du siècle ; celui de Marat, le Peletier de Saint Fargeau, l’affaire Fualdès, autant d’histoires et d’Histoire sur lesquelles il est bon de se renseigner avant l’exposition, lorsque notre mémoire étudiante flanche, puisque celle ci est plutôt avare d’explication, vendant par ailleurs guides audio ou conférencier aux visiteurs.

Nous continuons pour arriver au crime romantique, entre mythes et réalité ; sorcières, Lady Macbeth, femmes fatales et criminelles ou victimes alanguies aux ombres carmins semblent poser cette simple question morale de l’esthétisation de l’horrible, du cruel. Quels plaisirs trouvent donc certains peintres à travailler sur l’horreur, et à parfois chercher à la rendre belle? C’est pourtant l’illustration des mêmes sentiments qui se débattent en nous tout au long de l’exposition, tout bienséant et bienpensant qu’on puisse l’être ou se vouloir, celle ci nous rappelle que l’homme a cette étrange fascination pour le mal, et pour l’horreur.
Aussi plonge t elle dans le voyeurisme en passant de l’expression artistique qui est celle des premiers journaux cherchant le sensationnalisme dans des gravures qui retournent l’estomac et dans des papiers trop riches de détails macabres, à un quasi retracé sociologique et historique ; lorsque la science cherche à définir les caractéristiques du criminel et la punition idéale, lorsqu’elle s’empare de l’incompréhensible pour l’expliquer elle nous prend à témoin, et ce n’est nullement malgré nous. Il suffit de voir comme les visiteurs se pressent sur les photographies liées à l’espace Bertillon et son invention de l’identification judiciaire. Les photographies de scènes de crimes côtoient celles de criminels, de tableaux d’études de caractéristiques physiques. Ces pièces aussi crues et atroces qu’elles puissent l’être attirent les gens qui restent à contempler les cadavres d’un autre siècle, aux visages et entrailles déchirées, où ils comparent également le lobe d’oreille de leur voisin à la planche descriptive, en l’imaginant criminel.

On prend conscience de cette vulnérabilité, qui nous caractérise et qu’on oublie dans notre société aseptisée et débarrassée des violences qui sont la réalité d’un ailleurs, ou d’un autre temps. Cette exposition ne parle t elle pas seulement de mort, de celle des victimes comme de celle qui attend les criminels? On a oublié qu’autrefois, et jusqu’en 1981 en France, la sentence n’était pas d’être soustrait à la société, mais de perdre la vie, et parfois par la torture. Une seconde machine diabolique et peu connue vous l’apprendra. On s’imagine victime, terrorisés de voir cette violence que nous avons effacée ressurgir si terriblement, passant des peintures qui suggèrent une réalité aux photographies qui vous la jettent au visage. Et on s’imagine auteur. Et si cette violence n’était pas seulement autour, mais aussi et surtout en nous, telle une voix assourdie que l’on chercherait à faire taire? Puisque l’évidence s’impose; ce ne sont pas des bosses dans la boîte crânienne comme cela a été pensé qui définissent qu’un homme en tuera un autre ; Goya nous l’explique sans mots, juste avec ces silhouettes aux visages toujours flous ; ici Cannibales : l’homme est d’abord un animal, dans tout ce qu’il a de cruel et de vivant. Et des scientifiques veulent prouver qu’un faciès rappelant vaguement le singe est celui du crime. D’autres jouent de leur propre fascination pour ce mal finalement indécelable, vous irez voir la sculpture de la Petite danseuse de 14 ans…
Enfin nous arrivons dans la dernière salle, blanche et lumineuse. Celle du surréalisme et de sa passion pour le crime sexuel, entre autre. On avait tord de se croire sorti de l’horreur, ainsi que de penser que l’art moderne floutait la réalité, le viol de Picasso est évident, parmi d’autres, exprimant alors plus sur l’auteur de la peinture et sa perception propre du crime que sur le sujet véritable, comme c’était le cas avec celles du XVII, et du XVIII. Nous sortons finalement, troublés, de nous mêmes et des autres, de ce voyage aux sensations fortes, pour peu qu’on ait prêté une attention vive, qui s’arrache de toute façon à nous même dans ce labyrinthe racontant l’histoire de ce que nous ne voulons pas vivre mais que nous voulons voir.

L’exposition finit sur une citation de Robert Badinter, qui relie le meurtre à la volonté de domination. Et si cette fascination morbide nous plongeant dans l’écœurement, l’admiration de l’esthétique de certaines œuvres et l’envie de voir et de connaître le détail était finalement celle du prix du pouvoir? Si dans le crime comme dans le châtiment il n’est question que de domination ultime, et tout homme aspirant à celle-ci, il y a deux siècles comme aujourd’hui, peut être nous demandons nous quel en est le prix à payer, quelles en sont les conséquences. Cela m’a juste traversé l’esprit, tandis que je rentrais en pressant le pas chez moi, scrutant les ombres dans la rue.

Du 16 mars au 27 juin, au Musée d’Orsay
Tarif : 1,50e pour les 18-25 ans ressortissants ou résidents de longue durée d’un pays de l’Union européenne (N’oubliez pas que le musée nous est, lui, gratuit, et ce tous les jours)
Fermé le lundi, nocturne le jeudi.
Le site du Musée d’Orsay : http://www.musee-orsay.fr/fr/accueil.html

Illustration : Théodore Géricault (1791-1824)Etude de pieds et de mains1818-1819Huile sur toileH. 52 ; L. 64 cmMontpellier, Musée Fabre © Musée Fabre de Montpellier Agglomération – cliché Frédéric Jaulmes

4 Comments

  • François

    Une exposition détraquée pour illustrer un art de détraqués. Le tout organisé par des détraqués à une époque détraquée :

    j’aime ce qui est carré.

  • manie malone

    Ta description me donne davantage encore l’envie de m’y rendre que l’article de Citizen K.
    C’est précis, efficace et surtout entraînant!

  • Vingtsangs

    Ah ! Enfin un article avec un minimum de profondeur sur La Péniche !
    J’ignorais qu’on trouvait sur ce site des propos aussi intelligents…

    Félicitations !

    Bon sinon, pour la peine, j’irai voir cette exposition. Ça a l’air un peu ambitieux, mais.. Musée d’Orsay quoi.