Conférence : « Quelle place pour les droits de l’Homme dans la politique étrangère ? »

Lundi 31 mars 2008 se tenait en amphithéâtre Jean Moulin une conférence animée par Zaki Laïdi, politologue et chercheur au CNRS et regroupant Bernard Kouchner, Hubert Védrine, Olivier Roy et Pierre Hassner autour du thème « Quelle place pour les droits de l’Homme dans la politique étrangère ? ». Une conférence intéressante qui se termina sur des questions dérangeantes et une réaction virulente du Ministre des Affaires étrangères.

Selon Zaki Laïdi, une des questions centrales est de savoir si l’élection de Nicolas Sarkozy a changé la donne en matière de politique étrangère, s’il y a du nouveau dans la façon de considérer la place des droits de l’Homme dans la politique étrangère ou si au contraire, la continuité prédomine.

Bernard Kouchner insiste sur le fait que la politique étrangère ne peut se résumer à la seule question des droits de l’Homme : « on ne fait pas une politique étrangère avec les droits de l’Homme ». Ceux-ci, rappelle-t-il, doivent être une « obstination », une « exigence constante ». Mais il faut garder à l’esprit que tout le monde n’a même appréciation des droits de l’Homme. La diplomatie amène non pas à apostasier ses valeurs mais à reconnaître que la question des droits de l’Homme doit être examinée à l’aune des spécificités de chaque pays.

Pierre Hassner est en désaccord avec l’optimisme de Bernard Kouchner sur la situation des droits de l’Homme dans le monde et insiste sur le fait qu’il y a des cas d’extrême-urgence dans lesquels l’ingérence est nécessaire.

Olivier Roy rappelle qu’on a souvent tendance à opposer une politique fondée sur les droits de l’Homme et dénuée de toute action coercitive à une politique étrangère fondée sur un rapport de force amoral, souvent qualifiée de realpolitik. Or, les droits de l’Homme ne peuvent-ils pas s’inscrire dans un rapport de force ? Il y a, selon lui, un progrès : les pays autoritaires, dans leur ensemble, se sentent obligés de faire des élections, fussent-elles trafiquées, de faire des discours sur les droits de l’Homme tandis que pendant longtemps, ils ne s’embarrassaient pas de ces artifices démocratiques. Ce fait nouveau témoigne selon lui de la prégnance de la question des droits de l’Homme.

Hubert Védrine veut en finir avec le prosélytisme démocratique, qui consiste à vouloir imposer ex tripode les droits de l’homme chez les autres. Les droits de l’Homme ne peuvent pas former une politique, une diplomatie. Il faut être lucide et honnête et mettre fin à une certaine hypocrisie ambiante. Tout Président achètera du gaz aux Russes, du pétrole aux Saoudiens et commercera avec la Chine. L’ancien Ministre des Affaires étrangères croit en l’éthique du résultat et non aux déclarations d’intention, à « l’exhibition ». La diplomatie est un savant mélange de droits de l’Homme, de défense du prestige et des intérêts commerciaux, etc. Le prosélytisme droit de l’hommiste hypostasie l’universalité des droits de l’Homme. Notre conviction que nos valeurs sont universelles est certes fondée à moult égards mais elle n’est pas suffisante et force est de constater qu’elle souffre d’un déficit de légitimité. Quelle serait donc une politique réaliste des droits de l’Homme ? La première erreur serait d’adopter une posture orgueilleuse, c’est-à-dire autoproclamer la France « Patrie des droits de l’Homme » etc. Il faut ensuite mettre fin aux annonces intenables, irréalisables. Le troisième élément clé est de trouver des leviers internes : les forces sociales, politiques aspirant aux droits de l’Homme dans les pays concernés doivent être armées, outillées pour s’affirmer. L’erreur fréquente est de vouloir plaquer un modèle de valeurs sans s’appuyer sur les forces internes. Enfin, il est important de faire masse. Dans le cadre des Jeux Olympiques de Pékin, Hubert Védrine pense que le meilleur moyen serait de laisser planer le suspens d’un boycott de la cérémonie d’ouverture par les Vingt-Sept. De surcroît, le gouvernement chinois veut interdire les contacts avec le Dalaï-Lama. Il faudrait donc que l’Union européenne reçût officiellement le Dalaï-Lama à Bruxelles pour montrer que l’Union européenne a un pouvoir de résistance, qu’elle ne cède pas de terrain, qu’elle ne se laisse pas dicter une volonté extérieure. Hubert Védrine souhaite donc un droit de l’hommisme incisif qui fasse converger les actes avec les déclarations davantage qu’un droit de l’hommisme déclaratoire multipliant les effets d’annonce.

La conférence s’acheva sur quelques questions de la salle et nous nous devons de rappeler l’attitude peu amène de Zaki Laïdi, modérateur, qui coupa court aux questions dérangeantes (sur le silence de la France face à l’élimination par Idriss Déby de ses opposants politiques et sur la façon dont le Président Déby est arrivé au pouvoir en 1990 avec l’aide de la France).

2 Comments

  • W.

    Je confirme les propos du parisien.fr.
    Monsieur Kouchner n’était visiblement pas enclin à se confronter aux questions dérangeantes et a répondu de manière inutilement agressive à mon sens.

  • Thomas

    Voici ce qui se dit aussi sur le net: info ou intox, je n’étais pas présent!!!

    Sur leparisien.fr "Kouchner secoue les étudiants de Sciences-po" :

    "DEÇUE aux larmes. Après la conférence donnée hier soir à Sciences-po par Bernard Kouchner, une étudiante a fait part au ministre des Affaires étrangères de son regret qu’il n’y ait pas eu davantage de débat. Très émue et après avoir été rembarrée par le ministre, elle a fustigé en pleurant « son mépris total ».

    Parmi les quelque quatre-vingts étudiants venus assister à la conférence (« Quelle place pour les droits de l’homme dans la politique étrangère ? », d’autres sont sortis peu enthousiastes : « Kouchner s’est facilement débarrassé des questions gênantes », ont jugé quelques-uns.

    Alors que le débat, en présence notamment de Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin, était assez calme, le ton s’est enflammé sur la question du Tchad. En toute fin de conférence, devant un jeune qui refusait de le croire quand il affirmait que Paris n’était pas intervenu pour soutenir le président tchadien, Idris Déby, Bernard Kouchner a fini par s’énerver. « La France est méchante, méchante… » a-t-il lâché, se moquant de l’étudiant. Avant d’ajouter en se levant pour partir car la conférence était finie, « la France est dégueulasse ». Malgré cette sortie, beaucoup de présents ont applaudi le ministre et les autres participants."

    Unhunnnnnn… Bernard, réveillez-vous, French doctor, allo, allo? Y’a plus personne au bout du fil faut croire.