Comment Sciences Po s’est doté de toilettes « non-genrées »

Depuis la rentrée de septembre, les étudiants de Sciences Po peuvent profiter de toilettes non-genrées, présentes dans tous les bâtiments et tous les étages.  Si des toilettes mixtes existaient déjà dans les différents bâtiments du campus de Paris, elles étaient uniquement dédiées aux étudiants handicapés.  Et pourtant, le projet, porté de concert par le collectif féministe Garces, le syndicat Solidaires et l’association Equal ne date pas d’hier.

Les premiers échanges de mail avec l’administration remontent à 2015, et agrégeaient d’autres revendications, comme la mise à disposition de protections hygiéniques et de l’adaptation des toilettes pour les porteur.ses de cup. Mais selon les syndicats, le projet de toilettes mixtes n’a pu aboutir, du fait de l’absence de nomination d’une référente égalité et VSS sur la période 2021-2022.

Crédits : Collectif Garces

Ensemble, ces derniers ont décidé de mener un groupe de travail d’octobre 2021 à 2022 pour élaborer une carte recensant les toilettes mixtes et non-genrées existantes. La carte est alors postée sur les réseaux sociaux.

Surprise à la rentrée

Le 23 mars 2022, alors que le campus Saint-Thomas a déjà ouvert ses portes depuis 2 mois, les représentants d’Equal, Garces et Solidaires sont reçus par Sébastien Thubert (responsable de la vie étudiante) et Sophie Lallement (référente égalité et VSS), car les toilettes du nouveau campus opèrent alors une distinction entre hommes et femmes.  

Il leur est alors annoncé que la mise en place de toilettes non-genrées est prévue pour le campus de Saint-Thomas, dans le cadre de la Stratégie d’égalité 2020-2023, mais pas de planning précis ne leur est communiqué concernant les autres bâtiments du campus de Paris. Ceux-ci ont donc découvert en même temps que les autres étudiants la mise en place des toilettes non genrées à la rentrée.

De meilleures conditions d’études pour tous.tes

Si l’on peut s’interroger sur le bien-fondé de cette revendication particulière, les mesures de « genrage » ou de « dé-genrage » des sanitaires sont d’après les associations interrogées des signaux très fort d’exclusion ou d’inclusion des personnes transgenre et non binaires. 

 « Si on enlève les étiquetages genrés tu permets d’éviter la situation très gênante et angoissante dans laquelle une personne trans avec passing[1] moyen se fait épingler ou agresser par autre étudiant » explique le collectif Garces. « Ces étiquettes F/H contraignent également l’utilisateur à se ranger obligatoirement dans une catégorie, et contribuent finalement même à les créer » souligne de son côté Théo*, membre d’Equal.

Une réception plutôt positive

« Au début, c’est un peu surprenant ! » confie Thomas*, un étudiant. « La première fois que je suis rentré dans des toilettes et que j’ai vu une fille faire la queue, je suis sorti pour vérifier que je ne m’étais pas trompé ! ». Malgré quelques affiches « homme » et « femme » collées sur les pictogrammes en septembre 2022, le projet semble plutôt bien reçu dans la communauté estudiantine. Si certains soulignent l’importance du projet pour l’inclusion des personnes transgenres et non binaires, Marine* elle explique à quel point cela représente un avantage pratique. « Il y a beaucoup plus d’étudiantes que d’étudiants à Sciences Po, donc il y a toujours plus d’attente dans les toilettes femmes. Maintenant c’est beaucoup plus fluide parce que numériquement il y a plus de toilettes accessibles aux personnes s’identifiant comme femmes ! ».

Un retard français

En France, d’autres universités ont déjà franchi le pas depuis quelques années. A titre d’exemple, l’Université Lumière Lyon 2 a mis en place des sanitaires non-genrées depuis septembre 2020 quand le campus Université François-Rabelais de Tours en est pourvu depuis 2017. Toutefois, ce processus repose bien souvent sur la détermination des associations étudiantes, les universités n’étant pas contraintes juridiquement en la matière.

En effet, si le défenseur des droits s’est exprimé sur le sujet, il se contente de préciser que dans le milieu du travail, «il est recommandé d’utiliser le prénom choisi par la personne » et « d’autoriser l’accès aux toilettes correspondant à l’identité de genre de la personne ». Mais à ce jour, rien concernant le milieu universitaire.

La France accuse un retard criant en la matière au regard des universités américaines, pour qui la mise à disposition de toilettes non genrées a été rendue obligatoire depuis une circulaire fédérale de 2016. Toutefois, ces dispositions ont été annulées par l’administration de Donald Trump dans le document d’orientation publié par le ministère de l’Education et le ministère de la Justice le 22 février 2017. 


[1] Le passing se référant à la capacité d’une personne à être considérée, en un seul coup d’œil, comme une personne cisgenre (Source : Wikipédia)

* Les prénoms ont été modifiés