Tribune : Macron, quand reprendra la Marche ?

Emmanuel Macron se revendique en marche, réformateur et révolutionnaire, mais il n’a jamais été aussi statique. Seize mois ont passé depuis son élection, et le macronisme semble être au bord du précipice. Partout des failles sont relevées, les soutiens s’en vont, les mesures sont inefficaces, le Président apparaît déconnecté de la réalité, et comme ayant perdu son cap.

Nous sommes le 7 mai 2017. L’aveuglement dû à l’illusion « En Marche  ! » est à son apogée. Emmanuel Macron vient d’être élu à 66,1% des suffrages face à la candidate du Front National, Marine Le Pen. L’ambiance est particulière. La surprise n’est pas au rendez-vous, l’abstention est élevée – la plus forte depuis 1969. Il n’y a guère de grandes manifestations de joie, à croire que c’est un jour comme un autre. À côté, le rendez-vous du Louvre fait pâle figure.  Ce jour est très contrasté, le FN a été repoussé pour un temps. Mais qui pense que la conjoncture économique va s’améliorer ? Que l’État va être respecté de nouveau ? Qui croit que l’environnement aura voix au chapitre ? Peu, trop peu. Le macronisme était en pleine fièvre certes, mais ce n’était qu’un choix par défaut. Les élections législatives viennent confirmer cet état de fait. Lorsqu’un seul Français sur deux va voter, il est affligeant de parler d’adhésion populaire. Bien au contraire. Depuis, les choses n’ont fait qu’empirer. Chaque mois son lot de polémiques dues à une nouvelle phrase « choc » d’un Président qui ne sait rien des problèmes de ses citoyens. Contrairement à ce que pourraient croire certains comme Daniel Cohn Bendit, Jean-Yves le Drian et autres vétérans de la politique, l’élection de 2017 n’a pas soigné la démocratie française. Elle est symptomatique d’un désintérêt exponentiel des citoyens français pour la Chose Publique.  

Le Président de tous les Français ?  

Comme tout bon candidat à la magistrature suprême, Emmanuel Macron s’est présenté comme le Président de tous les Français, à coups de harangues parfois douteuses, comme les fameux « C’est notre projet ! », « Ce que je veux c’est que vous partout vous alliez le faire gagner  ! » ou encore sur TF1 en avril dernier, « Je suis le président de tous les Français ». 

Mais à quoi bon se revendiquer Président de tous lorsque l’on dénigre une partie de la population dans une gare , en mentionnant « ceux qui ne sont rien », ou lorsque l’on va dire à des retraitées « d’arrêter de se plaindre » pour que le pays aille mieux ? Le point culminant de ce paradoxe du « en même temps macroniste » est la fameuse expression « gaulois réfractaires ». Notre Président n’est pas celui de tous les Français. Il se complaît dans la division, il prospère dans le jugement paternaliste qu’il adore délivrer aux personnes en difficulté. C’est le cas de ce jeune horticulteur à qui il conseille de traverser la rue pour trouver un emploi. C’est par ce genre de propos qu’il contribue à dévaloriser la formation par apprentissage, et la valeur même du travail.

Les étudiants aussi ont souffert. Avec la loi ORE (Orientation et Réussite des Etudiants) qui impose une sélection injuste, non basée sur le mérite individuel (quand on sait que certains dossiers se classaient au lancé de dés), la fracture avec les étudiants est incontestable. Une autre division est présente, entre le Président et l’armée, qui n’oublie pas la façon dont a été écarté le Général Pierre de Villiers lorsque celui-ci critiqua le budget alloué à l’armée.

Décisément, il ne reste plus grand-monde pour rallier la grande union macroniste.

Qu’a donc fait Macron de si grandiose pour se sentir digne de commenter avec condescendance les soucis quotidiens des travailleurs salariés, libéraux, des chômeurs, des retraités, des étudiants, des apprentis, et de limoger sans gêne un Général ayant servi la France pendant 43 ans de sa vie  ? Même son ancien ministre de l’Intérieur et premier fidèle, Gérard Collomb, avait souligné un manque de modestie de la part du Président. C’est dire. 

Des mesures cosmétiques pour un contexte urgent 

Au-delà même de sa stature et de son comportement, c’est la politique de Macron au sens large, ainsi que sa majorité parlementaire, qui sont insuffisantes. Nous avons pu découvrir en ce début de législature une majorité LaREM incompétente, à l’image d’Aurore Bergé lisant les petites fiches préparées par le gouvernement pour répondre à un parlementaire de droite le 22 juillet dernier. Incompétence aussi lors de l’affaire Benalla où la Commission d’enquête fut une farce à cause du sabotage organisé par la majorité. L’Assemblée Nationale perd en prestige face au Sénat qui a quant à lui géré la commission d’enquête avec un professionnalisme exemplaire, sous la houlette du Sénateur Philippe Bas. 

Du côté de la politique en elle-même de Macron, même constat : les politiques économiques menées par le gouvernement sont absurdes ou insuffisantes. La suppression de l’ISF était une bonne chose. Mais pourquoi créer l’IFI (Impôt sur la fortune immobilière) à côté , si ce n’est que pour avantager seulement les actionnaires ? Emmanuel Macron n’est pas le président des riches. Il est le président des actionnaires, de la finance. Or nous avons besoin d’un président de l’entrepreneuriat, de la PME, de l’innovation schumpétérienne. La loi PACTE est elle aussi en partie inutile, et montre à quel point les finances vont mal. Nous sommes obligés de privatiser la FDJ, Engie pour diminuer notre déficit ! Bruno Le Maire, lui, annonce la création future d’un fonds pour l’innovation, dont on peut douter qu’il sera suffisamment important, ainsi qu’une simplification administrative pour les PME. Cette mesure va dans le bon sens, mais demeure cruellement insatisfaisante. En 2019, les charges sur les entreprises devraient baisser. Mais cette baisse, votée en 2017 et prévue pour janvier 2019, vient d’être repoussée à octobre 2019. Ces mesures vont dans la bonne direction et il serait hypocrite de dire l’inverse, mais elles arrivent tard, et sont trop restreintes. Aux grands maux, les grands remèdes. Ici ce ne sont que des mesurettes. D’ailleurs les résultats ne tardent pas, la dette augmente toujours et atteint 99% du PIB en 2017, l’INSEE a revu ses prévisions à 1,6% de croissance pour 2018, marquant une nette inflexion, et le chômage stagne toujours à 9,1% de la population active. 

Au niveau écologique il n’y a aucune grande impulsion, ni dans la transition énergétique, ni dans la modernisation de nos centrales nucléaires. La taxation des prix du gazole ne fait qu’enfoncer un peu plus les habitants des périphéries urbaines et des zones rurales – la France ne se limite pas qu’à la petite couronne parisienne. A part le « Make our Planet Great Again », rien n’est fait. L’accord de Paris n’a pas été respecté – ça vaut bien la peine d’ailleurs de critiquer la politique trumpienne. A part des paroles, des promesses, c’est le néant. Peut-être nos gouvernants se disent-ils « après nous le déluge » ? 

L’Etat est humilié. Ses fonctions régaliennes sont diminuées. Sa légitimité dilapidée, son autorité à terre. Notre Dame des Landes en est un exemple flagrant, après 179 décisions de justice favorables au projet et un référendum local, l’Etat recule. Il recule face à l’insubordination, face à des bandes d’anarchistes qui ne reconnaissent pas les lois de la République. L’Etat recule face à la violence de la rue. Les Blackblocks n’ont pas été empêchés de détruire tout sur leur passage au printemps 2018.  L’Etat recule dans les quartiers sensibles, selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, 44% des habitants de ces quartiers trouvent l’action de la police « plutôt peu efficace » et pour 27% le nombre de forces de l’ordre est insuffisant. Certains policiers n’osent même plus intervenir dans certains de ces territoires perdus. « Aujourd’hui nous vivons côte-à-côte, et je crains que demain nous vivions face-à-face ». Cet aveu de la part de G. Collomb est criant de vérité et de détresse. L’Etat est faible et ce n’est pas avec un Président-Roi que l’Etat va être de nouveau respecté là où il ne l’est plus.  

L’Europe est sans vision : le Président de la République cherche à devenir l’homme fort. Mais il échoue : sur la politique de défense européenne, un budget d’investissement de la zone euro, une politique commune pour les migrants, une taxation des entreprises américaines du numérique. Sa seule solution pour les élections européennes est de se présenter comme la seule digue face aux populismes eurosceptiques. Il fracture un peu plus l’Europe entre deux parties. « Son Europe à lui, fédérale, c’est l’Europe que tous les peuples, hier, ont rejeté » déclare Bruno Retailleau, qui veut quant à lui « assumer une Europe des possibles » en contraste avec l’Europe de la « chimère » d’En Marche, et incarner une voie alternative entre ce manichéisme, ce qu’il nomme de lui-même « l’Europe des petits pas ». 

Macron ou la continuité  

Las. C’est le mot qui correspond le mieux à l’humeur des citoyens français. Nous sommes loin de 1968 où ils défilaient par centaines de milliers pour soutenir le Général de Gaulle.  Macron n’est que la simple continuation de la politique menée depuis trente ans. Scandales à répétition, abaissement de la fonction présidentielle, un Etat faible, une économie beaucoup trop entravée, une Europe fédéraliste non-cohérente, des fonctions régaliennes délaissées, des institutions bafouées (comme le Sénat lors de l’affaire Benalla), puis un abandon flagrant des territoires ruraux.  Gérard Larcher l’avait d’ailleurs dénoncé « le mythe, le mirage du nouveau monde est définitivement évanoui » sur RTL le 26 juillet 2018. 

2017 était le dernier rempart pour la France, la conjoncture économique de reprise aurait pu nous permettre de revenir dans les pays les plus attractifs d’Europe, de baisser notre dette, et surtout les impôts sur les entreprises qui sont une barrière intolérable. Que nenni.  

« Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », disait Lavoisier. Ici rien ne s’est perdu, rien ne s’est créé et rien ne s’est transformé, c’est l’immobilisme en marche.  

Paul Soudet