Le Grand Oral de Frédérique Vidal : Pour ou contre la sélection, Madame la Ministre ?

Mardi soir, le Grand Oral faisait sa rentrée avec nulle autre que Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Tout sourire et « ravie d’être là », celle dont le ministère était au cœur des débats qui ont fortement marqué les douze derniers mois était pourtant attendue au tournant par des étudiant.e.s irrité.e.s et déçu.e.s de ses réformes.

Amoureuse de l’école, tant hier qu’aujourd’hui

C’est ainsi qu’Adrien Berquiez de Sciences Polémiques l’a présentée, mais elle se définit elle-même ainsi. D’ailleurs, elle se considère toujours comme professeure des universités : « Je l’ai été mais je le suis toujours en réalité, c’est quelque chose qui ne se perd pas ».

Si elle n’arrive pas à décrire le profil idéal pour le poste qu’elle occupe, c’est selon ses dires parce qu’elle connaît extrêmement bien ce milieu qu’elle peut en discuter pour faire avancer les choses. En effet, elle affirme avec aplomb que l’enseignement supérieur, partout dans le monde, prépare l’avenir et crée les connaissances qui font progresser la société : « L’innovation est une autre façon de transformer la connaissance que l’on a produite en quelque chose qui est bon pour la société. La connaissance en tant que telle n’est ni bonne ni mauvaise ; ce qu’on en fait au travers de l’innovation qui est un choix de société et de civilisation ».

A la rédactrice en chef de La Péniche, Capucine Delattre, elle répond qu’être leader, c’est « porter des convictions, être capable d’en débattre mais aussi de changer d’avis et de décider ». Le rouleau-compresseur, très peu pour elle ; elle préfère l’autorité du leader, qui « embarque les gens dans une fierté collective ».

Une ministre toujours à l’écart des partis et débats politiques

Il est vrai que sur ce point, la ministre ne fait pas figure d’exception dans le gouvernement d’Édouard Philippe, dont nombre de membres sont issus de la société civile. Ainsi, la partie de sa vie que Mme Vidal associe le plus étroitement à une expérience politique est sa présidence de l’université Nice-Sophia-Antipolis. Toutefois, elle insiste, cela ne l’empêche pas de réaffirmer la seule opinion politique qu’elle ait jamais exprimée publiquement : « J’ai une aversion sans nom pour le Rassemblement National, quel que fut son nom d’hier et quel que sera son nom de demain. ».

Interrogée par l’UNI, Frédérique Vidal tourne autour du pot mais ne dira finalement jamais ce qu’elle pense de la sélection à l’université : « On ne peut pas être pour ou contre la sélection quand on est ministre de l’Enseignement supérieur. Il y a des formations qui sont sélectives et d’autres qui ne le sont pas, et c’est très bien comme ça. ». Elle s’oppose cependant fortement à la sélection par l’échec, contre laquelle elle dit avoir lutté toute sa vie : « Je suis persuadée que chaque jeune a une chance dans l’enseignement supérieur. […] J’ai rencontré des centaines d’étudiants dans ma vie qui m’ont prouvé que lorsque l’on voulait, lorsqu’on était aidé, lorsqu’on donnait plus à ceux qui avaient besoin de plus, on réussissait. ».

« Sciences Po ouvert aux enfants d’ouvriers, Sciences Po fermé aux intérêts privés ! »

L’interview est interrompue au bout d’une heure par des étudiants en colère, scandant et chantant « La sélection, c’est dégueulasse ! » et brandissant des pancartes et draps ornés de slogans comme « Derrière la loi Vidal se cache le capital ». Les protestataires sont rapidement écarté.e.s par la sécurité, mais l’intervention a fait son effet : la ministre n’échappera à aucune question concernant Parcoursup, et l’intérêt du public redouble.

Interrogée sur la CVEC, la ministre précise son utilité à Clément Martin, président de Sciences Po TV : chaque établissement touchera 41€ afin de proposer des activités culturelles et sportives gratuites ; les 49€ restants iront aux CROUS. Selon elle, « personne n’est perdant ».

Lorsqu’il lui est demandé si un classement en fonction des moyennes générales qui se joue à un millième de point vaut mieux qu’un tirage au sort, alors même que ce dernier ne concernait pas tout le monde, elle répond très franchement que la plateforme APB avait, illégalement de surcroît, tiré au sort 65 000 étudiant.e.s, soit 10% du total : « Ce n’est pas beaucoup, mais même un, c’est un de trop. ».

La jeunesse, toute la jeunesse, rien que la jeunesse

Par sincérité plus que par obligation, Frédérique Vidal veut montrer que c’est toujours avec passion et patience qu’elle en parle et qu’elle lui parle. Cette fameuse jeunesse présente devant elle, celle qui construit l’avenir et l’Europe, c’est pourtant en partie la même que celle qui lui a causé bien des tourments cette année. Qu’à cela ne tienne, elle redessine le calendrier de ces derniers mois et n’hésite pas à questionner le timing et la légitimité des manifestations et protestations étudiantes contre la loi ORE, qui ont commencé le jour-anniversaire de mai 68, alors même que tous les débats la concernant avaient déjà eu lieu l’été précédent, selon elle.

Lors des questions des syndicats, l’UNEF n’a pas hésité à l’interpeller : « Le plus grand mouvement étudiant depuis le CPE n’est pas une histoire de dates, et il est grave que vous méprisiez si ostensiblement la jeunesse de votre pays. ».

Visiblement gênée et quelque peu attristée, la ministre ne tarde pas à présenter ses excuses pour la manière dont ses propos ont été perçus par son interlocutrice : « Former des étudiants, c’est la moitié de ma passion ; l’autre moitié, c’est la recherche. ».

Par la suite, elle ne manquera pas de réaffirmer son engagement pour l’accès à tous à l’enseignement supérieur, l’accompagnement personnalisé dont chaque étudiant.e a besoin : « Je ne sais pas comment c’est possible de dire à quelqu’un hors filière sélective : « Ta place n’est pas là. » ». Elle fait aussi part de son admiration et de sa conviction selon laquelle l’accès à Sciences Po offert à certains établissements via la procédure CEP « doit être un modèle pour tous ».

Idéaliste parmi les siens, elle trouve parfaitement sa place au gouvernement

L’ayant elle-même vécu, elle relate à quel point il est douloureux pour un.e professeur.e de voir son cours magistral se vider au fur et à mesure que l’année avance, mais aussi combien il peut être difficile pour des étudiant.e.s de les suivre pleinement : « J’ai trop vu d’étudiants me dire en sortant de l’amphi : « Madame, on n’a même pas compris tous les mots que vous avez prononcés… » ».

« Je suis probablement la plus idéaliste de ceux qui s’intéressent à ces sujets », dit-elle en souriant. Intimement convaincue que tout le monde, avec de la volonté et du travail, est capable de réussir, elle n’est cependant pas dupe : elle est consciente que les étudiant.e.s ne partent pas égaux.les et qu’il faut savoir les valoriser, et donc les connaître ; c’est là qu’elle place toute la philosophie du plan étudiant.

Elle a choisi de porter ce plan au sein de ce gouvernement, dans lequel elle affirme avoir trouvé sa place, puisque pour « pour une des premières fois, il est en train de faire ce qui a été annoncé et ce pour quoi nous avons été élus […] Quelque chose a été proposé, nous devons le mettre en application ». Quant à l’actualité de l’exécutif, elle regrette la décision du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb, mais garantit que le président lui accorde toute sa confiance : « On dit que dans la vie d’un ministre, il y a deux jours dont on est certain : celui où on est nommé, et celui où on quitte le gouvernement. Et entre deux, tous les jours, des choses peuvent arriver… ».

C’est donc une ministre déterminée, calme et très scientifique par l’utilisation des chiffres à laquelle elle se raccroche beaucoup, qui est venue défendre sa loi en Boutmy. Très posée – trop au goût de certain.e.s – elle a préféré présenter son projet de son propre point de vue d’ancienne universitaire et expliquer pourquoi elle se sent légitime à en parler. Une approche plus humaine que politique donc, qu’elle a fortement soulignée tout au long des débats et dont elle espère user pour se distinguer des autres membres du gouvernement. Plutôt que donner son avis, elle tente d’esquiver les polémiques, les « pour ou contre » au sujet desquels la questionnait Manon de Cabarrus, que ce soit à propos de la sélection ou l’écriture inclusive : « Nous avons un vrai travail à faire sur la considération de l’être humain, avant de se demander si son genre va affecter son travail. ».

Astrid-Edda Caux et Rachel Dufrène