Quelle approche juridique du consentement ? Les choses humaines
« Il y a deux façons d’enculer les mouches : avec ou sans leur consentement. »
Boris Vian, Cantilènes en gelée.
Jeudi 2 décembre, le cinéma L’Arlequin, 76 rue de Rennes. Projection du film « Les choses humaines », réalisé par Yvan Attal, adaptation du roman éponyme de Karine Tuil (2019).
« La zone grise, c’est une zone inventée par les hommes pour se justifier, dire : les choses n’étaient pas claires, j’ai pensé qu’elle voulait, je me suis trompé, et passer à autre chose sans avoir à se sentir coupable ni rendre des comptes pour le mal qu’ils ont faits. Moi j’étais claire ; je ne voulais pas. S’il ne s’était rien passé, pourquoi est-ce que j’aurais été porter plainte ? » Les choses humaines, 2019.
C’est avec la première phrase de cette citation que Mathias Vicherat (directeur de l’IEP de Paris) introduit la projection de ce film, qui précède la table-ronde organisée autour d’une réflexion sur le consentement.
Cette séance intervient dans un triptyque de conférences thématiques organisées par Sciences Po afin de lutter contre les violences sexuelles et sexistes (VSS) : le cyber harcèlement et cyber sexisme ; le consentement et enfin la réflexion autour des VSS dans une perspective de recherche.
C’est dans cette petite salle aux fauteuils rouges que se recoupent la vie de milliers de victimes. Victimes de la zone grise du consentement ? Victimes de viol. Victimes de la brutalité du parcours juridique, de la longévité de la procédure, victimes de la culpabilité, victimes de la honte, victimes de traumatismes.
La table-ronde organisée fait intervenir le réalisateur, l’écrivaine, Geneviève Fraisse (philosophe de la pensée féministe et autrice de « Du consentement »), ainsi que Julie Fabreguettes, avocate pénaliste du barreau de Paris. Des profils divers, différents points de vue pour réfléchir à la notion de consentement.
La table-ronde s’ouvre sur un rappel du contexte historique, révélateur de l’omerta autour de ces violences, de la temporalité tardive de la libération de la parole, de la crédibilisation du discours des victimes et de leur accompagnement. Ce n’est qu’en 1975 que le divorce par consentement mutuel est reconnu, et en 1980 le viol est reconnu comme un crime (et non plus un délit). Au cœur de la notion de consentement se trouve la question de l’égalité, de la mutualité, mais aussi de la propriété du corps. Durant un acte de viol, le corps est possédé non plus par la victime, mais par l’agresseur. On retrouve cette notion de possession dans le titre : « Les choses humaines », la « chose » : état intermédiaire entre l’objet et l’humain, qui pourrait désigner ce corps, possédé et dépossédé. Mais à travers cette dépossession, c’est une vie qui est en jeu, une vie volée sans notre consentement.
La pénaliste Julie Fabreguettes nous apporte un éclairage juridique sur la notion centrale du consentement.
La loi pénale ne mentionne pas le terme de « consentement », et c’est pourtant un point de bascule dans tout procès de viol, d’agression sexuelle. On oppose à la liberté sexuelle, la liberté des corps, deux limites : celle du consentement, et celle de la minorité, que l’on pense par rapport au consentement.
Le consentement (du latin cum-sentire : sentir avec) désigne un accord, la permission ou l’agrément, une conformité de sentiment, c’est-à-dire que l’on donne notre accord, on autorise, on accepte que quelque chose se fasse. Mais déjà émergent deux questions fondamentales : comment exprimer son consentement ou son non-consentement ? Le langage détient-il le monopole du consentement ? Comment se faire entendre, comprendre quand l’autre n’est pas réceptif ?
À ce titre, une citation de Karine Tuil relève tout l’enjeu et le malaise de cette problématique :
« Il n’y a pas une seule vérité. On peut assister à la même scène, voir la même chose et l’interpréter de manière différente ».
Il est question de perception, de subjectivité, d’un rapport humain entre une victime et un agresseur, et sauf témoins, généralement d’une parole, d’une perception contre l’autre. En tenant compte d’une potentielle mauvaise foi, comment faire prévaloir l’une sur l’autre ? Une victime n’ayant pas dit « non », mais l’ayant exprimé par son corps, comment refouler sa souffrance, ne pas la reconnaître ? Mais dans le même temps, nous sommes tentés d’être réduits à se demander : « Pourquoi n’a-t-elle pas dit non clairement » ?
Face à cette difficulté liée au domaine émotif, à l’expérience, le droit fonde sa conception du consentement sur des circonstances extérieures. Il apparaît alors le deuxième enjeu du consentement : la notion de liberté, d’indépendance morale, de libre arbitre du sujet. Le consentement est pensé par rapport à un contexte de contrainte, de violence, de menace ou de surprises qui mèneraient à un défaut de consentement. Dès lors, il ne suffit pas de prouver que la victime n’a pas consenti, mais qu’elle n’a pas consenti dans un contexte de violence.
Mais dans ce système légaliste, le procès est celui de l’accusé, l’accent est mis sur le comportement de celui-ci, le juge de la partie civile doit donc prouver que le consentement était perceptible. Dans cette conception du droit, du consentement, cette pratique des institutions, quelle est la place de la victime ?
Celle à qui le consentement porte préjudice, celle qui « n’a pas su dire non » ou plutôt n’a pas « pu » dire non ? La victime est reléguée au second rang, exposée à des procès complexes, d’une violence morale inouïe. Les procès en cours d’assises jugeant des meurtres, parfois médiatisés, exposent à la vue d’inconnus des détails sordides, privés sur les deux parties, obligeant la victime à redire, vivre, revivre, le traumatisme, l’insupportable.
La table-ronde sur le consentement ouvre la question de la prise en charge de la douleur, de la victime. Bien que les juges et les services policiers soient sensibilisés à la prise en charge de ces populations, la violence reste prégnante, la négation de la douleur palpable, la plaie béante. Madame Fabreguettes l’évoquait à juste titre, le procès ne répare rien, il met à distance le danger, est une source rationnelle de sécurité, mais le traumatisme n’est pas réparé. Pour les victimes agressées sur leur palier, l’insécurité, pour les victimes agressées par des proches, la méfiance, le mal-être, le retrait. Comment se reconstruire ? Les États-Unis ont notamment mis en place un procès pour la victime. C’est une perspective intéressante dans la mesure où le procès français est centré sur l’accusé, mis sous les projecteurs, condamné, mais le principal dommageable, qu’en est-il ? Il est relégué au second plan. Mettre en place une procédure indépendante et dévouée à la victime, qui en reconnaîtrait la légitimité et la souffrance est un devoir symbolique.