Guillaume Logé, sublime solastalgie

Rencontre.

Idéaliste mais réaliste, penseur du ‘sauvage’ savamment sophistiqué, Guillaume Logé veut tracer une voie pour un renouveau écologique, où l’art rend à l’homme sa juste place dans le vivant.

Nicolas Bouvier l’appelait la « précieuse connivence avec les choses », Guillaume Logé lui, appelle cela « vivre dans le Musée Monde ». Chercheur en esthétique et diplômé de Sciences Po en 2003, Guillaume Logé s’intéresse à ce que l’art dit à l’écologie. Après un essai sur la Renaissance Sauvage sorti en 2018, il publie l’an dernier le Musée Monde, une invitation à revenir aux origines du musée et de l’écologie pour apprendre à faire corps avec la « mouvance ». Portrait d’un intellectuel sensible à la révolte sereine.

Matin d’hiver rue de Grenelle, le rendez-vous est donné au Basile, dans un café aux allures 70’s, il est 10 heures. Il nous accorde une heure, dense et pleine, à la découverte d’un idéal délicatement raisonné.

Il faut le voir comme il voudrait que l’on voie le monde. Ouvrir grands les yeux, curieux, et se laisser happer par la beauté des choses. Ses mots sont pesés mais naturels, son propos est cérébral et élaboré, mais il vient du cœur.

On décèle sous ses traits fixes un homme en quête : brillant, en questionnement constant. Formé au droit sur les bancs d’Assas avant d’apparaître entre les murs de la Rue Saint-Guillaume, Guillaume Logé a commencé sa vie dans les cabinets de droit des affaires. Trop peu satisfait d’un métier qui lui semble dénué de poésie, il part apprendre entre l’École Normale Supérieure et l’Université de Lausanne, la théorie des arts et les sciences du vivant. De cette vaste mosaïque de savoirs, il veut jeter des ponts entre les univers, avant que les uns ne finissent par ronger les autres.

Pour un nouveau mythe d’amour

D’une voix calme, il détaille, minutieux et précis l’ambition de son ouvrage. Parler de la beauté du monde bien sûr, affirmer évidemment son attachement au vivant (qu’il nomme plus largement le « mouvant »), surtout proposer une voie pour renouer avec la vie qui nous entoure.

Il n’a pas peur des sentiments. Pas peur non plus du poids des mots. Il joue – faussement léger – avec les définitions, brouille les pistes ou en esquisse de nouvelles. S’il avait avec son premier ouvrage cherché à découvrir les prémices d’une Renaissance 2.0, ce sont cette fois les genèses du musée et de l’écologie qu’il propose de réunir.

Il cite volontiers Héraclite, de Vinci, Rimbaud, Kenneth White ou Marcel Duchamp, navigue serein des rives de la Grèce Antique à celle de l’Australie, pour constituer un Musée monde au sein duquel chaque objet charrie une kyrielle de sentiments et de souvenirs. Il dresse la carte d’un territoire pluriel, à mi-chemin entre cabinet de curiosité et théâtre imaginaire, où les œuvres d’art dialoguent avec les savoirs et les rêves. Son musée monde est l’heureux symptôme d’une collectionnite aigüe de la beauté du monde, qui opposerait à toutes les divisions par époques ou par courants, un élan vital pour réinventer le monde, et rappelle combien il est fondamental de prendre soin des choses et d’y tenir sincèrement.

« Le regard, corps et esprit associés, est le cœur battant du musée monde. De son écologie découle la qualité de résonnance des  œuvres, des savoirs, des cultures, des individualités, humaines et autre-qu’humaines. Il est ce qui nous met au monde, nous invite à l’émerveillement, à la révolte, à l’amour. »

Guillaume Logé, Le Musée Monde, l’art comme écologie

Et si d’aucuns pourrait croire que l’écologie ne serait « que » la volonté de rééquilibrer la relation qui lie les hommes au reste du vivant, il rappelle qu’il y a bien plus à ce mot que cela. L’écologie dont il nous parle est fidèle à son étymologie : oïkos, la maison, et logos, le discours, la raison du monde. Une manière de se concevoir dans l’espace qui nous accueille, une capacité à briser les architectures de pensée et les normes pour projeter un regard nouveau sur la vie. Capter, sur de plus vastes horizons, la dynamique du Tout. L’écologie est une voie de progression et d’épanouissement au monde. L’art, porte ouverte sur l’univers, est intrinsèquement porteur d’écologie : un espace et un procédé pour penser et refaçonner les relations, connecter, créer. Simplement : mettre au monde. De « Réclamer le monde » au Palais de Tokyo, aux majestueuses forêts d’Eva Jospin au Musée de la Chasse et de la Nature, la myriade d’odes à la nature présentées dans les musées ces dernières années lui donnent raison. Nos sociétés ont soif de reconnexion et beaucoup voient dans l’art un allié indispensable.  

Dans l’égarement qui est le nôtre, Guillaume Logé redoute un amoindrissement humain, une perte d‘horizon et d’enthousiasme. Il en appelle à un nouveau mythe d’amour : une envie folle de vivre ou simplement le courage de se laisser toucher. En élargir la sphère à la nature, y apporter engagement et conscience sociale, et y trouverait les ferments d’une joie plus dense et riche de sens. C’est peut-être un espoir dostoïevskien, celui de la beauté qui sauvera le monde. Qui lui donne en tout cas la capacité de s’y attacher. Guillaume Logé délaisse, sans sourciller les rationalismes dépassionnés et appelle la raison à s’adresser au cœur. À tous discours froids opposer une simple réalité : un monde dans lequel on ne sait plus aimer, est un monde où l’on peine à exister.

Retrouver la fonction poétique de l’art

Son discours combat les maux de notre temps, la distance, l’indifférence, la solitude, l’empressement… Il propose pour répondre à l’impasse écologique dans laquelle nous sommes empêtrés de réapprendre à « être au monde ». Le Musée Monde n’est alors ni un traité d’écologie, ni un simple éloge de l’art, mais plutôt la quête d’une joie lucide.

« La fonction poétique de l’art désigne, notamment, la capacité de l’art à créer du sens et donner du souffle à notre existence, en révélant la beauté et la diversité du monde, mais aussi en le questionnant et en le transformant. »

Guillaume Logé n’est ni iréniste ni naïf, loin de lui l’idée d’effacer nos angoisses ou de les éluder. Les angoisses qui traversent nos sociétés sont légitimes, et il serait vain ne pas craindre de l’homme qu’il s’enlise dans ses pires travers. Il rappelle que les solutions à trouver ne sont pas uniquement scientifiques ou technologiques, elles sont d’abord et avant tout culturelles. Dans une époque qui lui semble plus que jamais avoir besoin de lien, il fait de l’art un apprentissage, une manière de prendre la mesure du monde et de se réinventer un avenir en commun.

Amoureux qu’il est de la poésie, il veut faire vivre la prophétie d’Hölderlin et voir l’Homme « habiter poétiquement le monde ». Il raconte son inquiétude face à la montée de sentiments d’éco-anxiété ou tout simplement de la désespérance, son désir profond d’émerveillement et rêve des nouvelles manières de vivre qui peuvent en découler. Intégrer la fonction poétique de l’art c’est chercher l’expérience dans la création, et entrevoir dans toute œuvre l’articulation des rapports sous-jacents. Apprendre comme les synesthètes à lire dans une toile le murmure du monde et voir dans une symphonie ou l’agencement des étoiles la couleur des sentiments. Son message est limpide, à qui veut s’ouvrir à une certaine vérité, l’art est une force de transformation du monde, qui permet d’en révéler des dimensions encore trop peu sollicitées.

Son ouvrage est sensible et élégant. S’y déploie une, et c’est là toute la bienveillance de son propos. Si l’on pourrait parfois craindre de certains essais qu’ils vous dispensent une leçon toute prête à l’emploi, Le Musée monde intime que nous ne sommes pas condamnés à l’indifférence ni au repli sur soi. Et qu’il suffit d’un geste pour que la solastalgie laisse place à l’espoir et à la ferveur. Au cœur ensuite, selon son bon vouloir, d’entamer la marche.

La vision que Guillaume Logé propose est celle d’un ré-enchantement du monde, auquel on peut adhérer à sa guise, pourvu qu’on lui concède une chose : on doit apprendre à aimer.

Pour aller plus loin dans la rencontre :

Guillaume Logé, Le Musée Monde, l’art comme écologie

Presses universitaires de France, 2022

328 pages  •  24€

À paraître :

Guillaume Logé, Nature sensible. En marchant avec Tal Coat

Sombres torrents, juin 2024

Crédits photos
  1. « Le Musée Monde, Guillaume Logé, Presses Universitaires de France, 2022 »
  2. A Bear Walking, Leonardo da Vinci, ca. 1482–85. Robert Lehman Collection, 1975.
  3. Guillaume Logé, tous droits réservés.