Goncourt : les livres qu’on court découvrir

Sans Frédéric Gros et Leïla Slimani, nous serions en droit de penser que le cru 2017 du prix Goncourt n’aura pas la même saveur que celui de l’année 2016. Ce serait cependant faire un procès hâtif à cette édition pleine de surprises et de romans d’une grande richesse. Gardons-nous bien de toute opinion préconçue, et examinons attentivement les oeuvres qui se disputeront le prix le plus prestigieux de la littérature française, prix qui sera décerné le 6 novembre prochain. 

L’arrivée de la morte saison a au moins comme avantage de charrier avec ses bourrasques glacées la rentrée littéraire et sa myriade de remises de prix, parmi lesquels le plus prestigieux d’entre tous, le Goncourt. Que l’on soit adepte ou non des romans lauréats du prix, il est toujours passionnant de s’intéresser à ces récits denses, ambitieux, qui savent créer le débat. Alors à quelques jours du verdict du jury, La Péniche vous offre son petit florilège des nommés de la liste 2017 du Goncourt, à découvrir qu’ils se voient attribuer le petit bandeau rouge ou non !

L’Art de Perdre, d’Alice Zeniter

Trois générations, deux pays, et des décennies à se chercher, à se reconstruire. Ali et Yema, les grands-parents, ont dû fuir l’Algérie à l’heure de l’indépendance. Hamid, le père, s’applique à se détacher de son enfance et à se faire sa place dans son nouveau pays. Naïma, la fille, décide d’enquêter sur ses origines, auxquelles elle ne s’était jamais intéressée jusqu’alors. Mais comment faire émerger l’histoire lorsqu’elle est si profondément enfouie sous les années et l’oubli ?

Couverture du livre d’Alice Zeniter

De la première à la dernière phrase de ce petit pavé de 500 pages, le lecteur ne peut que se prendre d’affection pour le destin de la famille de Naïma, qui s’est vue coller l’étiquette de « harki », un terme stérile sans autre réalité que celle du rejet. Les lieux et les époques se succèdent, toujours avec une même justesse, une même façon de donner à voir des sentiments, des sensations, des états d’esprit. Par le charme de ces descriptions, on se retrouve projeté dans l’oliveraie d’Ali, au cœur du camp de réfugiés où chacun tente de faire avec sa désillusion, sur les bancs de l’école où Hamid apprend le français. On se laisse séduire par la plume évocatrice d’Alice Zeniter, à la fois ému par l’histoire particulière de ces personnages mais aussi par la réflexion plus générale portée par l’ouvrage, qui aborde des sujets brûlants d’actualité tels que l’identité, le déracinement, l’héritage, la mémoire, sur un fond romanesque captivant.

Un certain Monsieur Piekielny, de François-Henri Désérable

Un écrivain mythique, décédé depuis presque quarante ans. Un autre, plus jeune, dont le nom fait plutôt penser à celui d’un illustre intellectuel du XIXème siècle qu’à celui du tout juste trentenaire qu’il est en réalité. Et leur rencontre improbable, autour de la figure d’un vieil homme emporté par les griffes de l’histoire. Ce vieil homme, c’est un certain Monsieur Piekielny, que Romain Gary évoque dans les pages de La Promesse de l’Aube. Un portrait qui ne tient qu’à trois pages mais qui va bientôt obséder notre narrateur… pour une quête aussi désespérée qu’inspirante.

Couverture du livre de François-Henri Désérable

Est-ce l’histoire de Gary, de Désérable, de Piekielny, des trois à la fois, du reste du monde ? En fait, peu importe. Ce qui compte est la portée évocatrice de ces parcours, les instincts qu’ils réveillent chez le lecteur, l’enthousiasme et la rêverie sans objet que l’on ressent une fois la dernière page tournée. Un mélange subtil et contagieux de mal du siècle, de regret et d’ambition. Il faut lire Un certain M. Piekielny, quitte pour certains à être déstabilisés par cet ouvrage qui peut paraître à tort un peu désincarné, sans objet ni attaches. Au contraire, c’est un texte passionnant qui révèle une vérité de laquelle on se détourne trop souvent, celle de notre point commun à nous autres humains, notre tristesse de savoir nos vies absurdes, et notre joie de savoir que nous chercherons toujours avec le même enthousiasme le moyen de les rendre signifiantes.

La Disparition de Josef Mengele, d’Olivier Guez

Nombreux ont été les anciens dignitaires et hauts responsables nazis à quitter l’Europe dans la précipitation après la chute du Troisième Reich. Mais rares ont été ceux dont le destin est resté aussi mystérieux que celui de Josef Mengele, le tristement célèbre médecin SS responsable des « expérimentations scientifiques » à Auschwitz, qui a torturé de la pire des façons quantité de détenus. On sait qu’il a fui pour l’Amérique latine, et qu’il y a survécu trente ans. On sait qu’il a navigué entre l’Argentine de Perón, le Paraguay, et même le Brésil où on a trouvé son cadavre sur une plage.

Couverture du livre d’Olivier Guez

Pour le reste, il n’y a que suppositions, plus ou moins étayées par des arguments, mais en tout cas réinventées et romancées de façon captivante dans cette biographie extrêmement documentée et efficace. Et si la complexité du contexte géopolitique de l’époque et l’horreur que l’on éprouve pour Mengele peuvent parfois en rendre la lecture éprouvante, elle réussit le portrait saisissant d’un esprit lâche, aveuglé, obsédé par son intérêt, pour un résultat sombre mais marquant.