Front de Gauche Sciences Po : « Pourquoi nous avons hué Valls »
La Péniche donne la parole aux syndicats étudiants et aux sections des partis politiques souhaitant publier un texte ou une tribune, dans notre rubrique « Tribunes ». La position des auteurs de ces tribunes n’engage pas la rédaction de La Péniche. Aujourd’hui, le Front de Gauche revient sur les huées qui ont accueilli Manuel Valls à Sciences Po.
Ce mardi 3 novembre, à 18h, le Premier ministre Manuel Valls était reçu à Sciences Po par l’Ecole d’Affaires Publiques, dans une conférence qui portait sur la question de la « réforme », nouveau dogme politique censé guider l’action de son gouvernement. À l’initiative des responsables de la section du Front de Gauche Sciences Po, et avec la participation d’étudiant.e.s d’autres organisations (ou même non-encarté.e.s), la décision fut prise de l’accueillir. C’est ainsi qu’une vingtaine d’étudiants s’est retrouvée devant l’amphithéâtre Emile Boutmy sous le slogan « Valls, la gauche, tu l’aimes ou tu la quittes ».
Mais pourquoi critiquer, alors que nous nous considérons de gauche, la politique de quelqu’un employant la même étiquette ?
Derrière les mots creux répétés jusqu’à l’abrutissement de la « réforme » face à « l’immobilisme » et de la « modernité » face aux « conservatismes » – le plus souvent « syndicaux », Manuel Valls a un projet politique. Ce projet n’est pas original : il a déjà été conduit aux Etats-Unis par Bill Clinton, au Royaume-Uni par Tony Blair, en Allemagne par Gerhard Schröder, en Espagne par Jose Luis Zapatero,… Il vise à détruire l’offre politique qui se donne pour objectif de faire progresser la souveraineté populaire, de démocratiser les structures économiques, de faire progresser les acquis sociaux émancipateurs. Une offre politique que, depuis la Révolution Française, on a l’habitude d’appeler la gauche.
Manuel Valls est le représentant d’un gouvernement qui a abandonné un à un tous les engagements pris par François Hollande en 2012. Ainsi, le premier ministre a encore annoncé mardi l’abandon définitif du droit de vote des résident.e.s étranger.e.s. Au Front de Gauche Sciences Po, nous considérons cet énième reniement comme une nouvelle preuve de la trahison du gouvernement à la société française dans sa pluralité.
En accentuant les politiques d’austérité, le gouvernement contribue toujours plus à la précarisation des plus pauvres, qui perdent leur emploi mais aussi leurs acquis sociaux. Le traitement des salarié.e.s d’Air France démontre à quel point le gouvernement de Manuel Valls a pris le parti des patron.e.s et de grandes entreprises qui annoncent des bénéfices historiques (au troisième trimestre 2015, c’est 898 millions pour Air France) mais qui annoncent des milliers de suppression d’emploi. Comment un chef de gouvernement issu du parti se réclamant de Jean Jaurès peut-il qualifier des travailleurs et travailleuses en lutte de « voyous » ? Ce même gouvernement a aussi décidé de prélever 100 millions d’euros dans les fonds de roulement de l’Université alors même que plus de 15 000 étudiant.e.s sont toujours en attente d’affectation pour l’année 2015-2016. Les salarié.e.s, les travailleurs et travailleuses et les étudiant.e.s sont des oublié.e.s.
Mais où sont les principes d’égalité, de fraternité et de solidarité ? Nous n’avons toujours pas vu le changement promis par François Hollande en 2012. Et nous ne l’attendons plus … car nous n’y croyons plus. Le Parti Socialiste a choisi le même parti que celui de la droite: celui des intérêts privés, du libéralisme économique et des plus riches.
Définitivement, nous ne partageons avec Manuel Valls pas la même vision de ce que l’on appelle « la gauche ». Nous considérons qu’un gouvernement social-libéral accentuant les politiques d’austérité et renforçant les inégalités est un gouvernement au service des puissant.e.s, qui ne peut pas se revendiquer de gauche. Manuel Valls assume aujourd’hui ce qui était encore, au Parti Socialiste, source de complexe hier : mener le « social-réformisme » à tout prix, quitte à bafouer le clivage politique gauche/droite. Manuel Valls représente tout un pan de la « gauche » française qui a décidé de se ranger définitivement et avec entrain du côté de l’ordre européen, celui qui démantèle les services publics, précarise le marché du travail et piétinne la démocratie.
D’ailleurs, où est le « social » dans le social-réformisme que défendait Manuel Valls lundi soir à Sciences Po ? Nous le cherchons éperdument, et alors qu’il annonce sa volonté de réinstaurer le dialogue social, nous ne voyons autour de nous que son étouffement de la part du gouvernement. La méthode de dialogue social de ce pouvoir consiste à valider les reculs sociaux portés par le MEDEF et systématiquement rejetés par de nombreux syndicats : c’était le cas de l’Accord National Interprofessionnel (ANI) signé en 2013, c’est encore le cas de l’accord sur les retraites complémentaires signé en octobre. La gauche selon Manuel Valls, c’est celle qui fait passer l’odieuse loi Macron en utilisant à deux reprises le 49.3 pour empêcher le débat parlementaire.
Mais que le Premier Ministre ne trompe pas, son entreprise est perdue d’avance. Il ne parviendra pas à faire disparaître du paysage politique les valeurs de la souveraineté populaire et de la justice sociale. Les Blair, les Clinton et les Zapatero sont des ringards. La crise est passée par là et avec elle la démonstration en grandeur nature de la collusion entre gouvernants et les intérêts financiers.
Que Valls et ses amis assument leur parti pris, et qu’ils ne salissent pas les qualifications de « gauche » et de « socialisme », qui perdent tout leur sens lorsqu’ils sont apposés à ce gouvernement!
C’est le message que nous voulions faire passer au Premier Ministre mardi soir. « Valls tire toi », car le peuple a besoin d’une véritable alternative de gauche.