Fabrice Arfi : « Le journalisme est un merveilleux instrument d’intranquilité »

Mercredi 26 octobre, La Péniche et Sciences Po TV ont convié Fabrice Arfi, journaliste et co-responsable du pôle “Enquêtes” chez Mediapart, au premier Grand Oral de l’année. Au cours de cet échange, le journaliste est revenu sur son parcours, ses enquêtes, et sa vision de la profession.

Sa vocation journalistique a d’abord été le fruit d’une frustration, celle de quelqu’un ayant échoué à devenir musicien. Aujourd’hui, Fabrice Arfi est devenu l’un des visages du journalisme d’investigation à la française. Digne héritier d’Edwy Plenel, on lui doit les révélations sur l’affaire Cahuzac, Sarkozy-Kadhafi ou encore Karachi. C’est pour partager sa vision du métier de journaliste, qu’il exerce depuis 23 ans, que Fabrice Arfi est venu s’exprimer lors de ce Grand Oral d’automne. 

Un “petit artisan du réel”

À l’âge de 18 ans, Fabrice Arfi intègre le service culture du quotidien Lyon Figaro, avant de migrer vers la rubrique judiciaire quelques mois plus tard. Il cesse d’écrire sur le jazz et découvre le monde des tribunaux, qui ressemble selon lui à une “chronique théâtrale”. Il se souvient : “Il y a quelque chose qui m’a toujours titillé dans la chronique judiciaire, c’était de considérer que nous journalistes étions spectateurs d’une histoire qui était déjà écrite.” 

C’est ce qui pousse Fabrice Arfi, soucieux de révéler ce qui est caché du public, vers l’enquête. “J’ai été attiré par l’idée peut-être orgueilleuse que quand on est journaliste, on n’est pas toujours obligé de confier son cerveau aux autres”, affirme-t-il.

Il rejoint Mediapart dès sa fondation, en 2008. Très vite, on lui colle l’étiquette de “journaliste d’investigation”, une appellation qu’il récuse. “À partir du moment où vous allez chercher une information, que vous la vérifiez, la contextualisez et la publiez, vous faites du journalisme d’information. Vous faites de l’enquête.” Au fond, chaque journaliste d’information possède la même ambition : celle de rendre aux citoyens les informations qui leur appartiennent. “Notre rôle social, c’est de raconter le monde tel qu’il est et d’aller chercher l’information là où elle est”, explique le journaliste. Au-delà de sa responsabilité sociale, Fabrice Arfi insiste sur son rôle de producteur de l’information : “Je pense fondamentalement que les faits font les opinions. Moi, ce que j’aime, c’est être un petit artisan du réel. Quand on pose des faits sur la table, ça crée ce qu’il y a, je crois, de plus précieux dans une démocratie : de la conversation.”

Des billets et des armes

Au cours de son Grand Oral, Fabrice Arfi est revenu sur les grandes affaires qu’il a révélé en tant que journaliste. À son tableau de chasse sont notamment inscrits les noms de Jérôme Cahuzac et François de Rugy, aux côtés des révélations sur l’affaire Woerth-Bettencourt ou les financements libyens de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. C’est cette-dernière qui l’a le plus marqué : “Elle est pour moi la plus folle !”, estime-t-il. Et il en a usé de sa plume : au total, depuis les premières révélations en juillet 2011, Fabrice Arfi a écrit 138 articles au sujet de cette affaire.

Selon lui, l’affaire Sarkozy-Kadhafi est révélatrice de ce qu’il tente de montrer dans son dernier essai, Pas tirés d’affaires, sorti le 14 octobre dernier aux éditions Seuil. Dans ce petit livre, Fabrice Arfi brosse le portrait d’un “mal français”, où le pouvoir corrompt et où les politiques sont lestés de plusieurs affaires politico-financières, si incroyables soient-elles. “Dans ce métier étrange, l’invraisemblable n’est pas toujours faux”, juge Fabrice Arfi pendant le Grand Oral. “C’est une quête permanente à dompter l’inattendu. Par définition, c’est quelque chose qui ne ressemble jamais à ce qu’on a fait la veille.

Entre diktat de l’immédiateté et nouvelles censures

Avant de publier ses premières révélations sur l’affaire Cahuzac, Fabrice Arfi a passé quatre mois à enquêter et chercher des preuves. Parfois, il lui arrive de se fier à une intuition en finissant par ne rien y trouver. Selon lui, “Le propre d’un bon journaliste c’est d’avoir du temps pour en perdre.” Il poursuit, “Ce qui est fou c’est qu’on ait à considérer qu’avoir du temps est un luxe dans notre profession tellement elle est à ce point précarisée et soumise au diktat de l’immédiateté.” Devant l’amphithéâtre, il se revendique de faire partie d’un journal qui va à l’encontre de ce mal médiatique ; où prendre le temps d’enquêter n’est pas un luxe mais un moyen de trouver des histoires qui percutent le débat public. Créer du débat, c’est quelque chose de crucial pour le journaliste : “Le journalisme est un merveilleux instrument d’intranquillité”, remarque-t-il.

Si la loi de 1881 sur le droit de la presse oblige les journalistes à répondre pénalement de ce qu’ils écrivent, on assiste toutefois à “des contournements de la loi pour criminaliser le journalisme pour ce qu’il est et non pas pour ce qu’il fait”, déplore Fabrice Arfi. Quand un journaliste enquête, mille et une embûches se dressent pour le décourager. En 2015, pour le droit d’informer et contre les nouvelles censures, Fabrice Arfi co-rédige avec quinze autres journalistes d’investigation le livre Informer n’est pas un délit. Durant la conférence, il revient sur cet ouvrage et sur les divers moyens de pression utilisés contre les journalistes. “Des embûches dans des enquêtes, j’en ai connu plein et de toutes sortes. Mais je ne vais pas faire le malin quand dans d’autres pays on meurt du journalisme d’enquête”, affirme-t-il en évoquant ses confrères russes ou congolais. Comme pour illustrer son propos, dix jours plus tôt, à Malte, deux frères étaient condamnés à 40 ans de prison pour l’assassinat en 2017 de la journaliste Daphne Caruana Galizia, tandis qu’elle enquêtait sur la corruption au sein du gouvernement maltais.

Le Grand Oral est un cycle de conférences organisé par La Péniche et Sciences Po TV, où sont reçues de grandes figures des scènes politiques, économiques et culturelles françaises. Pour visionner celui de Fabrice Arfi, le replay est disponible ici.

Crédits Images : David Lubbock