La justice face à l’horreur : poursuivre et juger les terroristes

Ses talons claquent sur le sol lorsqu’elle pénètre dans la salle dans un éclat de rire. Le silence se fait.           

Saliha Hand-Ouali, vice-procureur de la République antiterroriste (PNAT) vient de faire son entrée. À ses côtés : Christophe Petiteau, magistrat à la carrière émérite, actuellement président de Cour d’assises ; et maître Léa Dordilly, avocate de la défense depuis onze ans au barreau de Paris. Invités par l’Association des Juristes de Sciences Po, ils étaient réunis le 25 octobre dernier pour une présentation à trois voix de la législation antiterroriste. 

            Un droit en construction

Une chose, une spécificité réunit ces trois spécialistes du droit français : la lutte antiterroriste, qu’ils incarnent chacun à leur manière. Cette branche de la justice a pour ainsi dire été bâtie sous l’impulsion d’une génération de magistrats et d’avocats trentenaires au gré des attentats qui ont successivement frappé la France depuis une dizaine d’années. Comme le dit maître Hand-Ouali, la juridiction anti-terroriste : « […] est l’histoire d’une spécialisation ». 

Initialement placée sous l’égide de la Cour d’assises, la justice antiterroriste a en effet connu une évolution majeure avec la création en mars 2019 du Parquet national antiterroriste. Cette instance aux compétences exclusives et au fonctionnement spécifique est uniquement spécialisée dans le jugement d’actes terroristes. Fait extrêmement rare et particulier dans les institutions juridiques : la complexité de ces affaires aux ramifications souvent tentaculaires exige une spécialisation extrême de l’instance ainsi que de ses acteurs ; ce sont donc les mêmes professionnels qui rendent justice au sein de ce Tribunal depuis sa création. 

Ainsi, depuis de longues années maître Dordilly et Hand-Ouali se font face au fil de ces procès de l’horreur qu’ont été les procès des actes terroristes depuis 2015. Comme le souligne maître Petiteau, cette spécialisation permet aux magistrats comme aux avocats de développer une vision d’ensemble du microcosme terroriste. Les dossiers se complètent, s’éclairent mutuellement. Cette spécialisation est donc nécessaire, même si elle peut susciter certaines critiques, notamment concernant la centralisation des affaires au sein de la capitale qui en découle.

            Face à une politique de sévérité accrue, l’importance de la défense des accusés. 

Se faire l’avocat du diable, défendre l’indéfendable : ces expressions illustrent la carrière de maître Dordilly. Commis d’office, elle a notamment défendu Adel Haddadi lors du procès des attentats du 13 novembre 2015. S’il n’avait pas été retenu aux frontières de l’Europe, cet homme aurait dû prendre part aux attentats de Paris. 

Ce ne sont certainement pas les actes des accusés qu’elle défend, mais bien la conception d’une justice équitable et efficace ; en ce sens ses préoccupations sont d’ordres philosophiques et morales comme elle l’indique. Tout en reconnaissant évidemment la nécessité de la sévérité de la législation antiterroriste au vu de l’atrocité des actes commis ; elle pointe du doigt le devoir qu’a la justice de maintenir le droit à un procès équitable pour les accusés.      

Jusqu’où devons-nous permettre que la législation s’étende afin de prévenir tout risque de trouble à l’ordre public ? Maître Petiteau invite les étudiants qui se dirigent vers les métiers de la magistrature et du barreau à « garder l’esprit ouvert » face à cette problématique. 

Les intervenants évoquent alors un certain devoir de « vigilance » des magistrats, garants des libertés fondamentales, face à une législation en évolution constante. Plus que sur les spécificités techniques des lois et articles en vigueur, tous trois attirent donc l’attention des étudiants sur une réflexion autour      des principes mêmes du droit qui doivent être garantis lors de tout procès, fût-il terroriste.