Droite de la droite à SciencesPo: qui sont-ils?

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La manif’ pour tous à Paris. Photographie : Hugo Stevens

« Je me rappelle d’une rencontre avec Dominique Reynié, sur l’avenir de la droite en France. En nous raccompagnant à la porte de son bureau, il me mit la main sur l’épaule et me dit : ‘’je ne me fais pas de souci pour vos idées, vous êtes à Sciences Po, vous êtes donc évidemment libéral et pour l’Union européenne.’’ J’étais sidéré. »

Comme le souligne  François*, étudiant en 3A à SciencesPo – et « patriote avant tout » selon ses mots –, la tendance « nationale » et eurosceptique n’est pas celle à laquelle on pense spontanément lorsqu’on évoque les orientations politiques majoritaires des étudiants de Sciences Po. Ce courant existe pourtant au 27 Rue Saint-Guillaume, à mi-chemin entre une UMP plutôt « droite populaire » et la tendance « gaulliste et souverainiste » revendiquée par Nicolas Dupont-Aignan et Florian Philippot.

Qui sont ces étudiants parfois classés à la droite de la droite, qui souvent rejettent cette distinction droite-gauche ? Combien sont-ils ? Sont-ils atomisés ou bien réunis dans des associations ? Qu’est-ce qui les rassemble et quelles sont leurs différences ? Quels sont leurs projets ? Radiographie d’une tendance méconnue à Sciences Po, qui souvent intrigue et ne manque jamais de faire réagir.

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A CRE, des souverainistes de droite (mais aussi de gauche)

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Alexandre Loubet, fondateur de l’association Critique de la raison européenne

Celui qui cherche des souverainistes de droite à Sciences Po en trouvera au sein de l’association Critique de la raison européenne (CRE). Créée et reconnue à la rentrée 2013, cette association regroupe une vingtaine de sciences pistes « radicalement opposés à l’Union européenne telle qu’elle existe actuellement. »

Elle a d’ailleurs organisé en mars 2014 un débat avec les économistes Jacques Sapir et André Grjebine sur le thème « Peut-on encore sauver l’euro ? »

A titre personnel, son fondateur, Alexandre Loubet, est adhérent à Debout la République (DLR), le parti gaulliste de Nicolas Dupont-Aignan, pour lequel il a rédigé des notes pendant la campagne des européennes. Actuellement en 3A,  il est à Bruxelles pour un stage auprès d’un parti européen eurosceptique (EUD), auquel est associé Debout la République, et proche de l’UKIP de Nigel Farrage, arrivé en tête aux dernières élections européennes au Royaume-Uni.

Mais Alexandre précise d’emblée que CRE est « transpartisane » et qu’elle regroupe aussi des souverainistes de gauche, à l’image de son autre fondateur, Damien Le Gallo, proche du MRC de Chevènement. L’objectif de cette association est clair : « il s’agit exclusivement, au sein du milieu universitaire, de dénoncer l’UE telle qu’elle est, et de faire vivre un débat à ce propos – avec les fédéralistes d’ailleurs -, car c’est souvent un sujet tabou. »

Deuxième précision d’Alexandre : « nous sommes eurosceptiques et non pas europhobes, c’est-à-dire que nous sommes contre l’Union européenne et ses institutions antidémocratiques, mais pas contre l’Europe. La plupart des membres de CRE est favorable à des coopérations entre les Etats, comme celles qui ont permis les projets Ariane et Airbus. Même si notre asso n’a pas pour but de proposer un programme politique, c’est une Europe des projets et des Nations que nous voulons majoritairement. »

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France Po : faire exister le patriotisme français à Sciences Po

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Le logo de l’association FrancePo

Du côté des souverainistes tendance « patriotes », il existe France Po. Cette « association science piste ayant pour objectif d‘établir une réflexion sur la France, sa culture, son histoire, son avenir » n’a pas été reconnue en octobre 2013 (60 voix obtenues, alors que le double est nécessaire). Cela n’a toutefois pas empêché ses fondateurs, Thomas Pellet et Benjamin*, d’inviter des historiens comme Arnaud Teyssier ou Jean Sévillia. « Être français, d’hier à aujourd’hui », « La république, notre royaume de France » : le libellé des conférences indique clairement que l’histoire française et l’identité nationale sont les sujets qui intéressent l’association.

«  Nous avons créé France Po car nous avons constaté qu’il y avait à Sciences Po des associations sur la Colombie, le Guatemala, la Russie, la Bretagne, mais pas sur la France. » Parfois moqués, attaqués et assimilés à l’extrême droite, comme sur les ondes de Radio Sciences Po fin 2013, Benjamin et Thomas déplorent que « le patriotisme, en France, (soit) vu comme synonyme de fermeture. »

L’association est apartisane selon ses fondateurs : « nous invitons des personnalités de tous bords, dès lors qu’elles ont des choses intéressantes à dire. » Pour preuve, ils citent la conférence de Patrick Weil, ancien membre du PS et spécialiste des questions de nationalité et d’immigration.

Mais si leur ambition est de « débattre librement par delà droite et gauche »,  le public des conférences est très majoritairement de droite. A l’image de Thomas et Benjamin qui, cependant, contestent le clivage droite/gauche. A titre personnel, Benjamin se qualifie de gaulliste :  «je veux des frontières et je suis contre le libéralisme et le laisser-fairisme. » De son côté, pour se définir, Thomas dit  « porter un regard critique sur l’héritage politique des Lumières et de la Révolution française. »

Tous deux sont contre le mariage pour tous et contre l’UE, « antipolitique et libérale, car elle affirme le primat de l’individu et de l’économie sur le politique et sur toute forme de communauté, comme la communauté nationale par exemple. » « Mais ces points de vus individuels n’engagent pas l’association, qui ne se place pas sur les thématiques sociétales », indiquent-ils.

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Opposition au mariage homosexuel : poursuivre et étendre la mobilisation autour des questions de société

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Nicolas Bauer aux côtés de Béatrice Bourges durant la Queer Week

François et Nicolas Bauer sont eux aussi en 3A. Le premier est à l’UMP (depuis 10 ans), le deuxième l’a été. Adhérent de l’UMP en terminale, Nicolas Bauer a en effet été déçu par son parti et « révolté par les drapeaux étrangers place de la Concorde, après l’élection de Hollande ». Sensible aux questions de société comme la famille et la “théorie du genre”, il est connu pour son engagement au sein de la Manif pour tous et pour avoir invité Béatrice Bourges, porte-parole du Printemps français, lors de la conférence de clôture de la Queer Week, le 28 mars 2014 à Sciences Po, provoquant une très forte agitation amphi Caquot et de nombreuses réactions. « J’ai rencontré Béatrice Bourges dans les manifs contre la loi sur le mariage et l’adoption pour les couples de même sexe. Elle a réussi à poursuivre le mouvement malgré le vote de la loi, autour d’une dénonciation plus globale du gouvernement, des dérives de la mondialisation libérale-libertaire et de l’UE. » affirme-t-il.

L’UE, encore et toujours, cheval de bataille de tous ceux que nous avons rencontrés. Et les questions de société à l’image du mariage pour tous, marqueur politique, catalyseur d’une alliance des droites contre le gouvernement socialiste : « Depuis la Manif pour Tous s’organise un contre-Mai 68 dans les élites et la classe politique ; le projet de loi Taubira a été une source de motivation, d’énergie. » Il faut dire que les manifestations contre le mariage pour tous ont été l’occasion pour les droites de se retrouver autour de l’opposition à la loi Taubira, de Jean-François Copé à Marion Maréchal-Le Pen, en passant par Christine Boutin.

Nicolas Bauer de poursuivre: « le mariage pour tous et la Queer Week à Sciences Po ont provoqué la réaction de gens qui se croyaient seuls, atomisés. Il suffit de voir le nombre de personnes qui nous ont envoyé des messages de soutien après la Queer Week et après la violence dont a été victime Béatrice Bourges. A présent, le but est de rassembler ces personnes dans un même lieu, dans une même association. »

A titre individuel, Nicolas et François condamnent « le politiquement correct », et veulent retrouver dans l’UMP le RPR des années 90, offensif sur les questions de société comme l’immigration, la sécurité et la famille, « à la différence des dirigeants actuels de l’UMP, tièdes et centristes, alors que les électeurs et les militants sont de droite. »

Ils se disent d’ailleurs personnellement favorables à l’immigration choisie et à la préférence nationale (mesure phare du programme du FN, c’est le fait d’inciter les entreprises, Pôle emploi et les commissions d’attribution des HLM à choisir en priorité des personnes ayant la nationalité française, à compétences ou situations égales, NDLR). Selon François, « beaucoup de gens à l’UMP sont pour la préférence nationale. C’est un élément patriotique incontournable pour réussir l’assimilation républicaine. »

Des tendances regroupées dans une seule association ?

Ce sont surtout des différences de degré ou d’objectifs qui distinguent ces étudiants. Par exemple, Alexandre Loubet du CRE a envisagé au départ de faire une association avec France Po, mais leurs buts divergeaient : la dénonciation de l’UE exclusivement d’un côté, la promotion de la culture française de l’autre. Avec, des deux côtés, un refus de se positionner sur les questions sociétales, contrairement à François et Nicolas Bauer. Critique de la Raison Européenne et France Po continueront ainsi de vivre de façon autonome.

L’année prochaine, CRE déposera des statuts nationalement (et aura donc un bureau national) et sera présente dans cinq universités : Sciences Po Paris, Paris I, l’Institut Catholique de Paris, l’Université de Strasbourg et l’IEP de Strasbourg. L’association restera transpartisane : « elle réunira des étudiants non encartés ou issus de différents partis politiques, comme le Parti de gauche de Mélenchon, le MRC de Chevènement, Debout la République, et, individuellement, des sciences pistes de l’UMP Sciences Po. » S’ils se divisent sur les questions de politique nationale, leur socle commun est bien l’euroscepticisme et le souverainisme.

Du côté de France Po, « l’asso va être mis en veilleuse pendant un an », du fait du départ à l’étranger de ses fondateurs. Ils préviennent pourtant : « l’association revient l’année prochaine avec un programme déjà très chargé. »

Mais les points communs de ces différentes sensibilités, comme nous l’avons vu, sont plus nombreux. Tous les étudiants rencontrés sont opposés à l’UE et ses institutions (mais pas à l’idée d’Europe, qu’ils différencient). Tous insistent sur le rôle de la politique, et du politique, face à la prééminence de l’économie et aux transferts de souveraineté, qui rendent les politiques « gestionnaires » (Benjamin et Thomas) voire « démissionnaires » (Nicolas Bauer). « Nous sommes de ceux qui croient encore que le politique doit primer sur l’économie. Nous défendons un volontarisme politique qui ne soit ni de droite ni de gauche », explique Benjamin de France Po. La plupart renvoient UMP et PS dos à dos, et déclarent que ce clivage est sinon obsolète, du moins un « enfumage », une escroquerie politique entretenue par les débats de société comme celui du mariage pour tous, « alors que ces partis sont d’accord sur l’immigration, l’UE, la mondialisation, l’économie et le libre-échange. ». Tous pensent également qu’on doit considérer le FN comme un parti comme les autres.

C’est en raison de ces similitudes que François et Nicolas Bauer appellent de leurs voeux une recomposition des droites « autour des valeurs de famille et de souveraineté nationale. » Mais comment se traduira ce rassemblement ? « Dans une nouvelle association ou à travers une entité déjà existante. » Leur objectif global est de « sortir d’une logique comptable et rationnelle d’experts afin de lutter contre le désenchantement. » François détaille : « Nous voulons nous pencher sur les débats de société, organiser des conférences en ouvrant les débats aux questions religieuses, avec des intellectuels, des philosophes. ».

Leur objectif est d’abord de rassembler les droites, y compris des sympathisants du parti de Marine Le Pen, pour Nicolas. Ce « pôle des droites » irait donc de la droite de l’UMP au FN tendance Philippot pour le souverainisme, en passant par le parti de Dupont-Aignan, le parti de Boutin, et la droite identitaire version Jacques Bompard. A terme (dans deux ans), il s’agit de faire cohabiter « trois tendances qui se rejoignent, de façon apartisane et non sectaire (car il existe des souverainistes de droite comme de gauche), mais pas apolitique. En dépassant le traditionnel clivage gauche-droite, tous ceux qui partagent nos idées mais ne se reconnaissent pas dans un parti politique défini sauront qu’ils sont les bienvenus. »

Quelles seraient ces trois tendances, qui pourraient se décliner en commissions au sein de l’asso ? « 1- Patriotisme, promotion des valeurs et des traditions françaises, notamment auprès des étudiants en échange. 2-   Souverainisme, critique de l’Union Européenne. 3-    Défense d’une justice du côté des victimes, défense de la famille, observatoire de la théorie du genre. »

En somme une association qui regrouperait France Po et Critique de la Raison Européenne, le tout teinté des préoccupations sociétales de la Manif pour Tous et du Printemps Français. Cette synthèse a-t-elle des chances d’aboutir ? « Nous sommes déjà une quarantaine – dont la majorité à Sciences Po – autour de ce projet », nous confie Nicolas Bauer.

*le prénom a été changé

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