Des Sciences Po, Paris ?

© Sciences Po

« Chers tous, chers parisiens, chers élèves du campus de Poitiers et de Menton, le cours va commencer. » 
Heureusement qu’il reste ce cher Yann Algan pour saluer chaleureusement et avec la plus grande assiduité nos amis les « délocs », parce qu’il faut le dire, il n’y a pas que le jeudi matin en Boutmy qu’on a eu tendance à oublier qu’eux aussi suivent les mêmes cours et portent fièrement l’étiquette de Sciences Po Paris. Sauf qu’eux doivent bien souvent la justifier, l’expliquer : « c’est Sciences Po Paris, oui oui, mais pas à Paris ». Au CRIT, vous savez tous ce que les slogans parisiens disent des provinciaux. Mais de quels provinciaux parlons-nous ? Certainement pas ceux des campus de Sciences Po… Nous sommes élèves d’une même école et pourtant, d’un campus à l’autre, difficile de se comprendre tant les ambiances et les cours varient. A tel point que l’idée d’un « Sciences Po » devienne ambigüe, voir grossière. Se sentir déloc’, ça veut dire quoi ? Du Havre à Menton, entre sentiment d’isolement et volonté d’indépendance, retour sur les facettes des relations inter campus.

Vous en doutiez ? Ils sont et se sentent sciencespistes !

De l’attente insoutenable de l’oral d’admission dans les couloirs du 13U, il y a déjà fort longtemps, jusqu’aux galops d’essais – il n’y a malheureusement pas si longtemps et pour un bon moment – en passant par un logo controversé, nombreuses sont les choses qui forgent une identité de sciencepiste.

Debouts face aux IEP, à Paris comme en campus, les études et la marque restent les mêmes. « On se sent à Sciences Po Paris, déjà parce que Sciences Po le Havre, ça ne flashe pas », lâche avec une certaine lucidité Vincent Pérot, un élève du Havre « C’est comme être européen, et être français en même temps : ça n’est pas contradictoire. »

Sans oublier Frédéric Mion qui passe régulièrement leur rendre visite. Sur le plan officiel, les campus, malgré la distance, l’affirment haut et fort : Oui, ils font partie de l’école.

Avec plus ou moins d’indépendance

Mais vite, ces affirmations se nuancent. Dans de nombreux campus, un sentiment d’isolement face au géant parisien se fait entendre, surtout sur le plan associatif. Non pas que le dynamisme au sein des campus manque, loin de là. On constate simplement parfois une certaine néglience des élèves de Paris pour les délocs.

De façon significative, les campus ne sont pas du tout associés à l’événement phare de l’identité sciencepiste : le CRIT, alors même que l’association sportive parisienne se bat en leur nom.

Si les campus disposent chacun de leur BDE et de leur vie associative, les tentatives d’événements communs, ou même de mise en relation entre les associations sont maigres, et n’aboutissent généralement pas. Alors même que des associations semblables existent dans chaque campus.

« Il y avait un projet de week-end inter campus en Avril mais ça ne s’est pas fait. Nancy devait venir au Havre en début d’année pour une rencontre culturelle, et ça ne s’est pas fait non plus, par manque d’organisation entre les différentes associations » regrette Samuel Flambard, président du BDE du Havre.

Cet isolement reste relatif selon les campus. Reims, qui bénéficie par exemple de sa proximité avec Paris grâce au TGV ne semble pas en reste. Des invités de marque et des professeurs font le déplacement, tout comme les associations : Stop & Go est passé les voir en novembre dernier, tandis qu’en cette rentrée 2015 La Péniche travaille à un partenariat avec le Sundial, le journal du campus de reimois.

« Ce qui nous fait doucement rire, ce sont les campagnes des listes BDE parisiennes… »

Extrait de l’interview (disponible sur notre site) des deux listes candidates en juin dernier


Alors que rien n’indique que Paris puisse prétendre à une suprématie quelconque sur ses voisins, une ambiguïté plane toujours au moment de la campagne BDE. Aux yeux de certains, il y aurait un jeu de domination des campus délocalisés. « Le BDE de Paris s’en fout un peu de nous, il a déjà plus de 4000 étudiants à gérer. On a beau être sur la plaquette, on se sent un peu oubliés » déplore Vincent, en 2A sur le campus du Havre. « On se sent appartenir à Sciences Po Paris, mais Paris ne nous le montre pas vraiment, ou se concentre uniquement sur l’élection du BDE. »

S’il y a une chose en effet qui semble irriter les déloc’s, c’est bien l’élection du BDE parisien. Pourquoi voter pour un BDE qui ne les concerne manifestement pas, en l’absence d’événements communs, alors qu’ils ont déjà le leur ? C’est cette ambiguité qui leur semble la plus insupportable.

L’élection d’un supra BDE ne leur profite pas mais semble affirmer la prépondérance du campus parisien sur les autres, alors qu’ils se sentent déjà constamment obliger de rappeler « qu’ils ne sont pas une sous branche de Sciences Po Paris ». Claire Doumnec, en 2A sur le campus de Nancy a l’impression que « les parisiens viennent nous voir seulement un jour ou deux par an, très sûrs de leur légitimité sur le campus, brandissant des propositions pour nous intégrer ». Un sentiment partagé par d’autres élèves, qui évoquent des airs de pitié condescendante des parisiens en visite, si bien qu’un déloc finit par lâcher « je n’ai pas voté, je les emmerde »

Des efforts de coordination en chemin ?

Comme ils le revendiquent, les déloc’s n’ont pas besoin de Paris. Leur identité de campus l’emporte :  « Pour nous, l’événement phare de l’année, ce sont les Collégiades. A Nancy, nous avons nos chants, nos valeurs, une identité très forte ».

Vincent va plus loin en considérant que le campus de Paris et les délocalisés sont « deux mondes qui s’ignorent, n’ont rien à voir et ne se comprennent pas »Alors que règne sur les campus une ambiance digne de l’Auberge Espagnole, grâce à des promotions à taille humaine où tout le monde se connaît, difficile à Paris de faire naître une telle unité. D’autant que le Collège Universitaire compte à lui seul près de 1500 élèves et que certains fréquentent à mi temps La Sorbonne. Pour les élèves de Paris, il n’y a pas de spécificité identitaire : seul l’idée d’un « Sciences Po Paris » existe.

Pourtant, lorsque Richard Descoings a crée dans les années 2000 ces campus délocalisés, le but était bien, outre accueillir davantage d’étudiants, de créer des campus unis par leur rattachement à une zone culturelle et géographie spécifique. Rattachement permis à la fois par des enseignements propres à ces régions, mais aussi par l’influence d’étudiants étrangers sur les campus. De ce point de vue le pari est réussi.

Mais quand est-il de la volonté de rencontre? Si les cristallisations de ces identités sont importantes, l’absence de relations entre elles est dommageable. Elle seule permettrait véritablement d’unifier les étudiants et de tirer profit au maximum de cette diversité. Les plus pénalisés sur ce point étant finalement les élèves de Paris, dont les contacts internationaux sont moindres.

« Le BDE parisien doit être un coordinateur, tout au long de l’année, sans interférer sur l’indépendance des campus », continue Samuel.  
Une conception du BdE que partage Milan Prée, nouveau responsable du pôle  « campus délocalisés » au BDE:  « Donner la possibilité aux élèves de tout le Collège Universitaire de se rencontrer est mon grand objectif pour l’année à venir, et fait partie intégrante de notre agenda. Je souhaite de tout coeur que des étudiants de Paris puissent rencontrer des étudiants de Reims, Nancy, mais aussi Poitiers, Dijon, le Havre. Il n’y a pas de supra-BdE, mais nous voulons une collaboration reposant sur une relation horizontale ». Il y a encore du pain sur la planche…