Dans les coulisses de l’éloquence à Sciences Po

Prix Philippe Seguin
L’art oratoire est en vogue à Sciences Po: les affiches promotionnelles se multipliant au fur et à mesure qu’approchait la visite de Marc Bonnant en Boutmy ne vous auront pas échappé ! Il paraît normal que l’art de la parole, et même plus, l’art de la joute, ait sa place au sein de l’institut ; en effet, celui-ci a toujours été essentiel pour réussir dans la carrière publique si chère à notre école – qui réussirait le Grand Oral sans savoir s’exprimer ?

Cette discipline exigeante peut être pratiquée dans plusieurs associations. Historiquement, la plus ancienne est la Conférence Olivaint. Bénéficiant d’un solide réseau d’anciens, celle-ci organise chaque semaine une conférence autour d’une personnalité prestigieuse (Robert Badinter, Mercedes Erra) qui dialogue avec les membres autour d’un sujet d’actualité ou touchant directement à son domaine d’activité professionnelle. Réputées difficiles, les entrées à la Conférence se font sur le mode de la cooptation – héritage de sa création en 1874 par un père jésuite – qui aujourd’hui pourrait plutôt être qualifié d’entretien de motivation. L’art oratoire est présent, mais ponctuel : une joute de cinq minutes avant chaque conférence, parfois des soirées et des formations.

Sciences Polémiques, en contre-partie, c’est le « tout-éloquence », notamment grâce à l’organisation de débats hebdomadaires. Pour Alexandre Huau-Armani, le président de l’association, ceux-ci sont un outil mis à la disposition des étudiants afin de les faire progresser et de leur permettre de convaincre « en toutes circonstances, devant tout type de public, quel qu’en soit le sujet ». Les sujets vont du plus sérieux (« Faut-il être moderne ? ») au plus léger (« La Marine, est-ce le pompon ? »)… tout cela dans le but de former des orateurs polyvalents. Les débats sont finalement pour lui un « prétexte » à ce que chacun puisse se confronter à ce difficile exercice, dans un cadre amical, détendu et souvent drôle ! La preuve de l’efficacité de cette formation : deux des plus anciens membres à l’ENA.

Les évènements sont nombreux et réguliers au cours de l’année, et font de Sciences Polémiques l’une des associations les plus dynamiques de l’école : prestigieux prix Philippe Séguin, prix Mirabeau face aux IEP de province, conférence de Marc Bonnant, débats réguliers autour des élections présidentielles…

Comme nous l’évoquions précédemment, le but de ces associations est avant tout de former à la prise de parole en public, dont la maîtrise est loin d’être négligeable, quels que soient vos vos objectifs. C’est la raison pour laquelle des cours plus formels ont été mis en place par Sciences Polémiques, en partenariat avec le Bureau des Arts. Ceux-ci sont animés par les brillants avocats et rhéteurs Bertrand Périer et Antoine Vey. Un projet similaire est également en cours à la Conférence Olivaint et devrait permettre un élargissement de l’offre d’ateliers oratoires.

Sciences Polémiques

La question qui se pose est alors la suivante : pourquoi Sciences Po n’accorde-t-il pas une place plus conséquente à cet apprentissage dans les enseignements obligatoires ? Si l’ouverture sociale est bien la volonté de Richard Descoings, alors celui-ci devrait sans doute prêter attention à ce fait : l’art oratoire n’étant pas enseigné dans notre système scolaire, nos capacités orales dépendent uniquement de notre parcours personnel et de l’interaction avec les parents ou professeurs – le milieu social y est donc pour beaucoup. Chateaubriand avait coutume de dire que l’éloquence était le fruit des révolutions: « elle y croît spontanément et sans culture ». A vrai dire, seuls quelques chanceux héritent d’un don aussi fantastique; pour le commun des mortels, il s’agit surtout de pratique, de pratique et encore de pratique!

Donner sa chance à chacun, c’est d’abord lui permettre de s’exprimer correctement, que ce soit pour présenter un exposé ou pour faire circuler ses idées. Cyril Delhay, professeur à Sciences Po, pointait récemment du doigt cette nécessité dans un article du Monde; et il est regrettable que l’on ne donne pas une formation minimale à chacun en ce domaine. Dans cette optique, il serait intéressant d’envisager la possibilité de faire de Sciences Polémiques une association permanente, afin de rendre cette formation plus accessible à tous et de pallier les manques de Sciences Po. Il serait alors possible d’envisager des débats de plus grande ampleur, des stages de prise de parole, le tout encadré par des spécialistes.

Enfin, nous publiions récemment ici-même un article sur les relations entre les associations sciences pistes et celles d’autres écoles ou universités. Reconnaissons-le : nous sommes assez consanguins, et nos associations ne s’ouvrent que très peu sur l’extérieur. Dans le domaine de l’éloquence, cette critique n’est pas justifiée, puisque les deux formations que nous avons évoquées réussissent précisément à introduire du sang neuf au cœur de l’école ; dans la mesure où celles-ci organisent régulièrement des évènements en partenariat avec Lysias (Paris I), Dauphine Eloquence ou encore Plaid’Essec. Sciences Polémiques est d’ailleurs l’un des membres actifs de la Fée (Fédération Etudiante de l’Eloquence). Notons en outre que la Conférence Olivaint est une associations inter-universitaire, où la représentation de Sciences Po est bien plus faible que celle des facs de droit, pour ne citer qu’elles.

L’éloquence à Sciences Po a donc de beaux jours devant elle : cycle de débats électoraux, ateliers de formation, prix Mirabeau… Le choix est vaste, et tout semble possible à qui souhaite s’investir et s’améliorer. Suivez dès lors le conseil de Diderot, pour qui l’éloquence est « l’art d’embellir la logique » : venez embellir votre pensée par la maîtrise de la rhétorique !

6 Comments

  • A.S.

    « La preuve de l’efficacité de cette formation : deux des plus anciens membres à l’ENA. » Arretez de bouffer du droit public, on vous dit que ça ne sert à rien.

  • philophage

    Tout à fait d’accord avec vous! Mais l’éloquence va de pair avec le fond (je ne dirais pas « culture générale », c’est trop polémique en ce moment) : pourquoi ne pas aussi enseigner la philosophie, la littérature, …? Certes, je conçois bien que la fréquentation des cours de maths diminuerait drastiquement -et pour cause, surtout à la veille de l’examen de maths- mais n’est-ce pas plus dans l’esprit Sciences Po? Le seul moyen de faire de la philosophie dans l’établissement, c’est d’être en bi-cursus! Et quant à la littérature, l’atelier du BDA a une vision très formelle de cette discipline.