« Ce que je veux dire à la jeunesse, c’est de ne jamais céder au sectarisme, de ne jamais céder au cynisme et qu’il n’y a pas de meilleur moment pour s’engager »

ENTRETIEN – Élections municipales, Nouveau Front populaire, actualité internationale, Sciences Po… Candidat à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire s’exprime sur des sujets d’actualité.

Emmanuel Grégoire (PS) est député de Paris, conseiller de Paris.

LA PÉNICHE. – Vous vous êtes lancé récemment à la conquête de Paris. Ce nouveau mandat s’inscrirait-il dans la continuité ou dans la rupture vis-à-vis des dernières années ?

Emmanuel GRÉGOIRE – Ce sera un mandat, pour nous la gauche, de cohérence. De cohérence avec l’action de Bertrand Delanoë pendant deux mandats, de cohérence avec l’action d’Anne Hidalgo pendant deux mandats. Évidemment, il nous faudra aussi démontrer notre capacité à incarner une page nouvelle. C’est, je crois, une condition importante pour que les Parisiennes et les Parisiens nous accordent leur confiance.

Concernant cette élection, vous savez que le mode de scrutin est spécifique : régi par la loi PLM, portée en 1983 par Gaston Deferre, qui, quelques mois après l’adoption de cette loi, s’était fait réélire maire de Marseille avec moins de voix que son adversaire Jean-Claude Gaudin. Aujourd’hui, vos collègues à l’Assemblée nationale Sylvain Maillard, David Amiel, Olivia Grégoire et Jean Laussucq (EPR) proposent de réformer ce mode de scrutin. Êtes-vous en accord avec cette volonté ?

Non, je suis plutôt opposé. Qu’on s’interroge sur la réforme des modes de scrutin, c’est normal, notamment au gré des évolutions démographiques par exemple. C’est important, notamment pour les scrutins à circonscription comme c’est le cas pour Paris, Lyon et Marseille. Mais l’atypie historique de Gaston Deferre ne s’est jamais reproduite dans l’histoire. En réalité, le mode de scrutin proposé, à Paris, n’aurait jamais eu d’effet « d’inverser une élection », jamais. Il aurait eu, au contraire, un effet d’amplification de la victoire. Si Anne Hidalgo avait bénéficié de ce scrutin en 2020, son groupe serait majoritaire absolu, seul, au conseil de Paris. Donc en réalité, le mode de scrutin a plutôt des vertus démocratiques, servant précisément d’amortisseur, c’est-à-dire que, comme la prime majoritaire est calculée par arrondissement, elle a un effet moins amplificateur au niveau central. D’ailleurs, je pense que ce n’est pas le bon prisme de commencer par le mode de scrutin. Le bon prisme c’est de réfléchir d’abord aux répartitions de compétences. On voit là dans le projet d’une proposition de loi qui a été déposée que c’est, je pense, plus inspiré par un espèce de coup politique, qui consiste à jeter un voile d’illégitimité sur une élection. Mais je le redis : jamais ce mode de scrutin modifié n’aurait changé le sens des élections, si ce n’est de faire gagner plus largement celui qui est arrivé en tête.

Vous évoquez lors de votre entretien pour Le Parisien non pas des divergences profondes avec Jean-Luc Mélenchon mais des « divergences insurmontables », avec « des désaccords sur des valeurs qui sont fondamentales pour [vous] ». Quelles sont ces valeurs sur lesquelles vous êtes en désaccord ?

Très clairement, elles sont de deux registres. Le premier c’est vraiment un registre de gauche qui est peut-être aussi connu que l’histoire de la gauche, c’est que je ne crois pas que le positionnement de La France insoumise permette à la gauche d’arriver aux responsabilités, son discours me semble très piégeux pour la gauche quand elle prétend à avoir les responsabilités nationales. Et le deuxième, c’est évidemment lié très explicitement à un certain nombre de déclarations individuelles au moment des attentats du 7 octobre que j’ai profondément désapprouvées. La lutte contre le racisme et l’antisémitisme, c’est chez moi fondateur et au-dessus de toutes choses. Et, je trouve qu’un certain nombre de leaders, non seulement n’ont pas trouvé les mots justes, mais parfois ont eu des déclarations inacceptables. Je ne mets pas tout le monde dans le même sac, moi je suis quelqu’un de raisonnable et de raisonné. Mais je n’ai pas trouvé que les mots étaient justes et à la hauteur de ce moment grave de l’histoire. Cela ne m’empêche pas d’être en même temps un défenseur du droit d’Israël à la sécurité et un défenseur des droits des Palestiniens et du droit des Palestiniens à disposer d’un État. J’essaie d’éviter les instrumentalisations et les importations, évidemment. J’entends suivre cette ligne d’équilibre.

Pourtant vous vous êtes présenté sous la bannière du Nouveau Front populaire ; si vous en aviez prochainement l’occasion, soutiendriez-vous l’hypothèse de Bernard Cazeneuve à Matignon ? D’autant plus qu’un sondage partagé par Sciences Po montrait qu’une majorité de Français appuyait – ou rejetait moins – une coalition de la gauche sans LFI et avec le bloc central…

Je le sais très bien et le contexte du NFP n’est pas du tout sur le même enjeu que celui des municipales. Il y avait un enjeu de rassemblement de la gauche face à la menace de l’arrivée du Rassemblement national au pouvoir. S’il n’y avait pas eu le NFP, il y aurait eu le RN au pouvoir. C’est ça, la réalité. Ça a été une discussion évidemment très exigeante et très rapide, imposée par la circonstance historique de cette dissolution que personne n’attendait et tous ceux qui ont été chargés de négocier – et ce n’est pas mon cas donc je m’en sens à la fois très solidaire et très libre – ont exigé un certain nombre de clarifications, ce qui prouve que dans les moments importants, y compris à LFI, ils arrivent à poser les mots justes sur ce qui doit être qualifié de façon juste. Et dans les inconforts que j’ai eus, immenses sur les attentats du 7 octobre – il m’est insupportable de ne pas qualifier le Hamas d’organisation terroriste, alors que c’est une évidence… ce point a été clarifié dans l’accord du NFP. Sur un scrutin municipal, c’est évidemment différent et je le redis : LFI, localement – il faut que tout le monde le comprenne – se définit elle-même dans l’opposition municipale, et ce depuis qu’elle existe. Ce n’est pas le cas dans d’autres villes comme Bordeaux ou Lyon. Ils ne participent pas toujours aux majorités de gauche mais ils ne se définissent pas dans l’opposition municipale. À Paris, ils sont dans l’opposition municipale.
Le NFP n’est pas une NUPES V2. C’est un moment de singularité historique qu’est de faire obstacle à l’arrivée du RN au pouvoir. Et dès lors que ça avait été fait dans la clarté – et dans la clarté, c’est l’écrit qui a été négocié, âprement, vous le savez – je pensais que ce n’était pas attentatoire aux valeurs qui étaient les miennes et qu’il y avait une cohérence, et que s’il y avait ajustement, c’est LFI qui l’a fait.

Vous avez évoqué à plusieurs reprises le Proche-Orient. La Cour pénale internationale a émis des mandats d’arrêt contre le chef de la branche militaire du Hamas – qui est présumé mort –, mais aussi contre Benyamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense. Comment réagissez-vous ? S’agit-il d’une décision sensée et équilibrée ?

Je n’en sais rien et j’évite de donner des avis sur des sujets que je connais mal. Comme je ne connais pas le fond du dossier d’instruction, je me garde bien, et beaucoup devraient faire de même, de porter des jugements définitifs. En revanche, ce que je sais, c’est que la Cour pénale internationale est un dispositif institutionnel dont la France est solidaire : il y aurait une grande légèreté politique à en écarter les décisions. Ce que je sais, c’est qu’il y a des attentats terroristes d’un côté et une persistance de terrorisme qui menace très directement la sécurité des Israéliens. Et je considère qu’il y a incontestablement, et sans en connaître les détails – je ne suis pas sur place et je lis comme vous les choses dans les journaux –, une attitude de l’armée israélienne qui me paraît contreproductive pour les intérêts mêmes de l’État d’Israël, dans la dureté et dans la disproportion des victimes collatérales – qu’on appelle ainsi pudiquement mais qui sont des civils qui n’y sont pour rien. Et je le dis sans ignorer que les terroristes du Hamas se cachent au milieu des populations civiles. Mais dans ce conflit qui est d’une immense complexité, je crois que ceux qui n’en sont pas spécialistes doivent le reconnaître humblement et éviter de donner des leçons et des avis trop définitifs. Ce que je sais, c’est que la voix qui est la mienne ne sert pas à grand-chose sur le terrain mais en tout cas elle doit en France, sur notre territoire, contribuer à faciliter la création d’un cadre de dialogue où les gens se parlent. Et ça veut dire qu’aucun Juif de France ne doit se sentir menacé et même être victime d’agression parce qu’il y a un ressentiment contre l’État d’Israël. De la même manière que nos concitoyens qui sont d’origine étrangère et souvent assimilés à un culte, et en l’occurrence le culte musulman – quand bien même ce n’est pas leur culte – peuvent être victimes de discriminations et de violences sociales très fortes. Je veux être une voix de la paix et du dialogue et éviter les jugements trop définitifs.

Vous avez récemment signé une tribune transpartisane publiée dans Le Figaro : « Le gouvernement doit boycotter la COP29 en Azerbaïdjan et exiger la libération immédiate des otages arméniens ». La France fait-elle assez selon vous sur ce sujet ?

Il y a une situation paradoxale. D’abord, je reconnais que le discours de la France est en défense de l’Arménie et à ce titre c’est bien. Je regrette profondément que la France n’ait pas boycotté officiellement cette COP. Nous ne devons pas céder de terrain – et notamment sur le soft power des moments internationaux de rassemblement – devant ces régimes dictatoriaux, a fortiori quand ils ont des comportements belliqueux, voire même génocidaires, comme c’est le cas de l’Azerbaïdjan vis-à-vis de l’Arménie. C’est une COP pour rien sur le fond des enjeux climatiques et c’est une faute politique de donner d’une certaine manière caution à un régime qui n’en mérite pas.

Vous êtes également enseignant à Sciences Po. Vous n’ignorez pas que notre école fait l’objet de critiques. Pensez-vous que notre diplôme perdrait de la valeur ou que nous serions ici déconnectés de la réalité ?

Je ne le crois pas du tout. D’abord, ça fait 10 ans que j’enseigne à Science Po et c’est un immense plaisir. C’est d’abord pour moi un exercice intellectuel de mise à jour et de discipline qui m’oblige à travailler, à mettre à jour mes dossiers. J’ai un immense plaisir à découvrir chaque année les nouveaux étudiants et à échanger avec eux. Je connais bien les difficultés de l’école et je le dis comme je le ressens : moi qui vis un peu la chose de l’intérieur, je trouve que l’émergence médiatique va bien au-delà de la réalité qui est celle de la vie étudiante des différents campus de Sciences Po. Sciences Po, c’est une grande école de formation de la jeunesse, et à ce titre que s’y expriment les grands débats de société, parfois avec la virulence qu’autorise la jeunesse, ça ne me choque pas. Ce qu’il faut, c’est que ça puisse se faire dans un débat de concorde et de respect. Je le dis pour ceux dont j’estime être proche, mais je le dis aussi en respect vis-à-vis de ceux dont je ne suis pas proche, notamment je pense aux étudiants qui sont engagés à droite – ils n’ont pas moins de droits que les autres – : c’est important que ce soit un lieu, l’école, qui privilégie le dialogue et la confrontation pacifique et respectueuse. Et moi je trouve que c’est une école formidable qui s’est profondément modernisée, qui s’est adaptée aussi à des standards internationaux qui peuvent dérouter avec notre prisme français mais qui sont à la hauteur de ce qu’on attend d’une grande école comme celle-ci dans le monde. Voilà donc je suis très fier de Sciences Po, je suis très fier de ce qu’incarne cette école dans l’histoire de la République française et je lui souhaite le meilleur avenir.

Pour finir est-ce que vous auriez des conseils pour les jeunes, y compris ceux qui aimeraient s’engager plus tard dans la chose publique ?

D’abord de s’engager, c’est vrai que c’est un débouché professionnel naturel pour Sciences Po que ce soit pour travailler dans le public, dans le parapublic ou dans le secteur de l’entreprise qui interagit évidemment très fortement avec les pouvoirs publics. Je sais que la formation est suffisamment polyvalente et cotée pour ouvrir des horizons immenses. Ce que je veux dire à la jeunesse, c’est de ne jamais céder au sectarisme, de ne jamais céder au cynisme et qu’il n’y a pas de meilleur moment pour s’engager.

Est-ce que vous auriez quelque chose à ajouter ?

Révisez bien et réussissez vos examens !

Propos recueillis le 22/11/2024.