La Politique Belge entre Consensus et Turbulences
Le 13 octobre dernier, des élections municipales ont eu lieu en Belgique. Le plat pays est toujours à la recherche d’un gouvernement fédéral. Éclairage sur l’actualité politique de ce pays où règne l’art du consensus mais qui n’échappe aux turbulences contemporaines, avec l’analyse de Bart Maddens, professeur de science politique au Voting and Democracy Research Group de la KU Leuven à Louvain, en Belgique.
Auteur: Arthur Savoye (actuellement en année d’échange à la KU Leuven en Belgique)
Pour contexte, la Belgique est un État fédéral composé de trois régions : la Flandre néerlandophone, la Wallonie francophone et Bruxelles – Capitale. Les régions disposent de compétences étendues et exclusives. Au niveau fédéral, le parlement belge, bicaméral, est composé de députés appartenant aux groupes linguistiques francophones et néerlandophones. Depuis la fin des années 1960, la quasi-totalité des partis belges possèdent leur équivalent de part et d’autre de la frontière linguistique. Le système électoral est proportionnel, ce qui permet de prendre en compte les intérêts de chaque communauté, lesquelles disposent également d’un veto mutuel sur des lois leurs étant préjudiciables. La Belgique est ainsi considérée depuis les travaux fondateurs d’Arend Lijphart comme un modèle de démocratie de consensus.
Cependant, les négociations pour former des coalitions tant au niveau régional qu’au niveau fédéral peuvent être très longues : entre 2010 et 2011 la Belgique a passé 541 jours sans gouvernement fédéral, ou plus exactement avec un gouvernement exécutant les affaires courantes. C’est d’ailleurs à cette période que le professeur Bart Maddens a proposé une doctrine de gestion des négociations entre Flamands et Wallons, en s’appuyant sur le levier financier entre les deux régions, la Flandre étant notoirement plus riche, une telle proposition a fait couler de l’encre outre-Quiévrain où la conclusion d’accords gouvernementaux relève d’une alchimie bien huilée.
Selon Bart Maddens, les élections municipales du 13 octobre 2024 n’ont pas eu de conséquences négatives sur les négociations fédérales engagées après les législatives de juin dernier. « Les partis engagés dans les négociations ont bien réussi, et sont sortis renforcés des élections » nous indique-t-il. Cinq partis sont engagés dans les négociations pour la coalition Arizona (du nom des couleurs du drapeau de cet Etat américain) : les socialistes flamands (Vooruit), les chrétiens-démocrates flamands (CD&V), les centristes francophones (Les Engagés), les libéraux francophones (Mouvement Réformateur) et les nationalistes flamands (N-VA). Un point de blocage persiste au niveau fédéral « Vooruit est le seul parti de gauche dans la probable coalition, ils sont vulnérables aux critiques des syndicats et des socialistes francophones et poussent pour une taxe sur les plus-values dont le MR et la N-VA ne veulent pas entendre parler ».
Si les négociations fédérales semblent en bonne voie pour aboutir, la Belgique n’est pas épargnée par les convulsions politiques qui traversent l’Europe. L’extrême droite flamande du Vlaams Belang a obtenu en octobre sa première majorité dans un conseil municipal, dans la commune de Ninove. Un séisme à relativiser, selon M. Maddens « Il y a eu un soulagement en juin, le Vlaams Belang était donné premier parti de Flandre, et finalement ce n’est pas arrivé, l’essor du Vlaams Belang a été contenu et leur résultat provincial en octobre est resté en deçà de celui de juin [l’équivalent belge du département] ».
Malgré ce résultat, le cordon sanitaire dressé par les autres partis belges contre l’extrême droite a été maintenu. Une spécificité existe du côté francophone : le cordon médiatique. Les partis d’extrême droite, qui demeurent faibles en Wallonie, ne sont pas invités dans les médias depuis que le Vlaams Belang a fait une percée électorale en 1991. Selon Bart Maddens, un tel cordon ne peut fonctionner tant que l’extrême droite ne possède pas de sièges en Wallonie ou au niveau fédéral. « Que se passerait-il si les partis radicaux progressaient ? On peut se demander si ce cordon serait toujours légitime d’autant que certains demandent son application à la gauche radicale» indique Bart Maddens.
Interrogé sur la manière dont les Belges, habitués aux compromis et aux longues vacances du pouvoir, ont vécu la séquence politique française de dissolution de l’Assemblée nationale et de nomination de Michel Barnier, M. Maddens indique que les Belges sentent qu’ils ne « sont plus une île en Europe » en la matière. « L’instabilité politique touche maintenant la France, l’Allemagne, les Pays-Bas. Ce n’est pas une bonne nouvelle dans le contexte international actuel avec l’élection de Donald Trump et la guerre en Ukraine ».
Les recettes institutionnelles belges pour surmonter les turbulences gouvernementales semblent non transposables en France du fait de l’absence de fédéralisme et d’une culture politique différente. Cependant, observer les dynamiques à l’œuvre au plat pays peut nous apprendre à forger des consensus fédérateurs et offrir un autre regard sur les soubresauts que connaît le paysage politique européen.