Analyse – la figure de l’étranger malade face au regard de la société
Cet article, qui paraît dans le cadre du nouveau projet de loi sur l’immigration présenté récemment en Conseil des ministres, propose une réflexion sur la figure de l’étranger dans notre société.
Dans l’ouvrage intitulé Repenser les enjeux de santé autour de l’immigration, est écrit «Traditionnellement, le migrant est considéré à la fois comme porteur d’un risque et comme nécessitant une prise en charge particulière, du fait de sa supposée différence. Sa santé a longtemps été un domaine réservé aux spécialistes médicaux et autres psychologues. Or elle met en cause bien d’autres domaines de la vie de la cité car elle relève plus du contrat social que de l’altérité » (Fassin).
L’anthropologue et médecin réputé met ici en avant le rapport qu’entretient toute société avec la figure de l’étranger et ce qu’elle se représente de lui lorsqu’il s’agit de santé. Notre imaginaire collectif semble saturé d’images diverses incarnant cet «autre», il serait dangereux, porteur d’épidémies, fraudeur, énigmatique, indésirable. Son altérité supposée susciterait chez nous une multiplicité d’émotions telles que la crainte, le dégoût, la suspicion ou de la condescendance.
L’inquiétante étrangeté ou le miroir de nos fantasmes et craintes
Si l’étranger est perçu comme un être vulnérable qu’il faut protéger au nom de valeurs inscrites dans une histoire, il est aussi l’objet d’ambivalence et est considéré comme une menace sur le plan fantasmatique. Il nous renvoie à nos craintes les plus intimes. Deux figures irriguent les représentations sociales les plus archaïques du point de vue psychanalytique : celles du migrant et du malade. L’étranger renvoie en négatif à un Je ou à un Nous qui se construit dans la différence (Desplechin). C’est bien cette altérité si familière à la fois rêvée, recherchée et fantasmée qui nous fait si peur. L’étranger est le support de toutes nos aspirations et craintes. Parallèlement, la figure du malade est le réceptacle de projections contradictoires. Se superpose donc l’image xénophobe d’un « corps-autre, » agent de contamination (Rozenberg).
Ce lien fantasmatique établi entre l’étranger, le danger et la menace se fait de plus en plus prégnant et certaines réformes contribuent à sa matérialisation. Le constat semble clair : l’étranger est craint. Ceci est inquiétant dans la mesure où cet accueil est conditionné non pas par rapport à sa qualité d’Homme ou au regard de ses actes mais plutôt à l’idée que l’on s’en fait dans la plus grande des confusions. (Thibaudeau)
La mise à distance de l’étranger éternel indésirable
La question de la mise à distance de l’étranger indésirable se retrouve à l’échelle de l’UE également, qui a développé un certain utilitarisme à l’égard des migrants. A
Un nouveau paradigme s’est profilé ces dernières années avec l’émergence d’une catégorisation des étrangers désirables et de ceux qui ne l’étaient pas. La figure du ressortissant issu d’un pays tiers peut nous permettre de penser l’évolution des représentations sociales de l’étranger, notamment du point de vue du droit de l’UE. Gazin écrit justement : « l’Union européenne s’adresse et s’intéresse avant tout à ses citoyens. » Dans ce contexte, la catégorisation des ressortissants des États tiers semble avoir pour but d’attirer les étrangers « intéressants » tout en repoussant les indésirables.
Corps souffrant, corps suspect?
Parallèlement, l’étranger malade fait face à de plus en plus de suspicions, il n’est pas cru. Les barrières rencontrées lors du dépôt de demandes auprès de la préfecture sont nombreuses (Lefebvre). L’accès au guichet est entravé: les délais sont conséquents et les pièces administratives requises abusives. La réforme de novembre 2016 a redoublé le nombre de contrôles à l’égard des étrangers demandant à être régularisés sur le fondement sanitaire. Depuis, les textes prévoient l’obligation de se soumettre à une multiplicité d’examens médicaux et de convocations de la part de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration durant la période d’instruction. Ces procédures s’inscrivent dans une logique de lutte contre la fraude. Pourtant, l’Observatoire du droit à la santé des étrangers estime qu’il s’agirait de 0,5% des dossiers.
Du droit au séjour pour soins découle une reconnaissance du « corps souffrant » (Klausser). Cette « biolégitimité » reconnue à l’étranger du fait de sa maladie a des conséquences contradictoires. Si elle a pour but de le protéger, elle le stigmatise également dans le sens ou cette migration n’est pas sous-tendue par le travail et paraît donc moins supportable. Les propos tenus par des responsables politiques ces dernières années ont contribué à renforcer cette image d’un migrant venu profiter de la qualité des soins et du système de solidarité sociale. À l’idée d’un étranger profiteur et stratège vient se greffer la figure du menteur. Le fantasme d’un étranger faussement malade, simulant un état de santé dégradé est fortement répandu. Thibaudeau écrit : « cette attention particulière du sujet soupçonneux, le plus souvent imperceptible à d’autres, montre que le soupçon porte en définitive sur ce qui est déjà su par le sujet qui le forme. C’est cette invitation à la trahison retenue par Voltaire qui convoque une forme d’évidence où preuve et soupçon seraient consubstantiels. » Par conséquent, dans l’inconscient collectif, l’étranger malade est coupable. Cette suspicion généralisée résulte de l’addition de représentations sociales négatives définissant toute figure d’altérité comme décrites tout au long de cette réflexion. Face à un tel niveau de soupçon, l’accueil et les institutions qui l’encadrent ne peuvent qu’en pâtir.
Pour conclure succinctement, la citation suivante de Toni Morrison semble résonner tout particulièrement et nous offre la possibilité de réfléchir : « Il n’existe pas d’étrangers. Il n’existe que des versions de nous-mêmes, auxquelles nous n’avons pas adhéré pour beaucoup et dont nous voulons nous protéger pour la plupart. »