Albert Camus, l’écrivain et la politique
« J’aime mieux les hommes engagés que les littératures engagées » écrivait Camus dans ses Carnets de 1946. La citation pourrait être mise en exergue de l’exposition qui se tient du 4 février au 15 mars à la bibliothèque du 27, dans les vitrines à l’entrée. Intitulée « Albert Camus et la politique », elle retrace brièvement -et trop brièvement peut-être – les engagements de l’écrivain, à l’occasion du centenaire de sa naissance.
Danielle Le-nye, qui a organisé cette exposition, assume un parti pris : ne pas chercher à retracer tous les engagements de Camus, mais en souligner les principaux. Elle s’appuie sur les archives de la bibliothèque de Sciences Po, et sur des photos tirées de la collection Catherine et Jean Camus, les enfants de l’écrivain. Les vitrines sont donc divisées en cinq tableaux, par ordre chronologique : Seconde Guerre mondiale et Résistance, France de l’après-guerre, Espagne franquiste, communisme, Algérie.
Toutes les photos « classiques » sont là : Camus aux Deux Magots lisant le journal en 1945, Camus et Malraux, Camus et Sartre chez Picasso, Camus au milieu de la rédaction de Combat, le journal dont il a été rédacteur en chef à la Libération. Mais également quelques photos plus inhabituelles, en couleur, d’un Camus peut-être moins « glamourisé », « existentialisé » que celles en noir et blanc – lui qui a toujours refusé l’étiquette d’existentialiste.
Les articles aussi sont enthousiasmants ; pouvoir toucher du doigt (ou presque, attention à la vitre) les attaques de la polémique entre Camus et Sartre à propos de L’Homme révolté (1951) – Sartre ayant préféré déléguer la critique à un homme de paille, Francis Jeanson, avant d’être forcé de répondre directement à Camus – est assez passionnant. Mais frustrant aussi, puisque seul un fragment est lisible, à l’abri derrière sa vitrine, comme pour empêcher le visiteur de revivre l’épisode dans son entier. De même, un certain nombre de textes manquent : la série de reportage, « Misère de la Kabylie », évoquée seulement, dans laquelle le jeune Camus dénonce si précocement l’inégalité faite aux populations colonisées ; l’éditorial exceptionnel de Combat du 8 août 1945, suite à Hiroshima : « La civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie », position alors tout à fait insolite.
Les documents donc, sont excellents, même si on peut regretter quelques manques – il n’y a qu’une dizaine d’articles. Pour cela néanmoins, l’exposition vaut le détour. De même, l’angle choisi, l’engagement politique, est intéressant. Camus, qui rejetait toute littérature engagée contrairement à ce que l’on a voulu lui faire dire, s’est en revanche personnellement engagé. L’antithèse avec Sartre, ici aussi, est croustillante.
Cependant, quelques oublis ou impasses, faute de place peut-être, sont à déplorer. Ainsi sur l’Algérie, pas de rappel du soutien de Camus au projet Blum-Viollette de 1936, qui voulait déjà alors élargir la citoyenneté française à un certain nombre de musulmans, prise de position essentielle pour comprendre son attitude lors de la crise algérienne. De même, pas de rappel de son appel à la trêve civile en Algérie en 1956. On pourra critiquer aussi la présence d’un exemplaire de La Peste dans la vitrine « Seconde Guerre mondiale et la Résistance », légendée par le résumé lapidaire : « Roman, allégorie du nazisme et de la Résistance ». Le roman est bien plus que clea, bien mieux que cela, bien plus beau que ce résumé. Et Camus aurait sans doute refusé de considérer son livre comme un simple roman à thèse, étayant son engagement.
L’aperçu des documents pourtant, est intéressant, bien qu’il souffre un peu de la brièveté des explications. Le parcours que dessine l’exposition est cohérent, et montre bien la multiplicité des engagements de Camus, leur diversité, tout en maintenant l’unité de sa pensée.
Courez donc au 27 pour vous initier à la pensée politique de cet homme multiple et pour apercevoir la vie politique des années 50-60. Pour compléter sur l’engagement politique de Camus en revanche, mieux vaut se plonger dans ses articles, rassemblés à la NRF dans le recueil Actuelles, ou lire L’Homme révolté. Pour mieux comprendre la pensée d’un homme qui, en 1951, avait la lucidité d’écrire : »La fin justifie les moyens ? Cela est possible. Mais qui justifie la fin ? À cette question, que la pensée historique laisse pendante, la révolte répond : les moyens. »
Pour compléter, on pourra lire également la biographie d’Albert Camus par Olivier Todd, Albert Camus, une vie, chez Gallimard.
5 Comments
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