La passation de pouvoir à Matignon

Matignon, le récit d’un départ

En seulement quelques jours, le Gouvernement de François Bayrou a été renversé par les députés et remplacé par Sébastien Lecornu… Retour sur cette séquence politique aux conséquences encore incertaines.

Photo par Albert Ghazaryan.


Le 25 août 2025, François Bayrou annonce lors d’une conférence de presse sa décision de recourir à l’article 49 alinéa 1 de la Constitution pour engager la responsabilité de son Gouvernement sur la question de l’importance de la dette le 8 septembre. Dès cet instant, l’exécutif fait mine de croire à une issue du vote favorable en cherchant à discuter, argumenter, convaincre et en se disant ouvert à la réalisation de concessions.

À l’Assemblée nationale, le tohu-bohu

C’est le jour-J. Le Premier ministre s’avance vers le pupitre pour faire face à une assemblée pleine, soutenu par quelques applaudissements de députés du « socle commun ». Le « tohu-bohu » peut alors commencer, les oppositions à droite et à gauche de l’hémicycle s’en donnant à cœur joie pour mordre leurs proies.

À peine le Premier ministre parle-t-il de « défaite de l’Éducation nationale » que l’on entend crier des bancs de l’hémicycle : « C’est votre bilan ! » À peine évoque-t-il le « pronostic vital engagé » qu’on lui rétorque : « Vous avez fait quoi au Commissariat au plan ? » (François Bayrou ayant été haut-commissaire au plan avant d’être nommé Premier ministre).

Les présidents de groupe sont ensuite invités à prendre la parole. Boris Vallaud y va de sa petite punchline : « Il ne suffit pas d’être centriste pour être central. » Ensuite, place à Laurent Wauquiez, à qui les oppositions ne font aucun cadeau. Alors qu’il évoque la première fois qu’il est entré dans l’hémicycle, un député lui lance : « C’était il y a cinq minutes ! » Une autre voix le questionne ensuite : « Un petit restaurant ? », en faisant référence à l’affaire des dîners organisés par la région Auvergne-Rhône-Alpes sous sa présidence, qu’il a depuis remboursés.

Si les orateurs moins célèbres ne s’attirent pas tant de commentaires sarcastiques, ils ont aussi du mal à susciter l’attention d’une majorité de députés, beaucoup n’hésitant pas à quitter leur siège avant qu’ils ne prennent la parole. Destination la buvette, probablement. Ou la salle des quatre colonnes, où beaucoup veulent apparaître dans le champ des caméras pour essayer d’imprimer leur visage dans la mémoire, à défaut du cœur, des Français.

Ce sont Éric Ciotti et Marine Le Pen qui ont le droit aux plus forts applaudissements… Tous deux étreignent leurs adversaires politiques. Railleur, Éric Ciotti assène : « Pour la première fois sous la Ve République, l’Assemblée nationale est appelée à valider une lettre de démission. » Mais les deux alliés font aussi face aux protestations les plus vives. Lorsque la présidente du groupe des députés RN déclare que les « dirigeants de gauche et de droite [sont] coupables », l’assemblée hurle.

L’issue du vote qui se tient par la suite est, elle, prévisible : le Gouvernement est renversé par 364 voix contre 194.

Le calme à Matignon

Seulement deux jours plus tard, l’attente est longue dans la cour de l’hôtel de Matignon. Pour certains, c’est la première fois qu’ils assistent à une passation de pouvoir entre Premiers ministres. D’autres sont des habitués de longue date. La plupart des invités sont déjà présents à onze heures trente. L’ambiance contraste curieusement avec les vives revendications des manifestants pacifiques ou les affrontements violents entre policiers et fauteurs de troubles, ailleurs dans la ville et dans le pays. Sourires par-ci, par-là. Excitation et impatience aussi peut-être de vivre ce moment historique de ses propres yeux.

Finalement, Sébastien Lecornu arrive à midi. Fidèle à lui-même, il sert les mains des gendarmes et huissiers avant de s’avancer vers François Bayrou et d’entamer un entretien de plusieurs dizaines de minutes.

Les deux hommes redescendent ensuite dans la cour de Matignon. Les discours contrastent avec ceux de la passation de pouvoir entre les Premiers ministres Gabriel Attal et Michel Barnier il y a seulement un an. Pas de piques. Et des discours surtout beaucoup plus courts et sobres. Peut-être Sébastien Lecornu avait-il entre autres moins besoin d’affirmer son indépendance vis-à-vis du Président de la République, étant membre de tous les gouvernements depuis juin 2017. Cela suscite d’ailleurs des interrogations quant à la nouvelle relation Élysée-Matignon, qui signe peut-être l’atténuation de ce qui n’était déjà qu’un « parfum de cohabitation ».