Une orgie de plaisirs domestique : « Le problème » de François Bégaudeau
L’orgie de déplaisir domestique serait au départ l’impression que donne la trame du récit. On trouve dès l’entrée un couple en crise, cadre soutenu par deux « adulescents » hauts en couleur certes, mais à l’opposé absolu du jeune décrit par Bégaudeau dans Entre les murs. En effet, nous sommes sortis de cette banlieue sordide et inculte, dans Le Problème, on cause philosophie nietzschéenne et pièces classiques. François Bégaudeau écrit, décrit et parle ici de son public : le bobo est mis à l’honneur tout au long de la pièce.
Un scénario simple : la mère infirmière fout le camp avec son chef de service et en informe sa petite famille par une lettre. Elle repasse le soir et tente d’expliquer son comportement. La pièce est courte et divertissante, et on en redemanderait presque, rien que pour sentir la symbiose particulièrement sensible entre les acteurs.
En théorie, on s’attend à une violente bataille d’argument, à des assiettes et plats de mariage planant à travers le plateau. Mais on aurait vu « scène de ménage » comme titre et non « problème ». Car en effet, c’est un problème qui se pose. Comment continuer à vivre lorsque la routine est détruite ? Bégaudeau fuit le cliché de la scène de ménage violente, pour rentrer dans un échange calme, et où l’allusion, la rancœur et la pique sont maîtres. Derrière un texte finalement peu écrit, qui joue sur des expressions communes plutôt que sur un renouveau de l’écriture, on jouit beaucoup du portrait en filigrane des personnages. Particulièrement, les deux enfants, qui sont parfaitement truculents. On y reconnaît le jeune adulte en prépa littéraire, contraint par l’échéance du concours qui porte les lettres à la hauteur de Dieu. La fille presque rebelle, attelée à sa dissertation de philosophie. Une fille de terminale en 2011, qui peut brailler « ça m’casse les couilles » sans ciller. Les personnages des parents sont moins bons dans leur création psychologique, mais sublimés par l’interprétation. Toutefois, Emmanuelle Devos ne parvient pas à faire oublier la faiblesse psychologique de son personnage, qui lorsqu’elle tente de se débattre dans le flux de reproches dont l’accable sa famille trahie, perd en épaisseur et fini par être terriblement cliché. De plus, le texte du père est absolument exaspérant de mollesse, l’acteur endosse le rôle d’un être résigné et finalement décevant.
On ressent tout au long de la pièce la vocation de professeur de français de l’auteur, en effet, les références culturelles que l’on peut retrouver sont amenées de manière grassouillette, et peu naturelle. Ce défaut de la pièce lui donne une allure de dissertation de philosophie de terminale. Une dissertation sur le désir et le bonheur, où pour conclure dans une troisième partie, vous glissiez une réflexion sur l’impossibilité pour la mère de famille de tout plaquer pour aller chercher la bagatelle ailleurs, plutôt que de s’occuper des gamins et où vous aviez cette délirante sensation d’être un objecteur de conscience crépusculaire dynamitant la pensée mainstream. Bégaudeau prend son spectateur pour un de ses élèves et met en scène une réflexion sur le bonheur de manière risible. On ricane littéralement d’ailleurs quand les deux jeunes commencent à réfléchir sur la dissertation de philosophie de la plus jeune inopinément intitulée « La conscience permet elle le bonheur ? ». De plus, le choix de Bégaudeau, qui se place clairement du côté de la mère et qui tente peu subtilement de rallier le public à sa cause, public évidemment moral et jugeant la mère volage de manière négative, par la création d’une opposition grossière et catastrophiquement argumentée du père et du fils. Personnages-mollusques qui ne savent que répondre « parce que », lorsque que la mère leur demande pourquoi ils refusent qu’elle parte avec un autre homme.
Il ne faut pas se laisser prendre par l’introduction de la pièce qui semble un peu guindée. En effet, Arnaud Meunier le metteur en scène malgré quelques raccourcis scéniques, comme une opposition entre la robe rouge de la mère, incarnant le désir et la sexualité et le beige uniforme des autres personnages, parvient à montrer le malaise, le problème, le non dit qui flotte d’emblée dans la salle. Le décor neutre, tente d’intégrer une dimension universelle à la pièce, une telle situation arrive partout, et pourrait arriver partout entre Montmartre et le canal St Martin. En effet, le caractère socialement ancré de la pièce ne quitte jamais l’esprit du spectateur qui s’amuse certes de se voir mis en scène, lui suprême bobo allant se divertir un dimanche après midi, mais la pièce perd clairement en profondeur. On pourrait s’attendre à une destruction complète du mythe de la bourgeoisie bohême, il n’en est rien. Le mode de vie est porté sur un piédestal. C’est la force et la faiblesse de la pièce. Elle met son public immédiatement de son côté, mais prend une dimension très lissée, dans un concept d’originalité conformiste.
Ainsi, une première pièce vivante, et divertissante pour Bégaudeau, mais sans ambition, et qui ne parvient pas à effacer les principales faiblesses qu’on a pu apercevoir dans Entre les murs, un amour étrange pour le cliché, et un manque visible de travail sur l’écriture des textes. Par ailleurs, l’auteur devrait penser son public comme autre chose qu’une bande d’adolescent libidineux découvrant la réflexion philosophique.
A voir au théâtre du Rond-Point jusqu’au 3 avril, puis au théâtre Marigny du 7 avril au 15 mai.