Un tour du monde de l’intelligence collective : One Tour Yuman Project

Laura et Nastasia, élèves à Sciences-Po n’ont rien à nous envier. En effet, pendant que nous attendons patiemment notre cher et tendre « november nervous breakdown », elles, elles sautent d’avions en avions, ambiance trip-tour-du-globe. Et ouais. Je les ai contactées lorsqu’elles étaient à Sydney. Elles ne se doraient pas la pilule, elles ne couraient pas au milieu des kangourous. Non. Elles contribuaient au projet One Tour, « tour du monde des pratiques collaboratives et de l’intelligence collective. » Ces mots ont l’air barbares, voire chiants. En réalité, c’est un projet sur 6 mois aussi fou que passionnant. Je vous laisse juger par vous-même.
IMG_4278Pourriez-vous tout d’abord nous décrire en quelques phrases le projet One Tour ?

Notre projet consiste en un tour du monde des pratiques collaboratives. De juillet à décembre 2013, nous voyageons aux quatre coins de la planète afin de rencontrer des entreprises, universités, ONG afin de recueillir des témoignages sur les pratiques collaboratives et l’intelligence collective, portant sur des thèmes variés (l’entreprenariat social, le « crowdsourcing », la « gift economy »…). Nous effectuons un travail de veille sur les tendances du futur en terme de collaboration en se demandant « font-elles du « buzz ? », ou encore « sont-elles le résultat d’un changement sociétal plus profond? »
Nous avons un blog (one-tour.yuman.fr) sur lequel nous postons des articles et des vidéos de nos interviews.

La projet a été initié par Yuman (un cabinet de conseil alternatif spécialisé en intelligence collective) et sponsorisé par plusieurs grandes entreprises (Orange, EADS, Devanlay-Lacoste, Crédit Agricole, Covéa…).

Comment vous a-t-on contacté pour ce projet ? Pourquoi l’avez-vous accepté ?

Laura : Je suis entrée en contact avec Yuman lors de ma 1ère année de master à l’école de la communication grâce à mon professeur d’anglais, Michael Claggett. Yuman cherchait un stagiaire, Michael a fait passer le message et j’ai répondu présente ! Un coup de fil et une interview plus tard, me voilà en charge d’un magazine en ligne sur les pratiques collaboratives. En mars dernier, Laurent Saussereau (CEO de Yuman) me propose un projet fou : celui de faire le tour du monde! J’aurais été folle de refuser une pareille opportunité.

Nastasia : C’est pendant mes étirements au kung fu que Laurent Saussereau m’a proposé de partir faire le tour du monde (rires). A première vue, l’idée semblait un peu folle et rien n’avait été mis sur pied. Je savais que si Laurent proposait ce projet, c’est qu’il allait vraiment nous donner cette possibilité. Même si j’avais aussi postulé pour un stage à la délégation de l’UE aux Nations Unies à New-York, j’ai dit oui parce qu’on ne peux pas dire non à une telle opportunité. C’est une telle chance de se poser des questions sur notre propre avenir ! C’est une réflexion sur des mouvements extraordinaires comme le mouvement des makers, l’économie du don (« giftivism »), la consommation collaborative (« collaborative consumption »), l’économie du partage (« sharing economy »)… Autant de mouvements souvent déformés par la presse ou faussement marquetés par certaines entreprises.

Au travers de vos voyages et rencontres, vous êtes-vous rendues compte de l’émergence d’un monde nouveau, d’un changement dans les relations internationales ces dernières années ?

Un monde nouveau, sans aucun doute. Au travers des personnes que nous avons rencontrées jusqu’à maintenant, nous avons parfois l’impression qu’une subtile révolution se met en place.

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 Un constat: face à l’accélération des interactions, notre monde est de plus en plus complexe et de plus en plus interdépendant. « We have to learn how to unlearn », nous a dit Navi Radjou (spécialiste de la « Jugaad Innovation »). S’adapter à la complexité de notre monde requiert donc une certaine flexibilité d’esprit. Notre manière de consommer est un exemple parmi tant d’autres. Désapprendre la « sur-consommation » revient à se demander pourquoi acheter lorsque l’on peut louer ou partager ? La consommation collaborative ou encore l’économie du don sont deux tendances que nous avons étudiées et qui participent à changer notre vision du monde.
Internet joue un rôle clé dans l’émergence de ce monde nouveau. Google, Wikipédia, Innocentive, Threadless sont autant d’exemples qui s’appuient sur une communauté et qui témoignent du « pouvoir des foules ».

Qu’est-ce que, selon vous, l’intelligence collective ? 

De manière générale, nous nous alignons avec la définition donnée par le MIT Center for Collective for Intelligence, et qui revient à dire que l’intelligence n’est pas qu’un phénomène au sein de son cerveau, elle a lieu aussi  lorsque des gens, des groupes agissent pour quelque chose dans un but qui parait intelligent.
http://edge.org/conversation/collective-intelligence

Vous avez fait le tour du monde – ou allez le faire. Quels villes, pays, rencontres vous ont marqués ?

Laura : Certaines villes ont pour moi été de véritables coups de cœur. En Europe, j’ai adoré Amsterdam, son art de vivre et ses rues bordées de petits cafés/restaurants. Aux Etats-Unis, je dirais que San Francisco est bien au dessus du lot. Nous y avons rencontré des personnes extraordinaires. En Amérique du Sud, je dirais la ville de Valparaiso au Chili. Arpenter ses rues sinueuses, s’émerveiller devant le dédale des couleurs et s’accorder une pause au sommet d’un « cerro » pour apprécier la vue : une expérience unique en son genre !

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Nastasia: Le Chili m’a surprise. Les personnes que nous avons rencontrées m’ont touchées. Nous avons rencontré des gens du makerspace de Santiago, de l’Oréal, d’une ONG qui essaient de construire des télé-centres partout au Chili… Ce qui m’a étonnée c’est que ces gens auraient tout aussi bien pu être de San Francisco. Ils avaient un discours très juste, clair, et de l’humilité aussi. La passion des femmes que nous avons interrogées était presque palpable, en tout cas très communicante. C’est une énergie que l’on ne peut pas ignorer.

Comment avez-vous fait et faites-vous pour mener à bien ce projet d’ « enlightening study about collaborative stratégies and collective intelligence » ?

Il faut bien comprendre que ce qu’on fait n’est pas une thèse et n’a pas la rigueur nécessaire à une étude sociologique. Nous restons une semaine par pays, nous rencontrons entre 5 et 7 personnes par pays.
C’est un travail très particulier. Yuman nous a quand même demandées « d’être ouvertes émotionnellement » lors de nos rencontres. Qu’un patron te dise ça montre je crois une particularité de notre entreprise. Ce n’est pas une étude quantitative. Il y a de l’instinct a mettre dans l’équation. C’est dur. Je crois qu’on a bien dû mettre un bon mois et demi pour commencer à écrire quelque chose de plus intéressant, plus engageant.

Des compétences particulières sont-elles nécessaires pour mettre en place ce genre de d’aventure? (puisqu’au vu de vos CV, on a tendance à se dire qu’il faut une sacrée expérience pour prétendre à ce projet! )

Laura : Nous avons dû apprendre sur le tas. Littéralement. Ni l’une ni l’autre ne possédait une formation de journalisme auparavant. Nous n’avons eu que très peu de temps pour préparer le projet. C’est pourquoi il était nécessaire de se mettre très rapidement dans la peau de reporters en apprenant à mener une interview et gérer le processus qui s’en suit.

J’imagine qu’être capable de s’adapter rapidement à un environnement nouveau est un atout pour ce genre de projet. Nous changeons de pays presque toutes les semaines, mieux vaut ne pas être sensible au décalage horaire !

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Nastasia : Je pense que le fait que nous étudions à Sciences-po était un point non négligeable pour Yuman. C’est tout de même un point qu’ils peuvent mettre en avant face à leurs clients. Ca aide.
Ensuite, je crois que nous avons eu beaucoup de chance, puisque les « skills » nécessaires correspondaient plus à des étudiants en école de journalisme. (le patron de Yuman s’est beaucoup plaint de nos façons trop froide d’écrire nos articles au tout début…).
Laura est hyper organisée et ça nous aide beaucoup. Et un autre de nos atouts majeurs : nous nous entendons très bien !

Et il ne faut pas oublier d’être très professionnelles. C’est certes un tour du monde mais c’est aussi sponsorisé par des entreprises, nous ne pouvons pas l’oublier.
Sans oublier le plus important: l’envie d’apprendre ! Je ne pourrais pas dire à quel point c’est important d’être motivé, ouvert, passionné.

Comment se déroulent vos voyages ? En arrivant sur place, qui contactez-vous, de quelle façon, trouvez-vous toujours ce que vous êtes venues chercher ?

Nous avons pris des billets d’avion « tour du monde » via une agence spécialisée. Pour le logement, nous alternons entre auberges de jeunesse et « couchsurfing » chez des amis. Enfin, pour ce qui est de nos contacts : nous essayons de prévoir à l’avance au maximum. C’est loin d’être une chose facile dès lors que l’on vit en mode globe-trotter ! Il y a par conséquent aussi beaucoup de « sur place » et de dernière minute, c’est donc de l’improvisation. Cela nous est déjà arrivé de ne pas savoir où dormir le soir-même. Nous avons aussi une coordinatrice sur place (stagiaire chez Yuman à Paris) qui s’occupe de la maintenance du blog. Elle s’appelle Camille Vezy.

Avez-vous connu des situations alarmantes, des moments difficiles durant votre trip ?

IMG_4020Un tour du monde ne se déroule jamais comme prévu, il y a des hauts et des bas. Et avec un peu de chance : plus de hauts que de bas !
Il y a tout d’abord les difficultés techniques. Il nous a fallu un peu de temps avant de maîtriser la caméra, le micro et le trépied. Lors de notre première interview, nous avons eu un gros souci avec le son de la vidéo. C’est le cas de le dire : il n’y en avait pas. Evidemment, nous aurions dû faire un test son avant de commencer l’interview. Les bons réflexes viennent avec la pratique !
L’organisation est aussi un véritable problème, 6 mois en tour du monde en nécessitent beaucoup. Le logement, les transports, les visas, la prise de rendez-vous, les interviews…. Pas toujours facile de tout gérer, surtout depuis l’étranger et sans téléphone portable. Nous sommes donc dépendantes des bornes wifi.

Et puis, la question de la sécurité s’est posée, en Amérique Latine notamment. Même si nous ne nous sommes jamais senties en danger, il faut être prudentes. A l’auberge de jeunesse au Chili, nous avons entendu pas mal d’histoires de vols.
Après, chaque région à sa spécialité : les insectes en Indonésie ! (Laura : 14 piqures de moustique en une après midi…. Record à battre), la nourriture en Amérique Latine (très grasse et très lourde)…

Vous êtes actuellement en Australie, plus particulièrement à Sydney. Un état d’urgence a été décrété suite aux feux de forets meurtriers ces derniers jours. Quelques informations à nous apporter ?

Lorsque le feu s’est déclaré le premier jour, le ciel s’est aussitôt assombri. C’était très impressionnant, mais à ce moment là nous n’étions pas au courant de ce qu’il se passait. C’est lorsque nous avons eu nos parents au téléphone que nous avons compris de quoi il était question.

Comptez-vous sur de dignes successeurs pour ce projet ?

Ce n’est pas au programme pour le moment, mais qui sait ?

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One Comment

  • JNT

    elles sont maintenant à Shangai, en progression vers l’ouest donc. Ce qu’elles font est passionnant, on peut ajouter à l’article les notions d’éthique et de recherche de signaux faibles. une longue expérience des tours du monde professionnels (plus de 30) me permet d’affirmer que les petits problèmes logistiques font partie du « métier » qu’ils sont inévitables, plus ou moins graves et prégnants, mais généralement sans effets sur le travail à accomplir ni sur l’enthousiasme du voyageur.
    L’avenir: un nouveau modèle « économique de consommation » c’est à dire un changement de paradigme.
    a bientôt