Tribune – La gouvernance de Sciences Po : simulacre de démocratie et pots de fleurs

Fort de deux ans d’expérience dans les instances représentatives, plusieurs élus étudiants ont décidé à l’approche des élections étudiantes de partager dans les colonnes de La Péniche leur vision de la gouvernance de Sciences Po. La Péniche leur accorde une tribune.

Nous, élu-e-s étudiant-e-s, voyons nos mandats s’achever. Ayant choisi de ne pas nous représenter à nos fonctions, nous pouvons parler en toute liberté et objectivité. Après deux années passées à vous représenter avec fierté, nous tenons à vous décrire la réalité de cette fonction. Nous nous sommes, en effet, rendu compte de l’incompréhension que suscite ce rôle auprès de nombre d’étudiant-e-s. Nous souhaitons le mettre en lumière dans cette tribune, sous tous ses aspects, malheureusement bien souvent négatifs. 

Une connaissance élargie des sujets touchant à l’administration, acquise par nos propres moyens.

Dire à ses camarades de cours “je suis élu-e étudiant-e”, c’est s’exposer à une avalanche de questions. Quelles sont les démarches à suivre pour demander une exonération exceptionnelle des frais d’inscription ? Quelles sont les aides financières disponibles propre à Sciences Po ? Où pouvons-nous consulter sans avancer de frais médicaux…? Nous nous sommes formé-e-s, collectivement à ces problématiques et à d’autres encore. Cela nous a permis d’accompagner un nombre d’étudiant-e-s très important dans leurs démarches administratives, financières ou médicales. Les besoins étudiants sont nombreux, nous avons appris à chercher une réponse à chacun d’entre eux. La force et la structure d’un syndicat derrière nous nous a permis de gagner un temps précieux. Cependant, l’absence de formation des nouveaux-lles élu-e-s demeure un problème majeur. On attend de nous un sérieux, une connaissance et une maîtrise de sujets allant des problématiques relatives à la recherche (alors que nous sommes parfois en première année) aux frais d’inscriptions en passant par les commissions et acronymes obscurs de l’enseignement supérieur parisien. Semblant se satisfaire de l’absence d’une opposition étudiante formée et compétente, l’administration n’a jamais proposé de formations, sur aucun sujet.

Être élu-e étudiant-e et remplir cette fonction correctement est un travail à plein temps. Nous ne souhaitons et ne recevons aucune récompense, gratitude ou crédit universitaire de la part de la communauté et de l’administration. Notre objectif est de rendre compte de la réalité d’un engagement quotidien, qui peut demander un sacrifice sur nos santés et nos études. Pourtant, l’amélioration des conditions d’études et vies des étudiant-e-s de Sciences Po reste notre priorité absolue. C’est au nom de cette résolution que nous avons consenti à nombre de sacrifices et que nous ne regrettons pas notre engagement.

Malgré cette volonté de fer et l’intensité de notre travail, nous avons été confronté-e-s à quelques embûches, nous empêchant d’accomplir pleinement nos missions de représentations et d’actions pour les intérêts de nos promotions. Nous sommes convaincu-e-s que les prochain-e-s élu-e-s devront faire face aux même problématiques.

L’absence totale d’écoute et de transparence des conseils

           En tant que représentant-e-s de la communauté étudiante, nous sommes amené-e-s à nous entretenir régulièrement avec l’administration, lors des réunions des différents conseils, de rendez-vous avec des membres de la direction ou de groupes de travail thématiques[1]. Nos interventions sont nombreuses, réfléchies et entendues par l’administration. Elles ne sont, en revanche, pas écoutées. Nous, élu-e-s étudiant-e-s, avons amené dans nos discussions avec la direction de notre École plusieurs sujets primordiaux pour les conditions de chacun et de chacune : santé mentale, protections périodiques, égalités, réforme des frais d’inscriptions… L’administration nous écoute, hoche la tête, nous félicite pour nos propositions et ne fait rien.

Le Conseil d’Administration de la FNSP, où sont décidées, rappelons le, des “grandes orientations stratégiques et de la gestion administrative et financière de Sciences Po”, n’est composé que de 7 élu-e-s (dont seulement 2 représentant-e-s des étudiant-e-s) pour 25 membres. L’administration de Sciences Po fixe les ordres du jour des Conseils de la Vie Étudiante et de la Formation (CVEF) et des Conseils de l’Institut (CI) lors de réunion de bureau, dans lesquelles un-e seul-e étudiant-e est présent-e. Cet-te étudiant-e se confronte souvent à la confidentialité exigée par le bureau fixant l’ordre du jour et au manque de temps pour étudier les dossiers lorsque ceux-ci sont envoyés quelques jours avant seulement.

L’initiative de propositions vient donc essentiellement de l’administration. Lorsque nous tentons de produire des motions à voter, l’administration nous met des bâtons dans les roues, nous forçant à venir en discuter avec elle et ne pas faire l’acte, considéré comme “trop violent”, de déposer une motion en conseil. Nous n’obtenons alors qu’un simple engagement verbal, sans aucune garantie qu’il soit respecté, voire même un refus clair, et des moqueries à demi-mot.

Malgré l’opposition, parfois unie, des élu-e-s, nous sommes trop peu nombreux-ses pour avoir une chance d’obtenir la majorité, empêchant ainsi l’adoption d’une proposition. L’administration s’est constituée, en effet, par l’intermédiaire de membres de droit et de personnalités extérieures une garde rapprochée. Ces membres ne sont pas représentatif-ves. La plupart ne siègent pas, se contentant de donner procuration aux membres de l’administration. Celles et ceux qui viennent n’ont aucune connaissance des dossiers. Mais l’administration maintient ces “représentant-e-s”, qui ne représentent rien du tout.

En effet, ce système lui assure d’obtenir, toujours, la majorité dès qu’un vote, qui peut s’annoncer difficile, est mis à l’ordre du jour. Encore faut-il qu’un vote soit mis à l’ordre du jour ! Il est certain qu’il nous arrive de nous sentir inutiles, en particulier lorsque l’administration multiplie les points d’informations et les points d’étape, ne prenant même pas la peine d’entretenir l’illusion de démocratie, préférant uniquement nous informer de ce qu’elle compte faire. Les conseils deviennent des “chambres d’enregistrement”, et nous nous retrouvons spectateurs-ices, notre rôle se limitant à la prise d’interventions de principe pour marquer nos désaccords. Lors des groupes de travail,  l’impression d’être écouté-e-s est plus forte, puisque le cadre y est plus égalitaire. Cependant, leur utilité est très limitée : d’une durée de seulement deux heures, ils ne sont pas propices à un vrai cadre de réflexion et sont plus une opportunité de présentation de projet et de réponses à des questions.

Les élu-e-s étudiant-e-s ne sont pas les seul-e-s à souffrir de ce manque de démocratie. L’absence de règlement clair et complet des conseils, et la difficulté à se le procurer, rendent compliquée toute critique formelle des conseils tout comme la perception de nos marges de manœuvre. Notre revendication pour un règlement intérieur des conseils, partagée par de nombreux-ses membres, s’est heurtée à un mur.

Face à cette mascarade, la communauté étudiante doit se mobiliser

            Les élu-e-s étudiant-e-s ont donc un rôle proche de celui de pots de fleurs dans cette mascarade de démocratie. Notre présence permet à l’administration de Sciences Po de s’éviter toutes critiques, en assurant que sa gouvernance est démocratique. C’est un procédé très fin que nous dénonçons aujourd’hui. Nous tenons à souligner que penser que les élu-e-s étudiant-e-s ont du pouvoir revient à jouer le jeu antidémocratique de Sciences Po.

            Les élu-e-s étudiant-e-s permettent cependant aux organisations syndicales d’être informées des réformes de Sciences Po, futures et actuelles. L’information n’a cependant de valeur que si elle sert une structure forte. N’oublions pas également qu’un des intérêts d’avoir des représentant-e-s étudiants est de toucher des subventions par élu-e, indispensables pour mener une action syndicale efficace.

            Dans ce contexte, les élu-e-s ne peuvent obtenir de résultats que lorsqu’ils et elles bénéficient de l’appui d’une force militante, permettant de mettre en place des actions et de gérer des cas individuels d’étudiant-e-s nécessitant un accompagnement. Cependant, notre expérience nous prouve que, même avec une force militante importante et le soutien de la communauté étudiante, nous n’arrivons que rarement à nos fins. Rappelons que la pétition sur l’Acte II du Collège Universitaire, que nous avons portée en conseil après la mobilisation des étudiant-e-s, a été balayée d’un revers de main par l’administration, en dépit de ses 500 signatures, et nous n’avons pu faire adopter que quelques points mineurs sur ce dossier.

            Malgré l’actualité brûlante de Sciences Po : réforme du concours d’entrée, réforme des frais d’inscriptions, nouveau site à l’Hôtel de l’Artillerie, urgence climatique… aucune réforme ambitieuse n’est envisagée des statuts de Sciences Po pour faire, cette fois, véritablement entendre la voix des étudiant-e-s. Malgré les élections aux conseils centraux la semaine prochaine, aucun syndicat ne s’est saisi de la question. Il est temps que les choses changent. Or, nous ne pensons pas que ce changements puissent venir de l’intérieur de ces instances sclérosées.

            L’histoire de Sciences Po nous montre que les réformes permettant plus de démocratie étudiante n’ont été votées que lorsque que les étudiant-e-s et les syndicats se sont mobilisé-e-s largement pour plus de démocratie. Nous vous invitons donc à secouer l’ordre établi et à agir.


Tribune rédigée et signée par sept élu-e-s et ancien-ne-s élu-e-s étudiant-e-s


[1] Les groupes de travail sont des cadres de réunion moins formel que les conseils sur des sujets thématiques choisis par les CVEF et le CI.