La Tempête de Shakespeare vue par Rhinocéros
La cinquième édition du festival Festiféros, organisé par l’association de théâtre de Sciences Po, Rhinocéros, a débuté le 4 mai. Entre la pièce “Breadcrumbs”, “L’eau des Saraph” et “La jeunesse du Cid”, la compagnie a aussi monté “La Tempête” de Shakespeare, avec une mise en scène de Gaspard Baumhauer. Belle occasion pour la troupe d’étudiants sélectionnés de jouer dans une pièce professionnelle, et pour les spectateurs d’apprécier une pièce moins connue du répertoire shakespearien.
Le Festiféros ou le choix d’une équipe éclectique et motivée
Chaque année, la compagnie Rhinocéros fait un appel à projets. Des auditions sont organisées pour former les troupes de comédiens, chacune d’entre elles jouant une pièce de théâtre après 6 mois de répétitions. Alice Bergoënd, qui interprète l’esprit de l’air dans La Tempête, raconte les répétitions : “Ce que j’ai préféré, c’est sans hésiter le filage de la pièce avec nos propres mots. On a dû la jouer sans utiliser le texte, en improvisant les scènes pour s’en approprier le sens, et comme personne ne sait vraiment ce qu’elle fait ça donne une version cheap de la pièce et c’est très drôle”.
Au total, ce sont quatre troupes et une trentaine d’étudiants issus du collège universitaire, de master et mêmes qui sont sélectionnés pour ce festival. Certains d’entre eux étaient même déjà diplômés de Sciences Po. De fait, le projet est une aubaine pour les étudiants passionnés de théâtre et désireux de jouer avec des professionnels.
La Tempête, une pièce “féérique” où les esprits s’expriment
“La Tempête”, née sous la plume de Shakespeare entre 1610 et 1611, est l’une des dernières pièces du dramaturge britannique. Elle n’est pas sans rappeler son “Songe d’une nuit d’été” ( A Midsummer’s Night Dream pour les plus anglophones d’entre vous ), de par son mélange d’onirisme et de comique. Une île dans la Méditerranée en dehors de tout, où le duc Prospéro (Dorian Alt) exilé avec sa fille Miranda (Élodie Faïd) décide de faire chavirer le navire des napolitains qui ont usurpé son pouvoir à l’aide de l’esprit de l’air Ariel.
Comme dans “Songe d’une Nuit d’été”, les errances des personnages orchestrées par Prospéro, leurs rencontres font émerger l’amour, le retour des complots et des quiproquos. Amour entre Ferdinand et Miranda, le complot de Caliban contre son maître, des nobles contre leur roi… La pièce alterne les fils narratifs. On y retrouve la vengeance des tragédies shakespeariennes, mais aussi la féérie et la romance de ses pièces lyriques. L’île luxuriante est un lieu d’apprentissage du Bien par la victoire de la vérité : la morale de Shakespeare est celle de la recherche de l’harmonie par la reconnaissance et la maîtrise du Mal.
Une mise en scène très fidèle
La mise en scène se veut respectueuse de ce qu’aurait pu concevoir Shakespeare. En effet, le texte a été peu modifié mais inclut certaines interprétations contemporaines. “La Tempête permet de nous rappeler notre essence onirique: à tout moment nous pourrions nous échouer sur l’île et redécouvrir la féérie que nous avons écarté avec mépris de notre modernité” explique le metteur en scène. La scénographie réussit à donner cette impression de rêve éveillé. Le choix d’une vraie île, d’abord, et puis le texte parfois chanté. L’esprit Ariel danse délicatement, le mauvais esprit Caliban (joué par Henri Sourdais) virevolte, et des interventions musicales ponctuent la pièce, comme un court intermède de flûte traversière et de violon par les esprits.
“Ici Shakespeare nous emmène vers notre élan vital, vers l’enfance où l’émerveillement se renouvelle toujours. En somme, la tempête nous fait renouer avec le merveilleux” note Gaspard Baumhauer.
Tout comme dans un rêve, le grotesque s’installe avec l’irruption des clowns Trinculo (Morgane Janoir) et Stéphano (Marie Iasci). C’est d’ailleurs un choix du metteur en scène de faire jouer des personnages masculins par des femmes. Les nobles Alonso (le roi de Naples), Sébastien et Antonio, le frère de Prospéro sont ainsi féminisés. Il voulait donner un aspect “plus subversif” à la pièce et accorder des rôles genrés jusqu’à la caricature (les bouffons ivrognes, les hauts fonctionnaires) à des comédiennes. La pièce dissimule une autre suprise que le spectateur ne décèle pas immédiatement. Certains acteurs jouent deux rôles parfois opposés, comme Maya Eyal dans la peau d’un fidèle courtisan et celle d’un esprit, puis Morgane Janoir en roi et en clown.
L’accomplissement du pardon sonne la fin de l’île, de la magie et du rêve.
“Et d’autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors
A m’éveiller après un long sommeil,
M’endorment à nouveau; – et dans mon rêve je crois que le ciel s’ouvre; que ses richesses
Vont se répandre sur moi… A mon réveil, J’ai bien souvent pleuré, voulant rêver encore.”
(Caliban, Acte II, Scène 2).