Succession Descoings (4) : Hervé Crès, le porte-étendard
Ce n’est pas sans un certain trac que nous gravissons les augustes marches menant aux bureaux de l’administration en ce banal jeudi après-midi d’automne pour rencontrer Hervé Crès. Celui-ci nous accorde une heure de son emploi du temps et nous accueille dans le bureau de la direction, endroit solennel s’il en est. Actuel administrateur provisoire de l’IEP de Paris, Hervé Crès est le candidat à la succession de Richard Descoings le plus (et parfois le seul!) connu des étudiants. La nuit du décès de Richard Descoings, c’est lui qui décida d’ouvrir les portes de l’école pour une veillée improvisée, et sa présence et son soutien aux étudiants furent très appréciés. Son parcours académique est impressionnant : passé par l’ENS Ulm et Sciences Po Paris, il est détenteur de deux doctorats à Paris I et à l’Université de Genève, respectivement en mathématiques appliquées et en sciences économiques. Il fut professeur d’économie à l’université de Pennsylvanie, mais décide de rentrer en France pour cause de « mal du pays ». A cette époque, deux postes lui sont proposés : l’un au CNRS, l’autre à HEC. Il choisit HEC, où il évoluera de la position de professeur à celle de directeur délégué et de doyen associé de l’Ecole, avant de revenir à Sciences Po en 2008 pour occuper les postes de directeur adjoint et de directeur des études et de la scolarité, mais également celui de directeur de l’école doctorale depuis 2011.
Un candidat « naturel »
Pour Hervé Crès, Sciences Po est une école « conquérante ». Être à sa tête, c’est donc être « sur un champ de bataille : celui du rayonnement de l’enseignement supérieur et de la recherche française dans le monde ». Et « quand le chef meurt de façon brutale et tragique, et que l’étendard tombe par terre, qu’est-ce que je fais, moi qui suis juste derrière ? Je me retourne et j’attends que quelqu’un vienne le prendre ? Non, je cours, et je m’en empare. » La métaphore est certes grandiloquente, mais montre l’état d’esprit de l’administrateur provisoire de l’IEP. Interrogé sur le soutien notoire que lui apportent Michel Pébereau et Jean-Claude Casanova, il nous répondra simplement que, si c’est vrai, ce n’est probablement pas dû au hasard. , « C’est (lui) qui dirigeai(t) la direction la plus importante de Sciences Po (la direction des études et de la scolarité) depuis plusieurs années ». Alors, candidat le plus légitime ? « Légitime, je ne sais pas si c’est le mot le plus approprié. Mais un candidat naturel, oui ».
Le rapport de la Cour des Comptes ? L’esprit libre, la conscience tranquille, le cœur léger
Tout d’abord, Hervé Crès tient à nous expliquer que la simultanéité d’un tel rapport avec la nomination du nouveau directeur est une coïncidence, l’un n’est pas la conséquence de l’autre. On a souvent entendu que ce rapport pourrait discréditer sa candidature et là encore, il se défend. Ce rapport qui porte sur les années 2005-2010, ne concerne pas en premier lieu Hervé Crès qui n’a été nommé directeur de la scolarité que fin 2008. Et lui de préciser : « Je ne dis pas ça pour me dédouaner, bien au contraire. Mais j’ai l’esprit libre, la conscience tranquille et le cœur léger ». De plus, ce rapport n’en est qu’un parmi d’autres. En effet, Sciences Po est régulièrement audité : par l’AERES, le CNRS, le CNE ; Sciences Po a même fait en sorte de bénéficier d’autres audits, notamment de l’agence de notation Fitch, qui lui a accordé fin septembre un A+, avec une perspective à long terme positive. L’enquête de satisfaction menée en mars dernier auprès des étudiants semble aussi encourageante. Sur les quelques 2650 questionnaires reçus, 71% donnent une note supérieure ou égale à 7/10, et le résultat tous campus confondus est de 6,9, ce qui équivaut selon lui à un « bien, mais peut mieux faire ».
Continuer une ouverture sociale, culturelle et internationale de Sciences Po
Pour Hervé Crès, la consolidation de l’héritage Descoings se caractérise par la promotion de la diversité, avec « un objectif de 30% de boursiers et de 50% d’élèves ayant une nationalité autre que la nationalité française », qui doit être mise en parallèle avec le renforcement de « notre enracinement français », notamment par l’apprentissage de notre langue et de notre culture pour les internationaux. Hervé Crès souhaiterait aussi « développer une offre de formation tournée vers les puissances de l’avenir ». Ce développement international de Sciences Po se déroulerait en trois étapes. Tout d’abord la création d’un campus européen, peut-être en rassemblant le campus franco-allemand et le campus Europe centrale et orientale, permettrait une formation européenne plus globale et favoriserait une vision de l’Europe comme « grande puissance du futur ». Ensuite, dans la même visée, Hervé Crès propose d’internationaliser le master Affaires Européennes pour former précisément aux métiers de l’administration communautaire. Enfin, multiplier les partenariats avec l’Amérique du Sud et l’Asie donnerait plus d’opportunités aux étudiants qui souhaitent se tourner vers ces puissances émergentes.
Se focaliser sur le service intellectuel
Hervé Crès souhaite, de manière générale, développer l’offre d’apprentissage en « anticipant les besoins des recruteurs ». Il se base ainsi sur les champs d’opération des plus grands groupes mondiaux pour préconiser la création de filières « énergie » et « santé » et le développement de formations en rapport avec les télécommunications ou encore les assurances. Plus généralement, il s’agirait de faire des questions scientifiques et technologiques des enjeux plus importants tout au long du cursus à Sciences Po. La participation de l’établissement à l’Idex « Sorbonne Paris Cité » est d’ailleurs très « prometteuse » à cet égard. Hervé Crès envisage même de « dématérialiser les contenus d’enseignement » pour les rendre « aisément et gratuitement disponibles au plus grand nombre ». Il promet également de « ne pas faire de coupes (financières) sur le projet éducatif ».
Trouver de nouveaux financements
Dès lors, et si l’on n’augmente ni le nombre d’étudiants ni les frais de scolarité (ce qu’il souhaite), comment augmenter les ressources financières de l’IEP? Il faut une économie d’échelle et une amélioration de la planification. Cela passerait par le développement des activités de formation (qui « permettraient d’engendrer des recettes annuelles de 9 millions d’euros d’ici 2015 ») mais aussi par un développement du fundraising, que ce soit auprès des particuliers (anciens élèves par exemple) ou des entreprises. Cette politique de levée de fonds déjà mise en œuvre représente seulement un dixième de ce que l’Etat nous accorde : il faut donc totalement le repenser.
Repenser le management
La priorité est « d’adapter l’organisation à la taille actuelle de Sciences Po ». Il faut donc un « comité de direction élargi », et une « gouvernance exécutive déconcentrée ». Le but serait de donner une plus grande liberté et de plus importants pouvoirs aux directeurs des différentes écoles, que ce soit dans la gestion d’un budget ou des ressources humaines. Cela donnerait d’ailleurs plus de crédibilité auxdites écoles, qu’il faut promouvoir dans tous les domaines de l’enseignement à Sciences Po. Une autre priorité est « d’apaiser les relations de travail », puisque la moitié des collaborateurs estiment effectuer une quantité de travail excessive (selon l’enquête « qualité de vie au travail »).
Ce qui caractérise Hervé Crès, c’est à la fois une détermination farouche et des compétences certaines. Il connaît très bien les dossiers, les besoins de l’école et les attentes des élèves ; il a toujours un chiffre, un article, un exemple pour étayer ses propos. Étant à la tête de Sciences Po officiellement depuis avril, ce n’est pas qu’il s’y voit déjà, c’est qu’il y est déjà. Reste maintenant à voir si le besoin de nouveauté et les remous provoqués par le rapport de la Cour des comptes auront raison de sa motivation, de ses précieux soutiens, et de son remarquable sens de la formule.
3 Comments
superpipo
L’objectivité et l’esprit critique, c’est pour les ringards, c’est bien ça ?
Edicimoh
Le dernier paragraphe est à se pisser dessus… Affligeant. Il vous en reste un peu sur le bord des lèvres…
Fraise des bois
N’aurait-il pas fallu s’interroger sur l’usage que fait Crès de sa position actuelle pour favoriser sa candidature (mail très personnalisé envoyé à tous les élèves notamment)?