Résumé de la conférence « ACTA et la liberté de l’Internet »

affiche_acta.jpg« Geeks de tous les pays unissez vous ! » C’est le slogan récurrent sur Internet lorsque l’on parle de ACTA. En effet, si l’on croit ce qu’on trouve sur Youtube et compagnie, pour tout internaute qui se respecte ACTA c’est le MAL ! Qu’en est-il en réalité ? Répondre à cette question était le but – enfin l’un des buts – de la conférence de l’association Inside Electronic Pipo de lundi dernier. L’amphithéâtre Boutmy si il n’était pas plein était déjà raisonnablement rempli pour une conférence sans superstar un lundi de 19h à 21h. Le public était d’ailleurs dans une bonne proportion composé de non-sciences pistes, conséquence de la très forte présence de l’association sur Internet, association qui a tout de même fait la front-page de Rue89 !

A noter que de manière générale Inside Electronic Pipo montre son scepticisme à l’égard des tentatives de régulations d’Internet. Ils ne sont pas les derniers non plus pour proposer des solutions de remplacement quand le FBI fait rendre l’âme à Megaupload. Sans compter que, et Mme Gallo l’une des intervenantes à la conférence l’a fait remarquer à plusieurs reprises, l’affiche de la conférence est très largement partisane. On pouvait donc s’attendre à un débat inégal, comme on en voit beaucoup, où ACTA se serait fait mettre en pièce sans pouvoir plaider sa cause. Il n’en fut rien.

Dans la première partie du débat qui avait pour but d’expliquer ce qu’était ACTA s’opposaient quatre intervenants. Deux députées européennes : Amelia Andersdötter du Parti Pirate suédois à la tête de l’opposition parlementaire au traité et Marielle Gallo du Parti Populaire. Jérémie Zimmerman le porte-parole de la Quadrature du Net et Pedro Velasco Martins qui a négocié le traité ACTA pour la Commission Européenne. Au cours de la conférence le débat entre les intervenants est vif et les échanges parfois tendus, ce qui n’est pas pour déplaire – on a trop souvent des conférences au ronron consensuel.

Tout d’abord qu’est-ce qu’ACTA ? L’acronyme signifie Traité Commercial Anti-Contrefaçon (Anti-Counterfeiting Trade Agreement). Outre la lutte contre la contrefaçon ce texte vise à une harmonisation des dispositifs prévus à cet effet dans les pays signataires. Du coté des pro-ACTA, on souligne que le traité n’est pas le monstre liberticide décrit par ses détracteurs. ACTA tout d’abord n’est pas un texte législatif comme on le dit souvent mais bien un ensemble de procédures à appliquer en cas de contrefaçon. De plus, le but de ce traité n’est pas de coincer « l’adolescent qui télécharge dans sa chambre » mais plutôt de porter un coup d’arrêt à la contrefaçon internationale. L’exemple de Megaupload revient souvent comme archétype de ce que ACTA est supposé combattre sur Internet, c’est à dire une organisation qui à des fins commerciales propose sciemment des produits contrefaits. M. Velasco Martins présente ACTA comme un moyen de protéger la propriété intellectuelle qui est l’un des point fort de l’Europe, et ce tant sur Internet que en dehors.

De l’autre coté de l’estrade, les opposants à l’accord soulignent le potentiel liberticide et les importantes carences démocratiques d’ACTA. Il s’agit d’un texte issu de tractations entre la Commission Européenne et des opérateurs tels que les grandes majors de l’industrie du divertissement, qui est ensuite proposé à la ratification aux parlements nationaux et européen dénonce Jérémie Zimmerman. Mme Anderdötter fait part de son inquiétude à propos du risque de restriction de la liberté de communication sur Internet ainsi que la trop grande responsabilité légale confiée aux Fournisseurs d’Accès Internet. Ceux-ci se verraient transformés en filtreurs de données laissant passer seulement celles qui n’enfreignent pas la loi. Ils pourraient se voir confier la responsabilité de couper l’accès internet par le traité selon la députée et le porte parole de la Quadrature du Net.

A ceci les promoteurs du texte répondent qu’en pratique tous ces dispositifs existent dans les pays de l’Union Européenne. Sans compter que la décision de couper Internet ne dépendrait pas du traité mais bien de la législation en place. En outre l’ACTA n’aurait guère de conséquence sur le quotidien de l’internaute lambda, à fortiori dans nos vertes contrées. M. Velasco Martins en profite d’ailleurs pour faire part de son étonnement de voir tant d’opposition à ACTA en France. Le traité étant selon lui nettement moins répressif que Hadopi ou Loppsi – on peut souligner l’approbation tacite de Mr Zimmerman.

Pour résumer, on a donc eu un débat très technique quoi qu’enflammé sur des points de procédures ou de champs d’application du texte. Globalement les arguments en faveur d’ACTA font mouche, toutefois on ne peut quand même pas oublier les inquiétudes des opposants.

La seconde partie du débat porte sur les droits d’auteur et la liberté sur Internet. Pour ce débat c’est David El Sayegh qui prend la place de Pedro Velasco Martins. Représentant du Syndicat National de l’Edition Phonographique il se montre un habile défenseur du droit d’auteur. Le premier point abordé dans cette partie du débat est celui de la licence globale. Les deux camps sont radicalement opposés sur ce sujet.

Pour ses détracteurs la licence globale est un système inefficace qui plafonne les ressources de la culture et constitue une obligation d’achat pour l’internaute à qui on ne demanderait pas son avis. Sans compter que se posent des problèmes d’allocation des revenus. Au final pour M. El Sayegh et Mme Gallo la licence globale aboutirait à une diminution importante de la diversité artistique. Pour Mr Zimmerman et Mme Andersdötter qui sont plutôt favorable à ce dispositif, cela permettrait au contraire d’avoir facilement accès à la grande variété de ressources culturelles présentes sur Internet. Pour Jérémie Zimmerman cela aurait d’ailleurs au contraire un effet positif sur la création (il souligne qu’avec Internet on crée plus et plus facilement qu’avant). La député du Parti Pirate quand à elle rappelle que des systèmes redistributifs fonctionnent déjà, elle cite notamment l’exemple du site de musique en streaming Spotify – en réponse à M. El Sayegh qui exhortait les militants de la licence globale à mettre en place leur propre système en ce sens.

L’opposition entre les deux camps se fait également autour de la notion de droit d’auteur. Pour Mme Gallo en particulier il s’agit d’un système particulièrement intéressant en cela qu’il permet aux artistes d’accéder à l’autonomie financière. A l’inverse le porte-parole de la Quadrature du Net dénonce un système qui aboutit à verrouiller tout un pan de la créativité (via notamment les DRM qui empêchent de faire trop de copies d’un fichier). Il dénonce également un système vicié où les droits persistent plus de 75ans après la mort de l’artiste.

Cette partie du débat, beaucoup plus axée sur la philosophie des intervenants est d’ailleurs nettement plus vivante que la première (les tempéraments joueurs de David et Jérémie n’y étant pas pour rien). S’y opposent en fait deux conceptions d’Internet et du marché de la culture. Se rencontrent aussi une conception avouons-le idéaliste de la création culturelle et une vision qui manque peut-être de souplesse sur la manière de faire vivre cette création.

Cette conférence a été le théâtre d’un débat riche et fertile d’où l’on ressort toutefois sans avoir aucune réponse de ce que devrait être Internet à l’avenir ni ce qu’était LA liberté de l’Internet. On peut par ailleurs reprocher au débat d’être resté trop concentré sur des problèmes d’application de règlements ou de financement de systèmes qui ne sont pas encore à l’état de projet. Il a manqué, bien que cela fut brièvement abordé à la fin de la conférence, un débat sur le fond d’Internet : est-ce que la création, le commerce ou encore l’échange sur Internet sont totalement assimilables à ce qu’ils sont dans le monde matériel ? Est-ce qu’à l’ère numérique la notion de droit d’auteur ne devrait pas être repensée ? Dans une conférence sur les libertés sur Internet on aurait peut-être voulu entre parler de la multiplication des lois telles que Hadopi ou Pipa. Néanmoins en deux heures ont ne peut pas tout traiter et le sujet principal, à savoir ACTA, a été largement couvert. De plus l’année n’est pas terminée. Espérons que Inside Electronic Pipo nous fournisse encore des conférences de ce niveau !