Rester vivant: Recherche Cohérence désespérement
Un article de Simon Malivoire et Pierre Flin
“Rester vivant”. Phrase aguicheuse, surprenante même, pour un auteur qui frôle parfois le nihilisme ; phrase surprenante pour affiche surprenante: Clément, le défunt corgi de Houellebecq, contemplant d’un air paisible l’horizon depuis la verte côte irlandaise. Le nom de l’auteur, même, surprend. Après tout, que fait Michel Houellebecq dans un musée? On ne lui connaissait pas une pratique poussée des arts plastiques, et sa demi-satire du monde de l’art contemporain dans La carte et le territoire ne laissait pas particulièrement présager qu’on le retrouverait quelques années plus tard au Palais de Tokyo, temple parisien de la création contemporaine. Celui-ci accueille donc jusqu’au 11 septembre un lot hétéroclite de photos, de sculptures, écrits et montages de l’écrivain avec pour but modeste: Rester vivant.
Puis, une seconde interrogation survient: sur quoi porte cette exposition? En effet, le titre, suffisamment banal pour être aussi celui du dernier album de Johnny Hallyday, nous laisse perplexe, et ce n’est pas la photo de chien qui va éclairer tout ça. La réponse à cette interrogation ne vient véritablement qu’à la fin de la visite: c’est une exposition de Michel Houellebecq SUR MICHEL HOUELLEBECQ.
On ne sera donc pas surpris de retrouver dès les premières oeuvres les thèmes chers à l’auteur: poésie du béton, des grands ensembles urbains, des parkings et supermarchés, vanité (de l’existence, du monde contemporain)… Mais si ces thématiques font le charme (subjectif) de l’œuvre littéraire de Houellebecq, leur redite sous forme “directement artistique”, est à la fois disparate et paresseuse, et frôle souvent l’indigence.
Juger Houellebecq en un article est impossible : voici un portrait croisé de l’exposition.
Un cadre propice à l’expression libre (Pierre)
Qu’on aime Michel Houellebecq ou qu’on l’exècre, nul ne peut rester indifférent face à son œuvre. Ses passions, ses tortures tant présentes dans ses écrits se retrouvent condensées dans une dizaine de salles. Exposition phare, elle est avant tout l’expression d’une vie. On chemine à travers le passé de l’écrivain sans aucune cohérence, se laissant porter par son imagination qui semble illimitée. La visite est une sorte de gradation de l’absurde, partant de la réalité morose et fade des banlieues grises parisiennes pour ensuite s’étaler sur l’imaginaire fantasque de l’auteur.
Entre originalité et exhibition (Pierre)
D’aucun trouverait malsain l’immersion dans le passé privé d’un homme, d’autant plus lorsque celui-ci ne fait pas le consensus, dérange par ses propos. Mais au-delà de cet obstacle, c’est une part personnelle, difficilement palpable à laquelle on a accès. A travers des structures anodines telles que la chapelle en canettes de Coca ou la table des composants chimiques du corps humain, le visiteur est amené à se (re)plonger dans les romans de l’auteur pour apprécier avec un œil neuf ses écrits.
Le visiteur étranger à La possibilité d’une île ou Plateforme, sans toutefois saisir cette nuance apprécie la grande variété d’émotions que l’on ressent face à cette grande variété d’inspirations.
À la recherche de l’émotion (Simon)
Toutefois, ce qui manque le plus à cette exposition serait une vision artistique d’ensemble, à même de lisser l’hétérogénéité des salles, et surtout, de susciter l’émotion. En effet, l’exposition est assez froide, et, paradoxalement, impersonnelle. La seule salle sortant véritablement du lot est celle consacrée au chien de Houellebecq. Un énorme écran diffuse en boucle une compilation de photos de Clément, tandis que l’irremplaçable Iggy Pop chante la relation entre maître et animal. Ce témoignage d’affection ne laisse pas indifférent, mais le reste de l’exposition, beaucoup plus convenu, peine à émouvoir.
Génie ou savant fou: l’incohérence de Michel Houellebecq (Pierre)
Associer un poème avec son interprétation graphique dans une grande salle aux murs blancs, passer d’un érotisme assumé à des photos de son chien, rien dans l’inventaire de Michel Houellebecq n’est constant. Si cela fait son charme, cela reste certes déroutant. Plus encore que pour d’autres œuvres d’art contemporain, les avis se polarisent et s’opposent et c’est sans doute le but caché de l’auteur: être au cœur d’un débat, faire une fois de plus polémique.
Toutefois l’exposition de Michel Houellebecq vaut particulièrement le détour si celui-ci vous accompagne pour la commenter, pour vous l’approprier.
Recherche sens logique désespérément (Simon)
L’exposition est un mélange de quelques pièces intéressantes (par exemple la représentation chimique du corps humain, ramené à des petits tas de minéraux) et d’autres (nombreuses) d’intérêt plus discutable. La première salle, notamment, est absolument navrante : des photos de parkings en noir et blanc (prises par Houellebecq) sont accrochées aux murs, chacune recouverte d’une phrase se voulant profonde (“nous habitons l’absence”…). Dans la salle suivante, le visiteur est accueilli par une sorte de vanité moderne, un petit monument funéraire en cannettes de coca, abritant le crâne de Houellebecq. Perplexe, on enchaîne sur une salle tapissée de sets de table en plastique, ornés de photos du littoral français, avant de se retrouver devant des photos érotiques vintage… Le côté paresseux de l’exposition étonne encore plus quand on connaît le temps et la liberté laissés à Michel Houellebecq pour la concevoir, ainsi que l’engagement sincère de ce dernier dans le projet.
En une phrase, Rester vivant se résume dans une photo de l’exposition, un Leader Price dans la campagne.
Prix d’entrée: 8€ (tarif étudiant)
Fin de l’exposition le 11 septembre 2016