Rencontre avec Guillaume Tusseau

Notre série d’interviews des professeurs de Sciences Po continue avec Guillaume Tusseau, professeur d’Institutions politiques en première année et d’Introduction à la Philosophie du Droit en master. Rencontre avec un passionné.  

Photo de Lapéniche.net
Photo de Lapéniche.net

 Pouvez-nous nous expliquer votre parcours avant la rue Saint-Guillaume ?

Parti très jeune de Paris, j’ai dans un premier temps effectué un double diplôme à l’IEP et à la faculté de Droit de Toulouse. C’est pourquoi aujourd’hui je ne suis pas très indulgent avec les bi-cursus qui se plaignent : il y a un double diplôme à la clé, certes, mais il y a aussi  deux fois plus de travail. C’est très enrichissant ! Après ma maitrise à Toulouse, j’ai compris et décidé que pour faire ce que je voulais, je devais aller voir ailleurs. Alors que je me destinais plutôt aux concours administratifs, je me suis donné un an supplémentaire pour explorer la voie de la recherche, qui m’avait notamment plu lors des mémoires rédigés à l’IEP. J’ai donc intégré le DEA de la Théorie générale et philosophie du droit (équivalent à un Master 2 aujourd’hui) proposé par Michel Troper à Nanterre. Et cela m’a beaucoup plu ! J’ai ainsi obtenu une allocation de recherche pour poursuivre en thèse de 1999 à 2004 avec M. Troper. Deux ans plus tard, alors que j’étais maître de conférences à Assas, j’obtins l’agrégation et fus nommé à Rouen en tant que professeur d’université.

 

Pourquoi avoir postulé à Sciences Po ?

Il est vrai que je n’étais pas mal à Rouen : l’université et l’équipe étaient très agréables et compétentes, je pouvais organiser des manifestations scientifiques, mes cours me convenaient très bien, j’y ai fait de très belles rencontres… Néanmoins, pour des raisons auxquelles se heurtent de nombreuses universités et qui ne sont en rien propres à Rouen, la « force de frappe » en matière de recherche n’y était pas totalement suffisante selon moi ; les effectifs étaient notamment trop réduits et les centres d’intérêt des uns et des autres trop dispersés pour monter des projets consistants.  Je commençais également à investir le champ du droit comparé et cherchais ainsi un lieu d’étude davantage ouvert à l’international.  Lorsque Sciences Po a créé un poste dans l’Ecole de Droit, j’ai donc postulé et, plus tard, été accepté. C’est donc avant tout pour ses atouts dans la recherche que j’ai été attiré par Sciences Po. Ensuite il y avait bien entendu le projet de Richard Descoings pour l’Ecole de Droit qui consistait à sortir de l’enseignement uniquement basé sur les manuels, mal théorisés et peu adaptés à la future pratique des étudiants. Telle qu’elle a été conçue, l’Ecole nous permettait de tenter de nouvelles choses, peut-être de rater sur le plan pédagogique mais au moins d’essayer, de rebondir et de progresser. De plus l’environnement très éclectique de l’Ecole de droit, regroupant des personnes d’univers très différentes malgré leur formation juridique (publiciste, historien du droit, philosophe, sociologue, anthropologues…) et d’origines diverses, m’a permis de découvrir des méthodologies très variées et d’explorer de nouvelles voies.

 

Comment parvenez-vous à publier tant de revues et d’articles simultanément à votre enseignement à Sciences Po ?

Je suis membre junior de l’Institut Universitaire de France. Grâce à ce statut, j’ai pu obtenir une  décharge de 2/3 de mon volume d’enseignement afin  d’effectuer davantage de recherches  sur un projet prédéfini. Outre les moyens qui nous sont alloués, cela permet de rencontrer des personnes d’horizons très diverses car c’est un institut multidisciplinaire. C’est donc grâce à tout cela que je peux actuellement étudier mes thèmes de prédilection actuels que sont le contentieux constitutionnel étranger et la philosophie du droit en général.

 

Il semble que vous vous intéressez plus particulièrement au philosophe anglais Jeremy Bentham ?

En effet, cet intérêt remonte à ma scolarité à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse. Je savais à cette époque que Bentham avait voulu mesurer le plaisir par l’argent et qu’il avait inventé le Panoptique, cette prison à la structure totalitaire, torturant l’esprit des gens ; deux idées pour le moins originales et controversées. Lorsque durant mon DEA, un exposé sur « Bentham et les droits de l’Homme » fut proposé, je décidai donc de découvrir cet homme a priori monstrueux. Et après avoir compris  qu’il écrivit ces thèses de manière bien plus nuancées et dans un contexte historique particulier, je suis en fait devenu un grand admirateur. Ce qui est particulièrement intéressant à propos de lui, c’est qu’il reste beaucoup de choses à découvrir sur sa théorie du droit constitutionnel. Bentham a notamment laissé à sa mort des centaines de cartons de manuscrits qui ne sont toujours pas exhumés.

 

Dans votre cours d’Institutions politiques pour les premières années, votre plan détaillé jusqu’au alpha et vos illustrations originales font succès auprès des étudiants… Pouvez-vous nous en dire plus sur cette méthode pédagogique particulière ?

Tout d’abord je n’ai pas l’intention de refuser de m’amuser en faisant mes cours. Ensuite sur le plan pédagogique, outre le fait que cela détend et permet de relâcher l’attention quelques secondes, c’est surtout une manière d’expliquer des concepts très compliqués pour des étudiants qui découvrent le Droit et ne sont pas particulièrement intéressés par cette matière. Mais si le Schtroumpfissime et le film « The Dictator » sont réservés aux élèves de  première année, j’utilise aussi des références décalées lors de mon cours d’Introduction à la philosophie du Droit pour les étudiants en fin de cursus : par exemple pour expliquer la différence entre le contexte de découverte et le contexte de justification j’ai utilisé le film « Retour vers le futur ».

 

Tout cela vous fait apparaitre plus accessible, plus proche des étudiants que certains professeurs plus ancrés dans la simple théorie et les illustrations classiques des manuels. Quelle relation pensez-vous entretenir avec les étudiants ?

Il est sûr que j’apprécie cette complicité pendant les cours, mais je dois admettre que je ne suis pas  le professeur qui fait des photos avec ses étudiants ensuite ou qui les ajoute sur Facebook. Ce n’est pas pour maintenir une distance professorale conservatrice mais cela ne me paraitrais pas approprié, je ne suis ni une star, ni copain avec les étudiants. Et puis je dois être honnête je ne sais aussi pas me servir de Facebook (rires).

 

Enfin, comme chaque interview de notre série sur les professeurs, Lapéniche.net propose aux étudiants de poser directement une question. Celle retenue aujourd’hui est : Inviterez-vous, cette année encore, un invité de marque pour votre cours d’Institutions Politiques ?

En effet, le rendez-vous est donné pour le 14 Novembre. Vous aurez ainsi un scoop ! Cette année, c’est l’ex-ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie, Delphine Batho qui a accepté de venir donner une conférence.