Quand les canards se font chasseurs
L’étonnant centre Bruxelles-Wallonie présente dans le quatrième arrondissement une exposition intitulée «La fôte à Bruxelles», affichant des dizaines de caricatures journalistiques très satiriques sur la construction européenne depuis 1957. Un programme pas vraiment alléchant, qui se révèle en fait particulièrement détendant. A consommer de préférence avant la fin de la semaine.
A première vue, l’annonce n’a pas de quoi faire bondir d’enthousiasme un crétin qui hiberne dans son canapé ou se masturbe intellectuellement à la bibliothèque devant son fabuleux manuel de Droit des collectivités locales monégasques. Une exposition dans une salle perdue de Paris, sur le sujet absolument transcendant de la construction européenne, et dont personne ne parle, peut-être d’ailleurs parce que personne n’en a connaissance, du fait même, diront les puristes, que personne n’en parle.
Et pourtant cette brave expo sans ambition est bien plus attrayante que ce que son thème peu sexy laisse penser. La première chose amusante dans cette exposition, c’est d’apprendre qu’il existe un espace Bruxelles-Wallonie à Paris, avec une vue imprenable sur Beaubourg. Un espace dont le nom suffit à intriguer, et où l’on a le bonheur d’être accueilli par quelques permanents blasés derrière un comptoir, qui ont tout juste le réflexe salvateur de vous baragouiner un «Bonjour» de politesse. Plus amusant encore est, si vous avez un peu de chance, le flamand du coin qui passe raconter sa vie en francais à Monsieur blasé, en se faisant entendre de toute la salle d’exposition (qui n’a certes pas tout à fait les dimensions du British Museum, pour être honnête).
Passées ces quelques réjouissances, on se retrouve donc dans une grande salle sommairement décorée dont les murs sont placardés d’une bonne centaine de dessins datant de 1950 à aujourd’hui, et qui s’amusent à rire de l’Europe de manière inversement proportionnelle à l’objectivité légendaire de Laurence Burgogue Larsen sur le sujet. Une moquerie qui aura donc le mérite d’équilibrer un peu les points de vue avec l’enseignement de la rue Saint Guillaume, que les plus jeunes d’entre nous n’aurons malheureusement pas le plaisir d’aller écouter le ventre creux et les tempes transpirantes le Mercredi vers 13h.
Dans un ordre non-chronologique, non-thématique, non-alphabétique, et non-ordonné tout court, s’enchaînent alors les caricatures de dizaines de dessinateurs depuis quelques décennies, au rythme d’une absence de musique de fond et d’une explication plus que sommaire des dessins.
Mais ce relatif dépouillement de la forme a au moins le mérite de nous obliger à nous concentrer sur les objets en eux-mêmes, qui sont en revanche franchement drôles. Il semblerait que des gens de goût se soient attelés à la sélection des images, dont on peut être certain qu’elles feront rire sans problème les camés du Canard Enchainé, les chevronnés de Charlie Hebdo, ou autres prêcheurs de Plantu. Mais même ceux d’entre nous qui n’auraient pas une telle sensibilité lyrique se plairont, par exemple, devant une série de portraits peu flatteurs de l’ami Herman du Conseil Européen et de sa sensuelle collègue Ashton qui ne peuvent pas laisser indifférents.
Mieux encore, les amoureux d’histoire européenne trouveront là un moyen de réviser leur dates, au cas bien sûr où 15 ans passés en compagnie de l’éducation nationale ne leur aurait pas suffit à ingurgiter la date de l’entrée de l’Autriche dans l’Union par exemple. De même, les hordes germanophone auront l’occasion de pratiquer un peu leur langue favorite en décryptant seuls les caricatures en Allemand qui laissent parfois perplexes les malheureux qui regrettent d’avoir coché «Espagnol seconde langue» sur leur fiche navette en fin de 5ème. Enfin, comble de la distraction entre amis du samedi après midi, les téléspectateurs invétérés de Question Pour un Champion pourront se lancer des défis démentiels comme celui de reconnaître les visages des chefs d’Etat par exemple (ce qui par ailleurs n’est pas nécessairement évident lorsque ce dernier appartient à un pays d’Outre-Danube ou à une époque pré-Mitterrandienne).
En bref, une exposition qui ne paye pas grande mine avant de s’y pointer, mais dont les coups de crayon valent bien un crochet d’une demi-heure au détour d’un ennui dans Paris.
3 Comments
Sarah
J’aime beaucoup l’article, un ton léger, des expressions bien faites, un humour particulier, on y reconnait bien là la trace d’Adrien Bonnet…
pucelle maladroite
j’aime beaucoup le « une exposition qui ne paye pas grande mine avant de s’y pointer ».
Le tout se révèle finalement persuasif, sur fond de légèreté avec un ton décalé (donc plaisant).
Une écriture qui court et rebondit, cela va sans dire.
Bonnet, grâce à vous, je prendrais bien le temps d’aller frotter mes yeux maladroits sur ces merveilles picturales.
Anatole
Très bon article, ça donne en vie d’aller voir l’expo 😉