Nos syndicats pris par leurs mots

Comment parlent nos élus étudiants ? À l’approche des élections étudiantes, La Péniche s’est plongée dans l’univers feutré et souvent mal connu des instances de directions de Sciences Po, à savoir le Conseil de l’Institut et le Conseil de la Vie Étudiante et de la formation. Grâce au logiciel IRaMuTeQ et à partir des procès verbaux disponibles publiquement sur le site de Sciences Po, il est possible de réaliser une analyse statistique des prises de paroles des élus étudiants. Voici nos principales trouvailles.

Avant de commencer, il  importe toutefois de poser quelques limites aux prétentions de ce travail.Tout d’abord, ce travail n’évalue pas la qualité des interventions des organisations syndicales, puisqu’il s’appuie uniquement sur une exploration statistique. De plus, les discours tenus devant les instances peuvent ne pas refléter ceux tenus en réunions de travail avec l’administration, il n’offrent qu’une représentation très parcellaire du travail réalisé. Cet article présente toutefois l’avantage d’étudier une forme de discours spécifique, et ainsi mieux comprendre les positions des différents syndicats.

Une inégalité de traitement des sujets

Pour analyser les différents discours, nous procédons d’abord à une classification du corpus selon la méthode Reinert. Cette méthode permet d’organiser les différentes interventions dans des classes indépendantes les unes des autres. Cela permet d’identifier les différents textes typiques d’une thématique particulière, et ainsi étudier l’association des interventions des syndicats avec chacune des classes. En parallèle est réalisé une analyse factorielle de correspondance (AFC), qui permet d’identifier les mots spécifiques à chaque variable syndicale. 

Les interventions de l’UNEF sont fortement associées à la classe 2 liée à la lutte contre les discriminations et les violences sexistes. La liste majoritaire, du fait de sa co-présidence au CVEF, est également associée à la classe 1. Les verbes les plus employés par les élus de cette liste sont les verbes « aller », « souhaiter » et « penser ». Au contraire, le discours de Solidaires Étudiant-e-s se caractérise par un usage significatif des verbes « demander » et « aimer », en particulier l’emploi de la formule conditionnelle « nous aimerions », lorsqu’il s’agit de formuler des revendications. Les interventions de Solidaires Étudiant-e-s sont, comme celles de l’UNEF, associées à la classe 2.

Les interventions de la liste conduite par NOVA sont les moins spécifiques en fonction des classes ; on note toutefois une légère association à la classe 5 liée à l’enseignement des langues. NOVA fait appel régulièrement à la prudence, par l’usage régulier du conditionnel du verbe « pouvoir ». De plus, ses représentants évoquent la question du choix de troisième année significativement plus que les autres élus étudiants.

Enfin, les interventions de l’UNI sont associées à la classe 7 liée aux procédures d’entrées à Sciences Po. En effet, l’expression « examen écrit » apparaît comme l’une des expressions les plus employées dans le discours de ses élus. Ces derniers sont d’ailleurs les seuls à ne pas citer à de multiples reprises le nom de leur organisation d’attache : l’UNI n’est jamais cité dans leurs interventions.

Le double clivage des discours syndicaux

Il est apparu que sur le fond, les organisations syndicales s’investissent discursivement de manière différenciée. Il est également possible de comparer leurs structures de discours à travers une représentation graphique de l’analyse factorielle de correspondance. Cette méthode permet de soulever des tensions discursives significatives en dégageant deux clivages importants : plus les pôles qui concentrent les mots de chaque organisation syndicale sont éloignés de l’origine, plus ces pôles se distinguent. En d’autres termes, plus les mots associés à un syndicat sont éloignés du centre, plus ils sont spécifiques à ce syndicat. Le graphique permet d’identifier les positions discursives de chaque syndicat par rapport aux autres.

Il est possible de constater que 3 syndicats ont des discours très spécifiques les uns par rapports aux autres. Ceux de l’UNI se rapprochent du centre, et sont donc moins caractéristiques, bien qu’étant proches de ceux de NOVA. Plusieurs clivages se dégagent.

D’abord apparaît un clivage horizontal entre UNEF/Solidaires et UNI/NOVA de part et d’autre. Ce premier clivage pourrait être simplifié à tort de clivage gauche/droite, bien qu’il soit significatif de par la mobilisation discursive importante de l’UNEF et de Solidaires Étudiant-e-s sur des thématiques sociales. Il se caractérise néanmoins par une prétention différenciée à la vérité. En effet, contrairement aux listes de Solidaires et de l’UNEF, les listes UNI et NOVA mobilisent très régulièrement des éléments de langage associé à la vérité, comme l’expression « il est vrai que », l’adjectif « clair », ou l’adverbe « vraiment ». De plus, l’UNI appuie encore plus ce clivage par l’emploi du pronom indéfini « on », pour souligner des généralités qui seraient évidentes.

De plus, ce clivage est également souligné par un usage plus important par les élus des listes UNI et NOVA du mot « élève » pour qualifier la communauté étudiante, contrairement aux élus des autres listes qui privilégient plutôt le terme « étudiant ». Cette différence n’est pas anodine, puisque le participe présent de « étudier » désigne la personne qui fait des études supérieures en université, tandis que le mot « élève » renvoie plutôt à la logique de formation des grandes écoles.

Le second clivage apparaît entre le haut (Solidaires) et le bas (UNEF) du graphique. Ce dernier se manifeste par un emploi différencié des pronoms personnels : Solidaires a significativement tendance à s’exprimer en utilisant le « nous », s’exprimant au nom du syndicat à la première personne du pluriel, tandis que les élus de l’UNEF font plutôt usage du « je », en désignant le nom du syndicat à la troisième personne du singulier. 


Ainsi, il est possible de constater que les prises de paroles des syndicats en conseils suivent des stratégies spécifiques, caractéristique de chaque culture politique des élus. Le choix des sujets abordés est à la fois déterminé par des facteurs structurels (suivant la fonction des élus étudiants) et des intérêts politiques particulier. La structure discursive est spécifique à chaque syndicat, et montre l’usage de termes fréquents suivant les élus. Une étude plus poussée pourrait identifier l’évolution propre à chaque syndicat, et même tenter de confronter leurs discours à ceux de la direction ou bien des élus des personnels. Il importe en effet d’analyser les éléments de langage de chaque partie afin de mieux cerner les pensées qui se cachent derrière les discours.